Le bon moment pour aller cueillir des champignons

Il s'en était fallu de peu. Kormak avec des traces de morsure jusqu'aux chevilles. Entre ses orteils sales étaient encore coincés quelques restes d'une des créatures qu'il avait écrasé. Fleur le regarde avec un air interrogateur. Elle se demande comment ils vont remplir leur part du marché. Comme lui. Kormak, avec sa délicatesse, aurait bien proposé d'engager un mage, et lui demander balancer une gerbe de flammes dans la grotte, mais ainsi il allait probablement réduire également en cendres les précieux champignons.

Kormak s'assit en tailleur pour réfléchir, avant de s'allonger. Selon lui, c'était encore la meilleure position pour se creuser les méninges. Même si réfléchir avant d'agir n'était pas sa spécialité. Voyons voir... Les dieux seuls savaient combien ils pouvaient être là-dedans. Vu leurs comportements, il se dit que s'ils arrivaient à en tuer suffisamment, le reste s'enfuirait sans demander son reste. Les créatures - il n'était même pas capable de dire de quoi il s'agissait, même après avoir goûté la chair sur son pied - avaient l'avantage du nombre, et du lieu. Vu comment la façon dont ils avaient attaqué, il était plus que probable qu'ils pouvaient parfaitement voir dans le noir.

Il ne voyait que deux solutions possibles. La première était de leur rendre la monnaie de leur pièce. Ils les avaient forcé à battre en retraite en les aveuglant. Ils pourraient les aveugler, à l'aide d'un flash lumineux. Ou alors, ils pourraient aussi se camoufler dans les ombres, devenir invisibles, même pour eux. Peut-être qu'avec ses pouvoirs, Fleur pourrait faire cela.
L'autre solution, qui avait sa préférence, était de foncer tête baissée, de massacrer tout ce qui bougeait, et de récupérer les champignons. Mais ils ne pourraient pas faire ça seuls. Au fur et à mesure de ses interrogations, il les présenta à Fleur.

Kormak s’allonge par terre. Il se tait. Je crois qu’il est en pleine réflexion. Je m’assoie à côté et regarde la grotte. Si j’avais vu nos agresseurs, j’aurais pu nous faire apparaître identiques à eux. Ne pouvant nous reconnaître, le temps qu’ils comprennent que nous n'étions pas des leurs (puisque nous aurions une torche), nous aurions le temps de faire l’aller-retour et de récupérer les fameux champignons.

Kormak me propose deux solutions : disparaître à leurs yeux avec mes pouvoirs, ou les massacrer avec l’aide de quelqu’un d’autre. Le souci avec la deuxième solution, c'est qu’il faudrait encore diviser la récompense, ce qui ne m’enchante pas vraiment.

Fleur – On peut disparaître si je leur fais voir un mur entre eux et nous. Mais si on a de la lumière, je ne pourrais pas l’empêcher de se refléter sur les parois. Et s'ils veulent toucher le mur, ils comprendront l’illusion.

Mais théoriquement, ça pourrait marcher. Il nous faudrait juste être extrêmement rapide. Je me tais un instant. Puis je prononce doucement…

Fleur – Sinon, on pourrait tenter de discuter avec eux. Peut-être qu’ils comprennent notre langage et que ça ne les dérange pas de nous donner des champignons.

J’ajoute après une certaine hésitation :

Fleur – Je peux utiliser le sortilège que je t’ai lancé pour qu’ils… soient un peu plus influençables.

J’avale difficilement ma salive. Je repense aux mains de Kormak autour de ma gorge et la colère qui l’avait envahie la dernière fois que j’ai utilisé ce charme. J’espère qu’il ne s’emportera pas en entendant ma proposition.

Kormak grommela, ce qui ressemblait davantage à un grognement animal. Aucune des possibilités n'était idéale, mais il fallait bien faire quelque chose. Il repensa à la dernière fois que Fleur avait utilisé ses pouvoirs sur lui. Cela aurait pu très mal finir. Il préférerait recourir à la première solution, mais elle n'était pas satisfaisante. Nul ne pouvait savoir combien de temps ces choses mettraient à repérer la supercherie. Ils pourraient essayer de jouer la rapidité, mais cela supposait qu'ils aillent le plus profondément possible dans la grotte, qu'ils trouvent ces foutus champignons, et qu'ils ressortent. Si l'illusion était levé, il doutait fortement de leur capacité à sortir de cet enfer souterrain, en tous cas en un seul morceau.

Kormak n'aimait pas la perspective de devoir engager le dialogue avec ces créatures. Cela allait à l'encontre de tