Retour vers les Plaines

Les Barbares s'étaient éveillés tôt et s'affairaient dans le village. L'on balayait les demeures, les armes étaient portées chez le forgeron, les femmes nettoyaient les vêtements et les raccomodaient au besoin. Baldrisson avait été désigné pour faire partie des chasseurs ce matin-là. Il portait un faisceau de plusieurs lourdes lances solides, attachées dans son dos. Arlax aidait les membres restant de la tribu à préparer une grande table digne de ce nom : le Roi des Barbares allait passer ce soir-là.
Baldrisson avait suivi ses frères, une petite dizaine, jusqu'à une forêt. L'un d'entre eux, plus nerveux, plus fin et armé d'un arc long de deux mètres, les attendaient à l'orée. Il avait le corps couvert de sang animal et ses vêtements étaient encore recouverts de la fourrure des animaux. Deux chiens, "chiens" car il était à peine concevable qu'on puisse apprivoiser des loups de cette taille, deux "chiens" donc, étaient allongés à ses pieds. Ils se levèrent à l'arrivée des Barbares, tandis que leur maître cessait de pendre soin de son arc. Il salua les chasseurs et leur parla, d'une voix basse :

"Bon. Nous avons un troupeau de sanglier à débusquer. Bortek, tu vas partir par l'Ouest avec Kor pour les attirer par ici. Je te prête Maeva, elle vous guidera à bon port et vous aidera à effrayer les porcs. Talor, avec Mesha et Tancred, par l'Est. Je vous prête Mordred. Les autres, vous restez avec moi. Baldr, tu peux distribuer les lances. Vous vous mettez en position là, là et là. Tout en parlant, il désigna plusieurs "entrées" de la forêt. Je vous rappelle comment vous y prendre : les pieds ancrés au sol, lance pointée vers les sangliers. Si vous ratez, roulez sur le côté, sautez, courez, esquivez comme vous le pouvez. J'essaierais d'en abattre un maximum. Aller, on n'a pas toute la journée."

Se souhaitant à chacun une bonne chance, ils se séparèrent. Baldrisson fit en sorte que ceux qui restaient aient au moins deux lances. Il se mit en place et attendit patiemment. De ses yeux, il tentait de percer les ténèbres entre les arbres. Le silence fut brisé, au loin, par les hurlements des rabatteurs et ceux des "chiens". Les Barbares inspirèrent profondément, alors que le sol commençait à trembler. Les grognements des sangliers devinrent audibles, alors que le sol tremblait de plus en plus. Enfin, les sangliers déboulèrent, esquivant les Humains assemblés. L'un d'entre eux parvint pourtant à encorner un des chasseurs, qui s'accrocha à l'animal pour le larder de coups de couteau. Un mâle arriva en vue de Baldrisson. Le colosse banda ses muscles et orienta sa lance pour qu'elle se plante dans le cou de l'animal. Il inspira profondément, crispa ses mâchoires en attendant l'impact.
La lance parvint à entrer dans la chair. La hampe se ploya et se brisa. Baldrisson sauta en avant et s'accrocha à la tête du puissant porcidé. Ses pieds ne touchaient terre et il finit par basculer sur le côté, sa jambe gauche zébrée par une cicatrice provoquée par une des défenses. Le mâle ralentit et se tourna vers lui.

Le colosse se releva difficilement, boitant à cause de sa jambe blessée. L'un des sabots de l'animal gratta le sol. Il poussa un grognement et chargea. Baldrisson savait qu'il ne pourrait pas se déplacer assez vite pour l'esquiver. Il regarda la mort en face et poussa un hurlement de défi. L'animal allait l'atteindre quand un trait puissant et meurtrier l'atteignit à la tête, le forçant à dévier légèrement. Le sanglier trotta sur quelques mètres et s'effondra, mort. Le colosse se tourna vers le chasseur armé d'un arc, qui lui fit un clin d'oeil malicieux, avant de lui lancer, moqueur :

"Alors, tu as perdu ton habileté en même temps que tes doigts, Baldr ?"

Pour seule réponse, Baldrisson leva son index et son majeur droit écartés en direction du Barbare.

Le soleil se couchait.
Baldrisson, un cataplasme sur sa blessure, la jambe bandée, était dans la foule, Arlax à côté de lui. Ce dernier était encore trop petit pour voir au-dessus des têtes des membres de la Tribu et ne cessait de demander au colosse :

"Alors, qu'en est-il ? Qu'est-ce qu'il se passe ?"

Finalement, Baldrisson, excédé, finit par lui répondre, en lui montrant son poing fermé :

"Je vais devoir tout te décrire, ou tu veux que l'on t'apporte un marchepied ?"

Le granl se tut. L'attente se poursuivit, les autres Humains aussi silencieux que possible. Enfin, alors que le solail commençait à disparaître derrière une montagne, l'on entendit un puissant appel de cor. Un Barbare, devant l'attroupement de la Tribu, leva son propre cor, taillé dans une corne de karak. Il souffla longuement dedans, répondant à l'appel. Dans le lointain, l'on entendit une explosion de sonneries de cor, qui se répercutèrent sur les montagnes environnantes et décimant par-là même un troupeau de chamois et deux bouquetins dans une avalanche.
La Tribu entière baissa la tête. Le Roi arrivait.

C'était une grande colonne, composée de membres de nombreux Clans et Tribus, qui avançait lentement jusqu'au village. A leur tête, un Humain de haute taille, portant des fourrures épaisses et une armure d'excellente facture, forgée par les Nains. Le Roi. Il tenait à la main une longue lance lourde, sur laquelle des runes avaient été gravées par les meilleurs Artisans des Runes Nains. Un corbeau noir était perché sur son épaule gauche. L'oeil droit de l'Humain était couvert par un tissu noir. Il portait sur la tête un casque sur lequel étaient monté deux grandes cornes. Sa longue barbe grisonnante portait autant de tresses qu'il avait d'années de règnes.

Il était possible de devenir Roi de deux façons différentes : défier le Roi encore en exercice ou bien être élu par le Conseil des Barbares à la mort du Roi précédent. L'actuel régnait depuis pratiquement une trentaine d'années et l'on disait qu'il était parti pour continuer pendant une trentaine d'années supplémentaires. De lui émanait une véritable aura de commandement et de royauté, au point qu'il n'avait pratiquement jamais été défié. Un autre Homme émergea des rangs de sa troupe. Ce dernier était un véritable contraste avec son souverain : torse nu, juste vêtu d'un pagne, d'une cape et d'une paire de bottes, un arc long et une lame incurvée au coté. Ses longs cheveux sombres étaient attachés dans son dos et sa barbe s'agitait au vent. Son visage buriné affichait un air bestial, féroce et pourtant, il y avait quelque chose de beau, dans ces traits sauvages, mais l'on ne pouvait comprendre à quoi cette impression était due.
La Tribu assemblée déglutit péniblement. Elle se trouvait en face du Chambellan. Ce dernier vivait depuis si longtemps que l'on avait oublié son véritable nom. Il était au service des Rois depuis maintes générations et les Anciens contaient que leurs Anciens l'avaient connu alors qu'ils n'étaient encore que des enfants.
Le Chambellan toisa l'assemblée et parla, d'une voix rauque :

"Le Roi descend vers les Plaines, car certains de ses enfants se sont dévoyés et ont attaqué des soldats de l'armée du Royaume de Telbara. Nous ne souhaitons aucune guerre avec les Royaumes des Plaines, pour l'instant et il a été décidé de... "Remettre dans le rang" la Tribu dévoyée. Qui, parmi vous, viendra ?"

Baldrisson et plusieurs autres Barbares se détachèrent des rangs. Le Roi planta sa lance dans le sol, avant de sourire avec bienveillance. Il s'avança vers ses sujets en ouvrant les bras, avant de les accueillir :

"Mes enfants, votre Roi est fier de vous. Ce soir, nous nous restaurerons et nous festoierons ensemble et demain, vous partirez en ma compagnie. Si, par malheur, certains d'entre vous périssent, vos familles recevront une compensation provenant de ma propre cassette, à hauteur de trois pièces d'or. La même offre fut proposée aux autres Clans et Tribus. Ensemble, nous fondrons sur vos frères et sœurs dévoyés et nous les ramènerons à la raison, même si cela implique un grand sacrifice. Êtes-vous avec moi ?"

L'assemblée hurla son assentiment, faisant fuir le corbeau de l'épaule de son maître pour se réfugier sur un des toits du village.

La Horde de Barbare s'était assemblée dans les Ganavarelles. Les clans séditieux étaient entourés par les volontaires du Roi et par quelques régiments de l'armée telbarane. Ces derniers avaient envoyé des messages au Roi, pour savoir quelles étaient leurs intentions, avant d'être rédonfortés : les nouveaux arrivants étaient là pour botter le cul des séditieux. Le Roi, en bon souverain, avait tenté une première approche avec ses enfants égarés, mais les émissaires n'étaient jamais revenus. A son plus grand dam, il avait donc prit la lourde de les massacrer, un bien lourd sacrifice pour garantir la paix.
La Horde avait été rejointe par de nombreux volontaires et ils étaient bien deux cents à se mettre en ordre de bataille. Quelques-uns des Barbares étaient au premier rang, une petite vingtaine, portant des peaux de loup sur eux. Baldrisson faisait partie de ceux-là. Ils étaient les Guerriers-Loups, ceux qui ouvriraient la voie à leurs alliés. Arlax était, quant à lui, parmi les autres Barbares. Il avait... Remodelé son corps et, à présent, son bras gauche était un bouclier, tandis que son bras droit s'achevait par une lourde masse.

[Thème de la scène : Un dernier chant avant la bataille]

Les clans rebelles étaient un peu plus d'une centaines, mais étaient prêts à tout pour se débarasser du Roi et pour déclencher une guerre avec les Plaines. Le Soleil commençait tout juste à se lever, tout comme les séditieux. Le Chambellan prit la corne qui était attachée à son pagne et souffla longuement dedans. Le son roula sur les Ganavarelles et parvint même au camp telbaran. Les Guerriers-Loups commencèrent à courir, alors que le camp adverse était plongé dans le chaos, surprit par cette stratégie. Quelques Barbares tirèrent au jugé sur les berserkers qui les chargeaient, sans parvenir à les toucher. Les Guerriers-Loups rencontrèrent les sentinelles, qui étaient venues à leur rencontre, dans un fracas métallique.
Baldrisson pivota et éventra son adversaire d'un puissant revers de hache, avant d'enchaîner et de le décapiter. Ils abattirent les piètres palissades qui défendaient le camp adverse et le Chambellan souffla à nouveau dans sa corne, sonnant le signal de la curée. L'armée du Roi chargea, un vieux chant de guerre sur les lèvres. Quelques telbarans, plus réactifs que les autres, chargèrent les Barbares rebelles.

Le combat était violent et les cris des blessés et des mourants surmontaient le vacarme et le fracas des armes. Pris dans le mouvement de la foule, Baldrisson se retrouva près d'un officier telbaran, un Demi-Elfe, maniant un sabre elfique et un bouclier avec une certaine dextérité. Ils se mirent dos-à-dos pour affronter leurs adversaire sans risquer de prendre un coup par un angle mort.
Les combats étaient brutaux, furieux et le sang maculait le sol, alors qu'un soleil de plomb s'élevait dans les cieux.
Enfin, à la mi-journée, le Roi, qui affrontait les deux Chefs de Clans, en abattit un et obligea l'autre à se soumettre sous peine de mort. Les rebelles survivants furent assemblés et laissés aux mains des telbarans, pour être jugés selon leur loi. Les membres de la Horde appelaient leurs proches, cherchaient les blessés et pleuraient leurs morts. Arlax avait perdu beaucoup d'argile et avait manqué de se faire tuer durant le combat et un Barbare en assez bonne santé, relativement parlant, avait obligeamment proposé au granl de le porter pour aller à la recherche de Baldrisson.

Ce dernier s'était effondré durant le combat : l'officier Demi-Elfe, qui avait le titre de capitaine et se nommait Ontrose, avait été blessé par un Guerrier-Loup adverse et Baldr l'avait porté hors du combat. Il se trouvait à mi-chemin du camp telbaran quand il s'était effondré : sa rage berserk avait disparu et les blessures, le sang perdu durant le combat, l'avaient emporté sur sa volonté.
Il se trouvait dans l’hôpital militaire du campement, en compagnie de telbarans et de Barbares loyalistes, attendant les soins.
Le Roi passait dans les rangées, réconfortant les blessés, aidant ceux qui étaient au-delà de tout espoirs à aller dans l'au-delà en les serrant dans ses bras, partageant avec eux une dernière gorgée de bière, sans faire de distinction entre ses sujets et les telbarans.

Shaanlo voyageait beaucoup mais ne pouvait supporter la solitude trop longtemps. Parfois, il accompagnait des bardes dans leurs trajets, ou des saltimbanques, comme un membre d'escorte. A condition, bien sûr, que les gens n'aient pas trop peur de lui et l'acceptent à leurs côtés. D'autres jours, Shaanlo se recueillait pieusement dans le temple d'un village quelconque. C'est l'un de ces jours qu'il fut enrôlé parmi d'autres prêtres guérriseurs, dans le Royaume de Telbara, pour louer ses services dans un hôpital militaire, alors que des troupes devaient éradiquer un camp de barbares sanguinaires.

En chemin, Shaanlo posa des questions et en apprit un petit peu plus. Il existait un peuple de barbares dans les Montagnes Dominantes, exclusivement des Humains apparemment, divisés en plusieurs tribus, toutes obéissantes à un roi. Certaines de ces tribus avaient commis ces dernières semaines des actes de dissidence en s'attaquant à des villages telbarans, ce qui n'était pas coutume chez eux. Comtes et ducs avaient décidé d'identifier les auteurs de ces attaques répétées et avaient échangé avec des membres d'autres tribus de ces barbares qui leur avaient affirmé ne pas cautionner ces attaques et entendre réprimander les tribus coupables. Les seigneurs telbarans avaient alors accepté de s'allier à certaines tribus pour mener une grande bataille contre les renégats. Des guérisseurs avaient donc été recrutés, de gré ou de force, pour exercer dans un hôpital sur les troupes pendant et après la bataille. Shaanlo était de ceux-là.

Les guérisseurs étaient de différentes races, mais Shaanlo ne passa pas inaperçu pour autant, car lui, il ne faisait partie d'aucune race connue. Pour cause : ses parents étaient des Humains tout ce qu'il y avait de plus normaux. Le convoi comprenait au total une vingtaine de mages guérisseurs recrutés à travers les villages et les bourgs des régions occidentales du Royaume de Telbara. Un bateau fut affrété pour transporter tout ce monde sur le Phuolocht et atteindre plus rapidement le lieu des combats, à quelques dizaines de kilomètres des Montagnes Dominantes.

De larges tentes blanches étaient dressées, mais il était prévu que les blessés, s'ils s'avéraient nombreux, puissent être allongés sur des draps à même le sol entre les tentes. C'était la première fois que Shaanlo allait exercer dans un hôpital militaire. Les récentes averses de cette fin d'été avaient été les bienvenues pour le jeune homme-limace de dix-sept ans.

La bataille fit rage, et de sa position, Shaanlo en entendit tous les échos. Les premiers blessés vinrent, en faible nombre tout d'abord alors que les combats n'étaient pas achevés. En revanche, quand la victoire de l'alliance des barbares et des guerriers telbarans sur les renégats sonna, un afflux de blessés mobilisa chacun des mages guérisseurs. Shaanlo eut un premier homme à traiter.

C'était un Humain, l'un des barbares et non un guerriers telbaran. Des peintures de guerre tribales teintaient sa peau de bleu. Il était essoufflé, à bout de force, et Shaanlo fut impressionné par toutes les éraflures qu'il avait subies. Au premier coup d'œil, il ne distingua aucune blessure grave ; mais le nombre de plaies auraient dû nuire aux capacités de l'homme à poursuivre le combat. Il espérait que l'homme n'ait pas de fracture osseuse, car la magie de Shaanlo n'était pas assez puissante encore pour soigner ce cas de blessures.

SHAANLO – Je m'occupe de vous. N'ayez crainte.

Il diffusa sa magie dans son mucus pour lui donner des vertus réparatrices. Il récolta son mucus en se “grattant” la peau de limace. Il espérait que l'homme ne refuse pas de tels soins. Ses gestes furent volontairement lents pour ne pas prendre le blessé par surprise, que ce dernier voit bien ce que Shaanlo s'apprêtait à faire.

Arlax fut amené à la tente-hopital, auprès de Baldrisson. Ce dernier était inconscient et une légère odeur d'alcool émanait de sa bouche. Le granl aurait fait une moue ironique s'il en avait été capable. En même temps, connaissant le colosse, ce dernier avait été dans les plus rudes combats, en compagnie des autres Guerriers-Loups.
Une étrange créature, au torse Humain mais dont le reste du corps était... De limace ? S'approcha du Barbare et posa de son mucus sur ses blessures, en assurant qu'il n'y avait aucune crainte à avoir. Arlax n'était guère de cet avis. On l'avait posé sur la couche de Baldrisson et le cerveau vivant se mouva, avec difficulté, jusqu'à être sur le ventre du colosse. Il toisa du regard l'étrange médecin :

"Hey là ! Qu'est-ce que tu fais ?"

L'étrange créature, sans doute pas un Centaure, non, loin de là, regarda Arlax, avec un certain étonnement : il semblait ne pas l'avoir aperçu jusque-là, sans doute concentré sur sa tâche. Très simplement, il expliqua :

"Je soigne ses blessures. Ma magie donne à mon mucus des propriétés particulières pour cela. Il faut voir cela comme un onguent magique."

Si le granl pouvait hausser ses sourcils il ne s'en serait pas privé. C'était bien étrange, mais, en effet, les plaies se refermaient sous l'action de cet étrange mucus aux propriétés magiques. Baldrisson grogna dans son inconscience et bougea, forçant le granl à s'accrocher en attendant que le colosse cesse. Il commença à ouvrir les yeux, difficilement, en jurant et en grommelant. Il toucha sa peau et eut un sursaut en sentant le mucus sous ses doigts, avant de pousser un nouveau juron alors que ses blessures l'élançaient :

"Bordel de tous les dieux, qui m'a fait ça, que je lui refasse la tête !"

Arlax, qui était tombé au sol à cause des brusques mouvements du Barbare, se remit d'aplomb et désigna l'homme-limace :

"C'est lui, Baldr. Et la prochaine fois, évites de me faire tomber, je perds un temps fou à me nettoyer ensuite."

Le colosse se tourna vers celui qui venait de le soigner et le crocheta à la gorge :

"Tu peux m'expliquer ?"

En fait, Shaanlo parlait dans le vide, car le barbare qu'il soignait était manifestement inconscient pour l'instant, donc, forcément, il ne pouvait pas craindre grand-chose dans son état. Shaanlo se fit doux malgré tout, comme d'habitude. Il était facilement impressionné par les puissants guerriers comme celui-ci, surtout quand ils revenaient avec des blessures qui auraient déjà fait tomber un Humain moyen. Bon, le barbare était inconscient, certes, mais il avait quand même réussi à continuer à se battre jusqu'à avoir autant de plaies sur le corps. Shaanlo osait à peine imaginer ce que cela aurait donné s'il avait fait bénéficier ce barbare de son sort d'Encaissement pendant le combat...

Soudain, une forme bougea juste à côté du corps du barbare. Shaanlo ne l'avait pas encore remarquée, et sursauta en reconnaissant un granl, qui se mut avec difficulté sur le ventre du blessé, en collant à tout ce qu'il touchait. Que faisait-il là ? Qu'est-ce qu'un granl pouvait bien faire là ?! Le pire, c'est qu'autour d'eux, les gens ne semblaient pas s'étonner outre mesure, comme s'ils avaient déjà vu ce granl ici.

ARLAX – Hey là ! Qu'est-ce que tu fais ?

C'était plutôt à Shaanlo de lui poser la question, mais au lieu de cela, une fois passée la surprise, il répondit avec simplicité :

SHAANLO – Je soigne ses blessures. Ma magie donne à mon mucus des propriétés particulières pour cela. Il faut voir cela comme un onguent magique.

De toute façon, le granl pouvait observer l'effet de ses propres yeux. Shaanlo n'en revenait pas de parler avec un granl dans cet hôpital militaire. Ces créatures étaient vraiment hideuses, c'était comme voir un cerveau vivant avec deux tentacules. Mais qui Shaanlo était-il pour juger une créature sur son apparence hideuse ? Surtout, ce qu'il ne comprenait pas, c'est pourquoi personne n'était surpris de voir ce granl ici, et pourquoi ce dernier s'intéressait à ce que Shaanlo faisait au barbare blessé.

Ledit barbare commença à cet instant à reprendre ses esprits, se retournant plusieurs fois sur place, parfois un peu brusquement, trop brusquement pour le granl qui fut décollé de son ventre et tomba par terre. Le barbare ouvrit les yeux, se toucha la peau là où se trouvaient précédemment des plaies, et sentit le film de mucus lisse et glissant.

BALDRISSON – Bordel de tous les dieux, qui m'a fait ça, que je lui refasse la tête !

Shaanlo se ratatina, ses antennes se pliant en arrière, encore plus quand le granl le désigna d'un geste accusateur :

ARLAX – C'est lui, Baldr. Et la prochaine fois, évite de me faire tomber, je perds un temps fou à me nettoyer ensuite.

Quoi, ils se connaissaient ? Cela expliquerait tout, bien que ce même fait fût surprenant, mais déjà moins que le reste. Le barbare tourna la tête vers Shaanlo. Depuis sa position, allongé sur la table, il ne pouvait sans doute voir que le torse de Shaanlo, bien qu'il ne s'étonnât pas de le trouver si près du sol. Shaanlo fut brutalement empoigné au cou.

BALDRISSON – Tu peux m'expliquer ?

Shaanlo porta par réflexes ses deux mains sur le poignet du barbare, sans faire grand-chose pour se libérer, mais l'étranglement lui coupait partiellement la voix.

SHAANLO – J'ai soigné vos blessures...

Il essaya de prendre une respiration. Pas facile.

SHAANLO – Je suis guérisseur... J'utilise mon mucus pour soigner... Relâchez-moi, s'il vous plaît, vous m'étranglez...

L'étrange créature posa ses mains sur le poignet de Baldr, tentant sans doute de faire pression pour se dégager de sa poigne, mais sans succès. Il tenta de se justifier avec une voix étranglée, ce qui était quelque peu logique, en expliquant qu'il soignait ses plaies en usant de son mucus, étant un guérisseur. De sa main mutilée, le colosse tâta ses blessures, grimaçant au toucher du mucus gluant. En effet, ses plaies se refermaient doucement. Il inspira profondément et desserra sa prise, avant de ramasser Arlax qui traînait encore au sol en se plaignant de la saleté de ce dernier.
L'incident avait été le point d'attention d'une partie de la tente-hôpital et, à présent, les regards se détournaient et les infirmiers revenaient à leur travail.

"Merci." bougonna Baldrisson, en ajoutant un grommellement sur le fait que "Tout ça n'était pas naturel".
Il se redressa et s'assit sur le bord du lit, avant de hausser un sourcil en voyant qu'en effet, la personne qui l'avait soignée n'était pas du tout naturelle : son corps en entier ressemblait à une limace, que ce soit sa peau ou ses jambes...
L'Humain était percplexe : il pensait avoir vu toute sorte de bizarrerie, mais cela était fort nouveau. Chez les Barbares, les enfants difformes étaient confiés à un clan particulier : il s'agissait du seul clan qui n'offrait aucun candidat à la place de Roi Barbare, puisqu'il s'agissait de mystiques et de devins. Les enfants qui survivaient étaient, après un rituel initiatique, renvoyés à leurs tribus et devenaient des shamans, à moins qu'ils ne décident de prendre en charge l'éducation de la génération suivante.
Il était probable que les Habitants des Plaines agissent ainsi avec leurs enfants difformes, ce qui expliquait pourquoi son guérisseur était aussi étrange.

"Pardon, pour mon agression. C'était... Inconvenant."

Il passa sa main droite sur son visage, se frottant les yeux à l'aide de son pouce et de son index. Comme à chaque fois, il fut surpris de l'absence de son annulaire et de son auriculaire. Le Roi s'approcha de son lit, en tenant une gourde d'alcool pleine. Il s'assit près de Baldr et lui tendit la gourde. Le colosse la prit avec une certaine reconnaissance et en prit un gorgée, avant de la tendre à son guérisseur. Le Roi regardait ce dernier, une lueur de curiosité scintillant dans son œil unique.

"Je te remercie de prendre soin de mes enfants ainsi, jeune... Humain. Ta dévotion est exemplaire, malgré ton apparence des plus étranges. Si l'envie t'en prends, je t'invite à rejoindre le Clan Deurn. Ils sauront quoi faire de tes capacités, je pense."

Il prit à son tour une gorgée d'alcool et s'en fut aller visiter un autre blessé, après avoir félicité Baldr pour ses actes de bravoure durant le combat, sous-entendant qu'il recevrait, à l'instar des autres Guerriers-Loups survivants, une rémunération en bon or et argent.

Shaanlo sentit la poigne du Barbare se desserrer jusqu'à ce que ce dernier ne le lâchât complètement. Shaanlo se massa la gorge et déglutit. Drôle de façon de le remercier pour l'avoir soigné, mais compréhensible aussi. Ce n'était ni la première fois ni la dernière qu'une personne lui en voulait pour l'avoir couvert de son mucus de limace que tout le monde trouvait dégoûtant. Shaanlo aurait pu avoir un corps de chat, tout le monde l'aurait trouvé mignon ou juste bizarre, les Centaures n'avaient guère à se plaindre d'avoir un corps de cheval, ils ne dégoûtaient personne ; par contre, un corps de limace et tout le monde faisait la grimace. C'est marrant comme il y a certains animaux qui sont beaucoup plus mal considérés que les autres.

Le Barbare se pencha de l'autre côté pour ramasser le granl tombé par terre. Ce dernier se plaignait de la saleté, et quand le Barbare le reprit sur lui, Shaanlo put voir que la poussière du sol restée collée sur le gros cerveau gluant. Shaanlo ne savait que trop bien ce que c'était que d'avoir de la poussière ou autre chose qui restait collée sur soi. Enfin, le Barbare remercia Shaanlo, d'un ton bougon tout de même, se justifiant en pointant le fait que tout cela n'était pas naturel. Pas normal, oui, mais c'était naturel : Shaanlo était né ainsi, son corps était fait ainsi, c'était naturel à défaut d'être dans la norme. Mais on n'en était pas à jouer sur les mots. Shaanlo eut un petit sourire.

BALDRISSON – Pardon, pour mon agression. C'était... inconvenant.
SHAANLO – Ca va, ce n'est rien, je vous assure.

Le Barbare se frotta les yeux avec le pouce et l'index, et c'est seulement alors que Shaanlo s'aperçut qu'il lui manquait l'annulaire et l'auriculaire à cette main. Cela ne datait pas du combat qui venait d'avoir lieu, c'était déjà cicatrisé. C'était donc une mutilation ancienne.
Une personne approcha, Shaanlo leva la tête vers elle pour voir qu'il s'agissait du Roi des Barbares. Shaanlo courba le dos, s'inclinant respectueusement.

SHAANLO – Sire.

Ce n'était pas son souverain, il ne lui devait aucune obéissance, mais cela n'empêchait pas de le respecter en tant que Roi d'un peuple même isolé. Ledit Roi donna une gourde à Baldr qui put quelques gorgées dedans, et dévisagea Shaanlo avec un air de curiosité. Il lui manquait un œil, mais il avait un certain charisme. Il avait donné plutôt bonne impression à Shaanlo. C'était un roi qui aimait son peuple, cela se sentait.

Roi des Barbares – Je te remercie de prendre soin de mes enfants ainsi, jeune... Humain. Ta dévotion est exemplaire, malgré ton apparence des plus étranges. Si l'envie t'en prends, je t'invite à rejoindre le Clan Deurn. Ils sauront quoi faire de tes capacités, je pense.

Shaanlo s'inclina de nouveau pour répondre :

SHAANLO – C'est un honneur, je vous remercie et ne manquerai pas de considérer votre invitation.

Il remarqua seulement maintenant que le Barbare qu'il venait de soigner lui tendait depuis quelques secondes la gourde, lui offrant à boire. Shaanlo fut gêné, ne sachant pas s'il pouvait se permettre de boire ainsi devant le Roi, mais ne voulant pas non plus se montrer impoli en ignorant le geste du Barbare, il prit la gourde. Evidemment, à l'odeur, ce n'était pas de l'eau mais de l'alcool. Shaanlo n'était pas du tout un grand buveur, loin de là. Par politesse, il prit une petite gorgée. Ses boyaux se tordirent, sa gorge s'enflamma et il toussa comme un pauvre diable en rendant la gourde au Barbare. Il toussa encore et encore, et quand sa gorge se calma, ses antesses se replièrent en arrière dans une expression de gêne.

SHAANLO – Mes excuses, S... Sire...

Sa voix était encore nouée. Son visage était cramoisi. Ses antennes restères repliées.

L'étrange créature-limace ne semblait pas tenir l'alcool : il toussa comme un diable à s'en arracher la gorge et à cracher ses poumons, faisant naître un sourire sur le visage des deux Barbares. Pourtant, c'était un alcool traditionnel Barbare, à peine plus fort que du kvas Nain. Certes, le kvas Nain était techniquement peu alcoolisé, mais tout de même. Le visage du guérisseur était un peu cramoisi et il s'excusa auprès du Roi, qui s'en fut après avoir remercié à nouveau l'étrange hybride.
Le lendemain, de nombreux Barbares s'en étaient retournés dans leurs montagnes. D'autres, des blessés tels Baldrisson dans la majorité des cas, s'assemblèrent devant le Roi. A la surprise des Barbares, les guérisseurs telbarans étaient relativement tous compétents et ils pouvaient se tenir debout sans guère d'aide, ou bien en s'appuyant sur des cannes, voire sur leurs armes.

Le Roi se tenait en hauteur, sur un empilement de tonneaux. Son corbeau apprivoisé se tenait sur son épaule, calme. Le Chambellan conversait avec certains des officiers telbarans, non loin. Sa cape en peau d'ours drapait ses épaules. Il avait été vu, au milieu des combats, féroce guerrier égalant son Roi par ses exploits martiaux et il avait aisément gagné le respect des telbarans, il était logique qu'il fasse office de diplomate auprès d'eux.
Le Roi regarda ses sujets, avant de leur déclarer :

"Mes enfants, ce qu'il s'est passé hier est inacceptable et vous avez bien compris, j'espère, que je n'hésiterais pas à agir de la même façon avec les vôtres si cela se représente. Pour cela, il faut que certains d'entre vous partiez. Vous devez vous rendre dans les Trois Royaumes et devrez voir si il est possible de s'allier aux autres Humains."

Les Barbares présents acquiescèrent. Pour eux, les désirs du Roi étaient aussi sacrés que les plus divins des ordres. Baldrisson, sur les conseils d'Arlax, accepta de se rendre à Telbara. Alors qu'il préparait ses affaires, "son" guérisseur vint le voir.

Shaanlo avait peur de paraître impoli en toussant de la sorte à cause de l'alcool devant le Roi Barbare. Mais en fait, la seule chose qu'il inspira, fut l'hilarité. Rien de méchant, rien de vexant, mais aussi bien le Roi que le Barbare soigné par Shaanlo rirent en voyant ce dernier s'étouffer avec l'alcool. Parfois, au temple, il était proposé de l'hypocras aux dévots, mais même ça, Shaanlo y touchait très peu. Il devait bien reconnaître qu'il trouvait que ça avait bon goût, mais n'aimait pas trop en boire pour autant. Le seul alcool qu'il appréciait de boire, et qui même, à l'inverse des autres, le rendait “gourmand”, était la bière. Peut-être était-ce dû à son anatomie de limace qui représentait la plus grande part de son corps – les limaces et les escargots sont en effet très attirés par l'odeur et le goût de la bière, c'est même une méthode connue des agriculteurs, jardiniers et herboristes que de disposer des pièges à bière pour attirer les limaces et éviter qu'elles ne dévorent les cultures. En tout cas, Shaanlo aimait beaucoup la bière. Mais dans les temples, l'on n'en sert pas ; et Shaanlo n'était pas du genre à fréquenter les tavernes ou autres endroits où il pouvait boire cet alcool qui ravissait ses papilles et son nez. De toute façon, il préférait éviter de se laisser envoûter par l'arôme de la bière : il tenait mal la boisson était détester se trouver soûl. Mais mettez-lui une chope de bière sous le nez, et il aura beaucoup de mal à résister à l'envie de boire. Shaanlo avait entendu dire qu'il en était de même pour les Gupiles, ce qui corroborerait l'idée que cet organisme de limace soit responsable de ce péché mignon.

Le lendemain, les telbarans préparaient le convoi pour ramener les guérisseurs. Les bêtes étaient attelés, un inventaire fait sur les provisions, les chariots inspectés, l'itinéraire étudié. Pendant ce temps, le Roi Barbare faisait un discours à ses hommes, et Shaanlo, en retrait du convoi qui se préparait, écoutait. Le Roi Barbare voulait espérait entretenir de bonnes relations avec les trois Royaumes. Il désigna, pour partir dans chacun des trois Royaumes, une poignée de Barbares, trois ou quatre.
Comme par hasard, parmi les trois Barbares désignés pour partir pour le Royaume de Telbara, il y eut celui que Shaanlo avait soigné la veille et qui avait un ami granl.

Shaanlo rampa jusqu'à lui à la fin du discours du Roi alors que les Barbares se dispersaient. L'homme, le granl à côté de lui, préparait ses affaires pour le voyage.

SHAANLO – Alors vous partez pour le Royaume de Telbara ? Y êtes-vous déjà allés ?

L’étrange créature demanda à Baldrisson s’il était déjà allé à Telbara. Le Barbare le regarda et se gratta la barbe.

"Plusieurs fois, en vérité. La dernière fois, j’ai essayé de voir si la Guilde des Guerriers valait le coup. J’ai été déçu : la violence pure semble les rebuter…"

Pourtant, si l’on souhaitait montrer à son adversaire que l’on était capable de le dominer et de l’enterrer sous un déluge de coups, mieux valait montrer que l’on était le plus violent. Un adage en vigueur chez les Barbares résumait bien cette pensée : « Devant un mur, l’Elfe l’escalade, le Nain creuse en dessous, l’Halfelin ouvre la porte. Et le Barbare ? Il passe au travers. »

"Enfin, au moins j’ai pu m’amuser avec eux."

Il sangla sa besace et vérifia qu’il n’avait rien oublié. Quelques bandages, de la nourriture séchée, des flasques d'alcool Nains pour se réchauffer le soir, un briquet et de l'amadou, etc... Bref, il avait ce qu'il fallait pour tenir le coup pendant un bon moment. Arlax

"Toutefois, je ne me rendrais pas à la capitale de sitôt. C’est trop… Trop… Peuplé."

C’était surtout qu’il se sentait mal à l’aise, avec autant de races diverses. Les Nains, les Humains, voire même les Sang-Mêlés, il pouvait faire avec, mais les autres…
Un autre problème était qu’il ne connaissait guère le Royaume de Telbara, ayant tendance à suivre les routes tracées quand il escortait les marchands Nains. L’une des rares fois où il avait voyagé hors des sentiers battus, c’était quand il était en compagnie de ce Centaure… Comment s’appelait-il, déjà ? Il ne s’en souvenait plus. Qui plus est, il l’avait empêché d’affronter un squelette mouvant environné de brumes. Pourquoi ? Ce n’était qu’un squelette, après tout, un bon coup de hache suffisait à l’envoyer s’éparpiller dans tous les coins de la salle. Il soupira à ce souvenir.

"Dis-moi, je cherche un guide pour me diriger dans le Royaume de Telbara. Cela intéresserait ?"

Il était probable que son gluant interlocuteur ne connaisse pas plus que lui le Royaume, mais cette pensée passa largement au-dessus de la tête du Barbare et il ne s’en soucia pas du tout. Plus encore, l’étrange guérisseur accepta cette demande. Baldrisson réfléchit un instant et ouvrit sa besace, avant d’ouvrir les pans de sa bourse. Il fit un rapide calcul et regarda ensuite son nouveau guide.

"Je te propose une pièce d’argent par jour comme salaire. Pour la nourriture et le gite… Je ne sais pas encore comment nous nous y prendrons et nous verrons cela au moment voulu."

BALDRISSON – Plusieurs fois, en vérité. La dernière fois, j'ai essayé de voir si la Guilde des Guerriers valait le coup. J'ai été déçu : la violence pure semble les rebuter...

Shaanlo cacha tant bien que mal une grimace. Evidemment, il n'aimait pas la violence pure, et pour lui, c'était au contraire une très bonne chose si la Guilde des Guerriers était rebutée par les postulants qui privilégiaient cette manière d'agir. L'homme dont Shaanlo avait déjà oublié le nom – il l'avait juste entendu une fois prononcé par le granl dans la tente de soins – ajouta qu'il avait pu au moins s'amuser un peu avec eux. Que voulait-il dire ? Shaanlo n'osa pas poser la question.

BALDRISSON – Toutefois, je ne me rendrai pas à la capitale de sitôt. C'est trop... trop... peuplé.

Ca, c'est sûr que pour être peuplée, Telbara était peuplée. C'était, de ce que savait Shaanlo, la plus grande cité de tout le continent. La population de cette cité était non seulement la plus importante, mais aussi la plus variée. Shaanlo était attaché aux valeurs cosmopolites du Royaume de Telbara. C'était enrichissant de vivre chaque jour parmi des Halfelins, des Hommes-lézards, des Minotaures et des Xolons, pour ne citer que ces races. C'était une richesse dont étaient dépourvus les deux autres Royaumes, qui ne voyaient en les autres races que des esclaves. Shaanlo était bien sûr opposé à l'esclavagisme, c'était une idée qui le révoltait. Il aimait le Royaume de Telbara. Il faut dire qu'il y était né et que c'était sa culture d'origine. En tout cas, la culture des deux autres Royaumes ne lui faisaient pas envie.

BALDRISSON – Dis-moi, je cherche un guide pour me diriger dans le Royaume de Telbara. Cela t'intéresserait ?

Shaanlo haussa les sourcils un bref instant, surpris par cette proposition. Il regarda l'homme avec un début de sourire. Cet homme, aussi rustre fût-il, n'était pas trop dégoûté par la malformation physique de Shaanlo. Les Humains détestaient les limaces, Shaanlo ne le savait que trop bien. Si c'était le cas de cet homme, alors il faisait l'effort de ne pas le montrer. Il pouvait proposer à n'importe quel autre soigneur telbaran de lui servir de guide, mais il venait de proposer cela à Shaanlo.

BALDRISSON – Je te propose une pièce d'argent par jour comme salaire. Pour la nourriture et le gite... Je ne sais pas encore comment nous nous y prendrons et nous verrons cela au moment voulu.

Une pièce d'argent par jour ?! Les paysans et les artisans des bas-quartiers rêveraient de percevoir un tel salaire journalier ! L'on pouvait en faire, des choses, avec une pièce d'argent par jour, surtout lorsque l'on n'était pas soumis aux mêmes impôts que lesdits paysans et artisans. Shaanlo n'aurait jamais imaginé que ce Barbare pût être si riche. A vrai dire, il était déjà très flatté d'être choisi comme guide, il n'aurait réclamé aucun salaire si le Barbare n'en avait pas parlé.

SHAANLO – Oh ! C'est... vraiment très généreux ! Sachez que ce serait un plaisir pour moi de remplir ce rôle, et vous m'honorez en me choisissant pour cela.

Shaanlo leva l'avant de son corps de limace, qui resta relié au sol par d'épais fils de mucus, afin de hausser sa tête au niveau de la poitrine de l'homme. Il lui tendit un bras.

SHAANLO – Je m'appelle Shaanlo, serviteur des dieux, et à votre service.

L'étrange créature parut estomaquée par le prix proposé par Baldrisson. Pour ce dernier, c'était quelque chose de normal : les Nains étaient prêts à payer ce prix pour s'assurer les services d'un Barbare. Comme ils les laissaient payer eux-même le gite et le couvert, ils ajoutaient généralement quelques pièces supplémentaires pour rembourser les frais des Humains. Après tout, ces derniers étaient bien moins âpres au gain que les Nains, même s'ils pouvaient faire preuve d'un esprit quelque peu retors en la matière. Toutefois, l'élan de reconnaissance de son interlocuteur le mettait mal à l'aise. Enfin, ce dernier s'étira et parvint à la hauteur du Barbare avant de décliner son identité : Shaanlo.

"Baldrisson. Et le golem à côté de moi s'appelle Arlax."

Le Barbare referma sa poigne de pierre sur la main frêle de Shaanlo. Puis, il lui donna deux pièces d'argent, en acompte. Le reste des comptes se ferait à la séparation. Le trio se mit en route, d'un pas tranquille, ce qui n'était pas au goût de Baldr, qui avait de grandes jambes. Il parvint à se trouver un rythme qui convenait à ceux de ses compagnons de route après deux bonnes heures de marche.
Ils s'arrêtèrent le soir pour bivouaquer, où il devisèrent longuement des Royaumes Barbares et Nains et du Royaume de Telbara.

Le lendemain, le ciel s'était chargé de quelques nuages, ce que fit remarquer le granl en grognant.
Baldrisson et lui commencèrent alors à échanger une petite série d'insultes basées sur le fait que l'un était une brute sans cervelle et l'autre un tas de boue ambulant. Cela se poursuivit durant une dizaine de minutes, sur toutes les déclinaisons possibles et imaginables, Baldrisson ajoutant quelques jurons Nains pour faire bonne mesure, réveillant Shaanlo par la même occasion.
Ils reprirent la route vers le Nord, traversant les Ganavarelles à un pas tranquille, jusqu'à parvenir à un étrange escarpement. Il s'agissait d'une faille qui semblait avoir été faite avec une lame géante. Baldrisson la désigna à Shaanlo :

"Qu'est-ce ?"

BALDRISSON – Baldrisson. Et le golem à côté de moi s'appelle Arlax.

Le golem, ou le granl ? Shaanlo n'était pas un expert au sujet des granls, d'autant qu'il ne lui avait été donné d'en voir que très peu de ses propres yeux, mais de ce qu'il savait, le granl était juste l'espèce de cerveau collant à deux bras. D'ailleurs, au tout début de leur rencontre, Shaanlo avait vu Baldrisson ramasser ce granl dans la tente de soin : le granl n'avait alors pas encore constitué de golem. Shaanlo était donc étonné que Baldrisson appelle Arlax l'ensemble du golem et pas seulement le granl. Un granl pouvait changer de golem à volonté, non ? Pendant que Baldrisson serra la main de Shaanlo, le jeune homme-limace se retint de toute réflexion, car après tout, Arlax était l'ami de Baldrisson et ce dernier en connaissait donc forcément beaucoup plus sur le sujet des granls que Shaanlo.

Baldrisson donna deux pièces d'argent à Shaanlo, et devant le regard interrogatif de ce dernier, expliqua qu'il s'agissait d'un acompte. Shaanlo se dit d'éviter de dilapider cet argent ; de toute façon, il n'avait déjà pas pensé à être payé, à la base, cet argent ne devait donc servir qu'à couvrir les faux frais. Le trio se mit en “marche” – terme qui s'appliquait bien à Baldrisson et Arlax mais uniquement de façon figurée à Shaanlo qui ne marchait pas mais rampait puisque dépourvu de jambes. Baldrisson ne fit pas de commentaire oral sur la lenteur relative de Shaanlo bien qu'il mît deux heures à trouver un rythme. Dans son golem, Arlax était assez lent également. En dépit de ce long corps de limace qui remplaçait ses jambes, Shaanlo pouvait tenir une vitesse de déplacement de trois kilomètres par heure sans effort. Il n'était donc pas aussi lent qu'un Gupile, cette créature commune avec laquelle Shaanlo avait le point commun d'être un homme-limace – quoique les Gupiles, eux, se tenaient droits, à taille humaine contrairement à Shaanlo, et n'avaient rien d'humain puisque leur peau jusqu'à la tête était celle d'une limace et que leur mucus suintait également du haut de leur corps. Un Humain pouvait marcher à quatre ou cinq kilomètres par heure, mais ne devait pas autant ralentir pour rester à la vitesse de Shaanlo qu'il le ferait pour un Gupile. Et de toute manière, Arlax faisait marcher son golem à la même vitesse que Shaanlo.

Il était du coup même étonnant que Baldrisson ait autant de peine à se caler à la vitesse de déplacement de Shaanlo et d'Arlax : Shaanlo s'était figuré qu'Arlax était un ami de Baldrisson et qu'ils n'en étaient pas à leur premier voyage. Soit il se trompait, soit il y avait une autre raison à l'instabilité de marche du Barbare. Autant poser la question, et puis cela répondrait à la curiosité :

SHAANLO – Arlax et vous, depuis combien de temps vous connaissez-vous ?

Il s'adressait à Baldrisson mais Arlax pouvait tout aussi bien répondre. C'est quand même Baldrisson qui répondit : environ deux mois. Les deux étaient donc amis depuis plus récemment que ce que s'était figuré Shaanlo, mais ils avaient quand même déjà dû voyager ensemble depuis ce temps, et cela n'expliquait donc pas l'instabilité de marche de Baldrisson pendant les deux premières heures de ce voyage. Il faut dire aussi que deux heures juste à se trouver un rythme de marche, c'est long, quoi qu'il en soit ; la raison était forcément ailleurs mais Shaanlo n'alla pas plus loin sur le sujet, d'une part pour ne pas mettre Baldrisson mal à l'aise, et d'autre part parce que c'était finalement sans aucune importance.

Autre chose titillait la curiosité de Shaanlo : Baldrisson avait dit que le golem s'appelait Arlax. Le golem, ou le granl ? Shaanlo voulait être sûr, aussi demanda-t-il directement au concerné :

SHAANLO – Arlax, c'est le nom de votre golem ?
ARLAX – Je suis un granl, mais apprendre la différence à quelqu'un d'aussi buté que lui relève de l'exploit !

Baldrisson répondit au granl par un geste obsène. Shaanlo fut un peu gêné, ne voulant pas être au centre de tirs d'insultes entre les deux amis. Au moins, il avait sa réponse : Arlax était bien le nom du granl uniquement, pas du golem. Il n'eut pas d'autres questions.

Le soir, ils firent leur premier bivouac dans les plaines. Autour du feu, ils discutèrent avec simplicité et bonne humeur. Shaanlo questionna Baldrisson au sujet des Royaumes Nains, sur lesquels le Barbare semblait en connaître un rayon, mais aussi sur sa propre tribu. Il y avait un lien entre les deux : la tribu de Barbares à laquelle appartenait Baldrisson était en contact avec des familles de Nains des Montagnes Dominantes. Quant à lui, Baldrisson posa plusieurs questions sur le Royaume de Telbara, naturellement.

Le lendemain, Shaanlo fut réveillé en dernier par une discussion un peu virulente entre Baldrisson et Arlax. Cela ressemblait à un concours d'insultes. Cela leur arrivait-il souvent ? En tout cas, le soleil était déjà levé, bien que voilé par plusieurs nuages qui laissaient augurer du mauvais temps pour la journée. Le golem d'Arlax étant constitué de terre, le granl eut à se plaindre, son golem risquait de partir en boue sous la pluie et de devenir inutilisable.

Il n'y eut rien de notable pendant le voyage jusqu'à ce que le trio arrivât devant une étrange faille géante dans le sol. C'était comme si un titan haut comme le ciel avait marqué le sol d'une entaille avec une épée à sa mesure. La faille devait s'étaler sur presque un kilomètre de longueur mais n'était curieusement pas si large : juste une demi-douzaine de mètres. Ni profonde : une dizaine de mètres. A l'échelle de sa longueur, l'on pouvait dire qu'elle était fine et peu profonde, finalement.

Baldrisson demanda ce que c'était. Shaanlo n'en avait absolument aucune idée, il n'avait jamais rencontré ce monument géologique. C'était pourtant quelque chose de remarquable. Il était difficile de dire si c'était naturel ou artificiel.

SHAANLO – Je n'en sais rien. Je n'ai jamais vu cela.

Shaanlo s'avança jusqu'au rebord, appréciant la profondeur de la faille. Il eut l'impression que plusieurs galeries souterraines débouchaient au fond de cette faille. Il commença à descendre la falaise, ceci sans la moindre difficulté puisque sa sole de reptation adhérait parfaitement dessus.

SHAANLO – C'est vraiment étrange. J'ai l'impression qu'il y a des galeries souterraines.

Shaanlo répondit qu’il ne savait pas ce que c’était. Baldr avait l’impression qu’un dieu ou qu’un formidable titan avait lâché là sa lourde lame après un éreintant combat. La créature-limace s’avança vers la faille et commença à ramper sur le « mur » de la faille, avant de dire qu’il semblait voir des galeries souterraines. Baldrisson s’avança et regarda à son tour. En effet, la faille en elle-même était profonde : au moins une quarantaine de pieds. Poussé par la curiosité, il rangea son arme et fit signe à Arlax et à Shaanlo qu’il allait descendre.
Il s’accrocha aux escarpements rocheux, sa main droite tremblante à cause de ses doigts manquants. Ses muscles étaient bandés sous l’effort et il parvint en bas un peu essoufflé, la sueur coulant sur son visage et son corps. Il regarda autour de lui. En effet, il se trouvait quelques galeries souterraines, dont certaines accessibles uniquement par l’escalade et l’utilisation de cordes, au moins, ce dont il n’était guère pourvu. Baldrisson leva la tête :

"Vous pouvez descendre ! Pour l’instant, c’est sans danger !"

Il reprit son arme en main, alors qu’Arlax, en descendant, finit par faire s’écrouler son golem, avant d’être rattrapé, de peu, par le Barbare. Ce dernier le posa au sol, le temps que le granl puisse se recréer un corps. Le colosse expliqua qu’il y avait bien des galeries souterraines, comme l’avait dit l’hybride, mais que la plupart étaient inaccessibles. Il regarda vers sa droite et désigna la plus grande d’entre elles. Après tout, si elle était grande, il y avait des chances pour que, si créatures il y avait, les plus grosses se trouvaient là-bas. Enfin, logiquement. Il prit la tête de la petite troupe et s’engagea dans le tunnel.

Il put rapidement se rendre compte que cela n’avait pas été fait par la nature : il avait parcouru assez de tunnels Nains pour s’en rendre compte. Ce qui l’intriguait, c’était qu’il ne reconnaissait pas le genre d’outil utilisé pour creuser ces pierres. Il s’approcha d’une des parois et, profitant du peu de clarté qu’il restait et l’examina, passant sa main droite dessus. Il semblait que la roche avait été creusée à l’aide de griffes, comme l’en attestaient les sillons qu’il sentait sous ses doigts.
Il grommela quelque chose en Nain et fouilla sa besace, avant de faire une torche improvisée. Il battit le briquet et l’embrasa, avant de reprendre sa route.

"Prenez garde. Ces galeries ne sont pas naturelles."

…………………………………………………………………………

Les bruits de pas des étrangers avaient éveillé, au cœur de ce labyrinthe, une créature disgracieuse, un monstre endormi depuis des lustres. Ses yeux s’ouvrirent alors que, autour de lui, ses enfants sortaient à leur tour de leur sommeil. Ces derniers sur ordre de leur monstrueux parent, s’en furent dans les galeries dans un vacarme de cliquètements pour rabattre les proies vers la salle. Le monstre, au cœur de sa toile, se tapit, attendant son heure.

Baldrisson se pencha pour observer par lui-même, et décida de descendre lui aussi. Il rangea son arme et chercha les appuis qu'il put trouver sur la paroi, pendant que Shaanlo continuait de ramper à la verticale. Avec un dernier petit bond, il atterrit au fond de la faille. Il signifia à Arlax et à Shaanlo que c'était sans danger et qu'ils pouvaient descendre. Il était marrant : Shaanlo ne l'avait pas attendu pour cela, et il avait déjà pratiquement fini de descendre la paroi. L'homme-limace atteignit en effet le fond et rejoignit Baldrisson seulement trois secondes après.

Pour Arlax, ce fut plus compliqué. Son golem fut moins précis à prendre appui et à répartir son poids. Il s'écroula et chuta. Le granl fut de justesse rattrapé par son ami. Beaux réflexes, Baldrisson ! Le golem de terre s'éparpilla par terre. Au moins, ici, le granl avait ce qu'il lui fallait pour lever un golem plus solide, en roche. C'est d'ailleurs ce qu'il fit après que Baldrisson l'eut posé au sol. Le Barbare avisa que plusieurs galeries étaient inaccessibles. Qu'il parle pour lui ! Elles ne l'étaient nullement pour Shaanlo. Elles ne débouchaient pas au niveau du fond de la faille, certes. L'homme-limace pouvait toujours les atteindre sans avoir besoin d'“escalader” quoi que ce soit, aussi facilement qu'il était descendu. Il ne dit rien car, de toute façon, cela n'avait pas grand intérêt : autant éviter de se séparer pour le moment et explorer ces galeries tous ensemble.

Baldrisson alluma une torche et ouvrit la marche dans l'une des galeries. Il examina les parois, les tâtonnant même, comme s'il avait une expertise à faire partager. En effet, il mit en garde ses deux compagnons sur le fait que ces galeries n'étaient pas naturelles. Shaanlo n'aurait absolument pas su le dire, mais il fit confiance au Barbare qui avait l'air sûr de lui.

Le petit groupe insolite comprenant le Barbare Humain, l'homme-limace et le granl sur son golem de pierre, continua sa progression pendant quelques instants, jusqu'à ce que Shaanlo perçoive d'infimes vibrations par son pied de limace. Il fit s'arrêter ses deux compagnons :

SHAANLO – Attendez...

Lui-même à l'arrêt, il se concentra, étalant sa sole le plus possible sur le sol. Les vibrations faisaient comme penser à un roulis d'une multitude de cailloux. Une sorte de pluie qui se déplaçait. Ou plutôt, comme si une nuée d'insectes géants se déplaçaient.
Et se déplaçaient vers eux.

SHAANLO – Quelque chose approche, j'ai l'impression.

Le jeune homme-limace se déplaça pour se coller sur un mur. Les vibrations restèrent identiques. De plus en plus proches. Rencontre dans une quinzaine de secondes tout au plus.

SHAANLO – Ce n'est pas qu'au sol. Ca arrive sur nous maintenant, préparez-vous !

Le groupe continua son chemin, avant que Shaanlo ne fasse signe de s’arrêter. Baldrisson se tourna vers lui, un sourcil haussé en voyant le corps gluant s’afaisser et s’étaler au sol, avant de prévenir ses compagnons : quelque chose arrivait. Il se colla ensuite à un mur et leur annonça que, quelques soient les créatures venant à leur rencontre, elles marchaient aussi bien sur les parois que sur le sol.
Baldrisson empoigna sa lourde hache et se mit en position, tandis qu’Arlax modifiait son golem pour lui faire prendre une forme plus offensive, avec un bouclier et un marteau.
Le Barbare entendit à son tour les cliquètements rapides des arrivants et parvint à distinguer, au loin, des formes monstrueuses s’approchant d’eux. Il lança sa torche en leur direction, à la fois pour mieux les apercevoir, mais aussi pour tenter de les effrayer.
Il vit alors des créatures difformes, ressemblant à un hideux mélange d’araignées et d’Elfes à la peau sombre, à l’instar des Centaures. Elles agitaient, pour certaines, des lames effilées et autres armes de fortunes, tout en se dirigeant vers le trio.

"Préparez-vous !"

Une des créatures, qui se tenait au plafond, chercha à l’écraser sous son poids en lui tombant dessus. L’Humain esquiva l’attaque de peu, mais sentit sa jambe griffée par une des pattes de son adversaire. Il jura et fit un moulinet de sa hache, avant de la planter dans la colonne vertébrale de la créature, en poussant un grognement sourd.
Il se remit en position et attendit la suite de la charge, Arlax à ses côtés. Le sang battait à ses tempes et il ressentait déjà cette rage calme propre à la fureur des Guerriers-Loups.
Poussant un grognement sourd, il se jeta en direction de la horde grouillante venant vers lui.

…………………………………………………………………

Le monstre, au cœur de sa toile, attendait que ses enfants rabattent les proies vers elle. Née il y a si longtemps qu’elle ne se souvenait plus de son âge, elle avait été rejetée à cause de sa difformité par ses pairs, condamnée à se terrer dans de sombres tunnels. Là, elle découvrit d’anciennes ruines Drows, loin sous la terre, où elle exhuma d’anciens secrets concernant la magie et s’en servit pour devenir plus puissante encore. Elle revint ensuite chez les siens et les tua, avant de les dévorer. Elle s’accoupla avec quelques mâles, qu’elle consomma par la suite, avant d’engendrer ses propres rejetons qu’elle utilisa pour chasser à sa place, les dominant à l’aide de sa magie.

Elle regarda les cocons qui étaient cachés derrière ses toiles. Cela ne lui faisait rien, que ses enfants périssent. D’autres n’allaient pas tarder à prendre leurs places.

Baldrisson lança sa torche en avant pour mieux voir les silhouettes qui les chargeaient. Cinq Arachnéens, armés différemment. Cependant, sans sa magie, Shaanlo serait bien vulnérable même contre un Arachnéen tenant une arme de fortune. Il allait donc devoir à la fois se défendre avec sa magie, et protéger Baldrisson. Il avait déjà vécu ce genre de situations. C'était son rôle. Il n'était pas un combattant.
L'un des cinq Arachnéens arrivait par le plafond. Il était un peu en avant des quatre autres, parmi lesquels deux occupaient les parois et les deux autres le sol. Le golem d'Arlax se changea un peu : ses bras de pierre se façonnèrent en un marteau et un bouclier. C'était assez fascinant, en dépit de ce que Shaanlo avait pu entendre de négatif sur les granls.

L'Arachnéen sur le plafond se laissa tomber sur Baldrisson pour l'attaquer. Shaanlo tendit un bras pour lancer son sort d' “encaissement” sur le Barbare. Ce dernier reçut une griffure mais réussit à planter sa hache dans le dos de l'Arachnéen. Cela en faisait déjà un de moins. Il en restait quatre.
L'Arachnéen qui se trouvait sur la même paroi que Shaanlo contourna l'homme-limace en se jouant du manque de mobilité de ce dernier. Quand il voulut l'attaquer, sa lance se heurta à un bouclier magique. Shaanlo avait eu le temps de lancer ce sort dans son dos, sachant qu'il était incapable d'esquiver. La lance de l'Arachnéen était de si mauvaise qualité qu'elle failli se casser en deux à l'impact sur le bouclier.

L'Arachnéen, un peu furieux, se dressa sur ses quatre pattes postérieures et griffa le bouclier frénétiquement avec ses deux autres paires de pattes, d'un air rageur. Shaanlo plia ses antennes dans une expression d'effroi. Pour l'instant, son bouclier tenait bon, les Arachnéens n'étant pas pourvus d'une force impressionnante. Il tourna la tête pour voir que Baldrisson s'était avancé pour faire face à deux autres Arachnéens. Le dernier avait atteint Arlax. Shaanlo tendit le bras pour lancer un second sort sur Baldrisson, de “furie animale” cette fois.

L'homme-limace commença à ramper dans l'une des cinq directions qu'offrait l'intersection où ils se trouvaient. Bizarrement, l'Arachnéen qui l'avait pris pour cible, ne contourna pas le bouclier magique, comme s'il s'en moquait de le tuer. Il était pourtant des plus faciles que de rattraper l'homme-limace incapable de ramper moins lentement qu'à cinq kilomètres par heure. Shaanlo eut toutefois l'idée, par habitude il fallait dire, de se lancer sur lui son sorte de “contre-lenteur”. Il put ainsi ramper à une allure surprenante compte tenu de son corps de limace. De son côté, Baldrisson devait toujours profiter de l'effet du sort “Encaissement” en plus de “Furie animale”.

Baldrisson faisait face à trois Arachnéens. Son cœur battait dans sa poitrine, le sang cognant à ses tempes. A ses yeux, ses adversaires semblaient se déplacer au ralenti. Plus encore qu’à l’ordinaire, il se sentait véritablement invincible, à l’égal des dieux qu’il révérait habituellement avant le combat. Les muscles bandés, il faisait de grands moulinets de sa hache, tournant sur lui-même et tranchant dans le tas, riant et chantant un antique chant païen à la gloire des dieux lui offrant ce combat.
Arlax, près de lui, achevait à l’aide de son marteau les Arachnéens blessés. Ce fut lui qui remarqua que le flot d’ennemi ne semblait tarir. Il le fit remarquer au Barbare, ajoutant qu’il devenait de plus en plus difficile de rester en équilibre. Baldrisson se tourna, un sourire sadique dessiné sur les lèvres et acquiesça. Le granl entra dans un boyau, tandis que l’Humain se chargeait de ralentir les Arachnéens.

Les créatures arachnéennes cessèrent le combat et se mirent hors de portée de la hache du Barbare. Ce dernier, quelque peu incrédule, fit deux pas et chercha à frapper de nouveau, mais les monstres l’esquivèrent, se débandèrent, avant de se regrouper de façon à ce que le colosse ne puisse sortir du boyau.
Arlax l’appela, à l’autre bout du tunnel et le Barbare le rejoignit, à reculons pour prévenir une attaque des créatures. Il arriva près du granl, qui avait rejoint Shaanlo. Baldrisson haussa un sourcil, sous l’effet de la surprise.

Devant eux se tenait une immense Arachnéenne. Sa partie Humaine était entièrement dénudée, sa peau était d’albâtre, sa poitrine celle d’une jouvencelle bien formée et ses longs cheveux noirs couvraient un visage fin et racé. Sa partie arachnoïde, toutefois… Enorme, bouffie, couverte d’une chitine d’ébène. Une sorte de tête hideuse clignait de ses yeux rougeoyants, ouvrait une bouche déversant une bave écarlate corrosive.
Baldrisson donna un coup de coude à Shaanlo :

"On peut dire ce que l’on veut mais… Quel abdomen."

L’Arachnéenne chargea Shaanlo. Arlax poussa ce dernier sur le côté et fut projeté en arrière par l’impact avec la tête arachnoïde. Baldrisson fit une roulade au sol pour esquiver les pattes et se redressa à-demi sous l’abdomen. Ne pouvant se mouvoir comme il le souhaitait, il chercha à frapper au mieux ce point faible, mais ne put que mettre un coup avec le manche de sa hache. L’Arachnéenne monstrueuse se dressa sur ses pattes, tout en empêchant le Barbare de s’échapper. Un dard jaillit et elle s’abattit sur sa proie. Ce dernier ne sentit pas la pointe s’enfoncer dans son épaule. Il fut projeté en avant et se releva avec une certaine difficulté. De la sueur perlait à son front, sa peau était brûlante, mais sa rage berserk était pour l’instant la plus forte.
Il poussa un rugissement de bête sauvage et chargea son adversaire.

Baldrisson se chargea de tenir les Arachnéens en respect. Seuls quelques uns étaient morts et ils avaient toujours l'avantage numérique. Baldrisson semblait être un foudre de guerre, et exalté par les sorts de Shaanlo, il semblait purement invincible. Avec Arlax à ses côtés, c'est comme si rien n'était en mesure d'arrêter le trio. Et encore, Shaanlo n'était pas très puissant magiquement... Les Arachnéens n'étaient pas dénués d'instinct de survie, et malgré leur avantage numérique, ils comprirent qu'il valait mieux pour eux de se tenir à distance. A moins que ce ne soit un piège...

Car en effet, quand Baldrisson rejoignit Arlax et Shaanlo, et que le trio s'avança dans la seule galerie qu'il leur était permis d'emprunter à cet instant, ils se retrouvèrent confrontés... à une aberration. Il n'y avait pas d'autres mots pour la décrire. La “femelle” qui se tenait devant eux était aussi normale pour une Arachnéenne que Shaanlo pouvait être normal pour un Humain. La partie inférieure de son corps ne ressemblait plus que vaguement à une araignée. C'est comme si des années de magie noire l'avait altérée à jamais et en avait fait quelque chose que les Arachnéens eux-mêmes qualifieraient de monstruosité.

Il était évident que cette créature infâme commandait à tous les Arachnéens de ces galeries. La tuer, c'était désolidariser leur troupe, et le seul moyen de sortir de cet endroit vivant.

BALDRISSON – On peut dire ce que l'on veut mais... quel abdomen.

Shaanlo ne sut s'il devait se sentir rassuré d'être accompagné de quelqu'un qui trouvait le moyen de faire de l'humour dans pareilles circonstances. Soit Baldrisson était vraiment sûr de ses capacités martiales, dont il avait en partie démontré l'étendue, soit il était insouciant. Shaanlo, lui, en tout cas, fut effrayé. D'autant plus que c'est lui que le monstre chargea, l'estimant sans doute le plus faible du trio.

Arlax voulut pousser Shaanlo, mais comment pousser un homme-limace qui collait au sol ? Toutefois, la force de son golem fit glisser l'homme-limace sur un mètre, et le granl vit sa carcasse de roche se faire percuter avec vigueur. Shaanlo vit Baldrisson essayer d'attaquer l'abdomen. Un gros abdomen en effet. La créature monstrueuse ne se laissa pas faire et dut se défendre contre le meilleur combattant du trio. Elle réussit à lui planter un dard dans l'épaule, mais Baldrisson n'eut même pas l'air d'en sentir une quelconque douleur.

Baldrisson chargea encore le monstre, mais ce dernier se décala pour esquiver. Shaanlo invoqua alors un mur de lumière pour parer une riposte qui aurait pu blesser encore le Barbare. Il trouva ensuite un angle parfait pour lancer son unique mais puissant sort offensif sans avoir Baldrisson dans la colonne d'effet : une vague d'onde solaire inonda l'Arachnéenne mutante, qui hurla de douleur en se tortillant, surprise par cette attaque qu'elle n'avait pas vue venir. Elle était affaiblie et temporairement à la merci de Baldrisson, qui était toujours sous l'effet de “Furie animale” bien que le sort fût bientôt sur sa fin.

Baldrisson avait été repoussé par le monstre. Il sentait que quelque chose s’insinuait dans son corps, depuis qu’il avait été touché par le dard, un feu embrasait ses veines, mais sa rage de Guerrier-Loup l’emportait encore. Une lumière vive envahit la pièce et il jura en patois Barbare en se frottant ses yeux aveuglés. Qu’est-ce qu’il s’était passé ? Il entendait l’Arachnéenne hurler de douleur tout en bougeant en tous sens. Le Barbare fut alors fauché par un coup de pattes et fut projeté en arrière. Il roula au sol et s’arrêta sur une toile où il commença à s’empêtrer.
L’Humain se leva en se débattant et vit que l’Arachnéenne s’acharnait sur Arlax et Shaanlo. Le granl avait réussi à conserver un demi-golem et avait son bouclier levé pour se protéger des coups de pattes de la créature.

Le colosse se releva, difficilement, et bascula en arrière alors qu’il perdait l’équilibre.
Il tomba hors de la toile tissée, sur un sol étrange, humide, gluant, qui craqua sous son poids. Il regarda alentour et vit qu’il était entouré par de nombreux œufs d’araignées. Il semblait qu’il avait atterri là où l’Arachnéenne mutante « pondait » ses enfants. Il frémit et se releva, couvert de fluides étranges et de toiles d’araignées. Il dégaina une lame et commença à transpercer les œufs qui l’entouraient.
La monstrueuse créature, sans doute mue par quelques instincts maternels, se retourna et chargea Baldrisson. Ce dernier l’esquiva, de peu, et parvint à atteindre sa hache qui était tombée au sol. Il se mit en position et attendit la prochaine attaque, alors qu’il sentait ses réflexes s’amoindrir.

La créature incanta dans une langue inconnue du colosse et fit un geste en sa direction. Des pics jaillirent de l’ombre et foncèrent sur l’Humain. Ce dernier en esquiva une partie, même s’il senti son épaule blessée être touchée par cette magie étrange. La créature le chargea, sa bouche monstrueuse grande ouverte pour le dévorer. Baldrisson donna un coup de hache de haut en bas et entailla profondément cette gueule baveuse. Sans s’arrêter, il frappa encore et encore, inspirant entre chaque coups et expirant au moment où sa hache Naine touchait l’Arachnéenne.
Il trancha deux des pattes à l’aide d’un violent revers, forçant son adversaire à mettre sa partie Humaine à son niveau. Un sourire carnassier sur ses lèvres, Baldrisson pivota et décapita l’Arachnéenne. La tête vola dans les airs, avant de rebondir à deux reprises pour finalement rouler au sol, tandis que le corps titanesque s’affaissait totalement.
Le Barbare s’approcha de Shaanlo, avant de prendre appui sur sa hache et de rendre son petit-déjeuner. Il s’avança encore, avant de s’écrouler au sol, tandis que le venin neurotoxique injecté par son adversaire à l’aide de son dard prenait enfin effet.

Malheureusement, en s'agitant sous la douleur, le monstre faucha Baldrisson avec une patte et le projeta en arrière. Baldrisson atterrit dans un amas de toile gluante et s'empêtra dedans. Le monstre changea alors de cible pour s'en prendre à Arlax et à Shaanlo. Le granl utilisa le bouclier de son golem pour parer les premières attaques, mais Shaanlo généra un bouclier de lumière, couvrant plus de surface.

SHAANLO – Je la retiens, allez vite aider Baldrisson à se dépêtrer !

C'est dans ce genre de situations tendues que Shaanlo se découvrait un courage qu'il ne connaissait pas. Le monstre s'acharna sur son bouclier, laissant Arlax aider Baldrisson. Shaanlo savait que sans aide extérieure, aucun Humain n'était en mesure de se décoller d'une toile d'Arachnéen. Bon, ce monstre qu'ils affrontaient n'avaient plus grand-chose d'un Arachnéen normal, mais ses toiles ne devaient pas être moins retorses. Shaanlo était un homme-limace et de ce fait plus lent que le granl dans son golem de roche. Or, il fallait agir vite. Et de plus, Shaanlo n'avait rien pour aider Baldrisson à se dépêtrer, tandis qu'Arlax pouvait utiliser les bras de son golem.

Afin de gagner du temps pour résister au monstre et permettre à Arlax de libérer Baldrisson sans que le monstre n'aille s'en prendre à eux, Shaanlo généra une bille de lumière, ferma les yeux et éclata la bille entre lui et le monde. Un flash extrêmement lumineux frappa la cavité, et aveugla le monstre qui poussa un cri suraigu. Quand il revint à lui, le monstre tourna la tête à un son caractéristique auquel Shaanlo ne prêta même pas attention : celui d'œufs se faisant écraser. La mère chargea Baldrisson, et attaqua pour la première fois en usant de magie. Le Barbare riposta en enchaînant les attaques avec vigueur et précision. Crispé, Shaanlo ne souffla que lorsque Baldrisson trancha les deux premières pattes avant du monstre puis le décapita.

SHAANLO – Vous avez réussi !

Baldrisson s'approcha de Shaanlo. Il titubait. Il vomit, fit encore quelques pas, et s'effrondra. Shaanlo rampa vers lui et utilisa son mucus, rendu réparateur par sa magie, pour refermer les plaies du Barbare, sauf une : celle du dard. Elle était sûrement empoisonnée, et si Shaanlo la refermait, le poison ne pourrait plus être extrait. Il fallait appliquer un antidote sur cette plaie, mais Shaanlo n'en connaissait pas. Il s'entraînait à utiliser sa magie pour guérir les poisons mais n'était pas encore au point là-dessus. Il fit tout de même une tentative sur Baldrisson... il y était presque... mais le sort échoua.

SHAANLO – Il est empoissoné. Arlax, il faut le porter jusqu'à quelqu'un qui pourra le soigner ! Je ne sais pas encore faire cela ! J'essaie d'apprendre mais je n'y arrive pas encore !

La voix de Shaanlo tremblait sous l'anxiété, il semblait presque sur le point de pleurer comme s'il se reprochait de ne pas être encore capable de guérir le poison par sa magie, et il avait peur qu'Arlax ou que Baldrisson lui en veuille.

Baldrisson s’éveilla difficilement, nauséeux. Il était allongé sur un lit inconfortable parce qu’inadapté à sa taille : ses deux jambes reposaient sur des tabourets placés là pour le garder en position horizontale. Son torse était bandé, tout comme ses jambes. Il voulut se relever et tomba au sol. Des mains calleuses et robustes l’aidèrent à se relever. Il cligna des yeux et se retrouva nez-à-barbe avec la figure inquiète d’un Nain.
Le colosse eut un haut-le-cœur et le Nain lui tendit une vasque, dans laquelle il rendit son petit-déjeuner, tout en se demandant où il avait pu manger des carottes.

"Bordel… Qu’est-ce que je fous ici ?"

Le Nain lui tapota le dos, avec un sourire alors que le Barbare grimaçait en sentant la main calleuse réveiller ses blessures. L’Humain parvint à se relever et jura alors qu’il comprenait qu’il était obligé de rester penché : cette chambre était conçue pour les Nains et n’était donc pas du tout adaptée à sa taille. Il sortit de la pièce et se trouva dans une salle plus haute, creusée dans la pierre. Au centre, plusieurs tables de bois étaient assemblées. Quelques Nains s’affairaient ici et là. Au vu des installations visibles, il semblait qu’il se trouvait dans une mine, ce qui l’étonna quelque peu. On le guida jusqu’à une table, où on lui servit de la viande et de la bière, avant de lui expliquer quelle était la situation : sous les Ganavarelles couraient un réseau minier créé par des Nains, qui creusaient le sol à la recherche de minerais rares et précieux pour le compte du Clan Orvar. Plusieurs tunnels avaient été condamnés, ou du moins étaient surveillés car ils menaient à une vieille colonie d’Arachnéens. Toutefois, deux jours plus tôt, ces détestables créatures avaient fuis les tunnels où elles étaient retranchées, paniquées. Plusieurs d’entre elles avaient été mises en pièces par les Nains, sans même chercher à se défendre, les autres s’enfuirent hors des tunnels.

Plusieurs Nains remontèrent la piste laissée par les Arachnéens pour découvrir finalement un golem près d’un homme-limace. Tous deux étaient auprès d’un Baldrisson inconscient, alors que le corps bouffi et mutilé d’une Arachnéenne géante et quelque peu mutante gisait près d’eux. Les Nains, après avoir appris quelle était la situation, emportèrent le corps du Barbare avec eux pour prendre soin de lui, tandis que ses compagnons de route étaient menés dans les galeries jusqu’à l’un des villages souterrains où vivaient les Nains.
On guida le Barbare, après qu’il se soit restauré, vers les baraquements où se reposaient Shaanlo et Arlax. Ces derniers étaient dans une pièce haute de plafond, à priori utilisée pour ranger certaines fournitures mais qui était, pour le moment inoccupée, comme le prouvaient la poussière au sol et les lits de camps placés là à la hâte.

"Et bien, te voilà de retour d’entre les morts ! Comment te sens-tu ?"

"Mis à part mon bras droit qui reste encore difficile à bouger… Ça va. Et vous ?"

Shaanlo attendait avec Arlax dans une maison d'un village souterrain. A cette endroit des Ganavarelles, des Nains avaient construit une mine et son petit réseau de galeries. Un village minier s'y était même développé. Il n'y avait que des Nains de toute façon pour fonder un village souterrain de cette manière. Normalement, l'on bâtit un village à l'extérieur d'une mine, à proximité certes, mais dehors. Non, les Nains qui avaient construit cette mine avaient voulu le village sous terre. C'était une idée assez saugrenue, mais pas surprenante venant de cette race. Et puisque seuls des Nains y travaillaient et y vivaient, cela ne posait de problème à personne.

Les Arachnéens rencontrés par Baldrisson, Arlax et Shaanlo avaient créé un nid dans l'une des galeries construites par les Nains. En revanche, la faille gigantesque à la surface, par laquelle le trio était descendu, n'avait pas été faite par les Nains. Puisque ce n'était pas naturel non plus, la seule explication était l'activité magique de la femelle mutante. Déjà, première chose qui clochait : elle avait commencé à fonder une – très petite – colonie, or les Arachnéens ne vivent pas en colonies et ne pondent jamais autant d'œufs. Malgré leur corps d'araignée, les femelles Arachnéennes n'engendrent pas plus d'enfants que des Humaines, en général. Cette femelle mutante, elle, avait fait un nid couvant des dizaines d'œufs. Sa mutation avait donc profondément altéré son organisme. Une telle altération magique pouvait laisser supposer qu'elle était aussi à l'origine de cette faille géante à la surface.

Les Nains de ce village minier avait dû combattre les Arachnéens, et c'est à la suite d'un affrontement qu'ils étaient remontés jusqu'à la femelle mutante et avait trouvé Arlax et Shaanlo, auprès du Barbare semi-inconscient à cause du venin. Ils les avaient pris en charge, avançant que c'était bien la moindre des choses qu'ils pouvaient faire compte tenu que le trio venait d'éliminer le fléau qui menaçait leur mine et leur village.

Shaanlo avait pu dormir mais, inquiet pour Baldrisson, son sommeil n'avait pas été très profond. Le Barbare entra dans la pièce poussiéreuse dans la matinée. Il avait l'air en forme.

ARLAX – Et bien, te voilà de retour d'entre les morts ! Comment te sens-tu ?
BALDRISSON – Mis à part mon bras droit qui reste encore difficile à bouger... ça va. Et vous ?

L'homme-limace lui offrit un sourire sincèrement rassuré et rampa jusqu'à lui.

SHAANLO – Heureux de vous revoir, Baldrisson. Surtout, heureux de vous voir en forme. Les Nains ont réussi à éliminer les toxines ?

Il laissa le Barbare le rassurer sur son état, puis, avisant qu'il restait encore de la route jusqu'à Telbara, invita ses compagnons à repartir :

SHAANLO – N'abusons pas de l'hospitalité de ces Nains. Si vous vous sentez prêt à repartir, je le suis aussi. Telbara vous attend.

Le Barbare toucha son bras droit. Il recommençait doucement à le sentir, mais supposait qu’il allait lui falloir encore un peu de temps pour pouvoir l’utiliser comme avant. Il avait l’impression qu’il avait dormi allongé dessus pendant trois jours, tant ce dernier restait engourdi. Shaanlo proposa de reprendre la route : ils avaient suffisamment abusés de l’hospitalité Naine. Baldrisson acquiesça et fit signe qu’il allait chercher ses affaires et retrouverait Arlax et l’Homme-Limace à la sortie de la mine. Il reprit sa hache, et remercia les Nains pour avoir refait le plein de provisions, leur donnant une pièce d’or en dédommagement.

Une fois sortis de la mine, le trio reprit son chemin vers l’Est. Ils arrivèrent quelques jours plus tard à la ville « la plus occidentale » de Telbara, Port-Barbe. Là, Baldrisson s’enquit des directions à prendre pour mener à bien la mission qui avait été confiée à lui et aux siens par le Roi Barbare : en savoir plus au sujet des habitants des Plaines, dans l’éventualité d’une alliance avec eux.
Considérant qu’à cet endroit, il était capable de se repérer et de guider Arlax dans les terres telbaranes, il fit ses comptes avec Shaanlo et ils se séparèrent après avoir bu une dernière bière. Le colosse et le granl restèrent, de leur côté, à Port-Barbe, à la fois dans le but de se réapprovisionner, mais aussi pour permettre à l’Humain de se remettre entièrement des effets du venin neurotoxique. Ce dernier s’exerçait quotidiennement à plier et déplier le bras, à serrer son poing droit : malgré les soins des Nains, les courbatures et l’engourdissement tardaient à disparaître.

Ce fut une bonne semaine plus tard, quand il jugea qu'il était capable d'utiliser sa hache à deux mains sans guère de problèmes, que lui et le granl reprirent leurs chemins vers l'intérieur des terres du Royaume de Telbara.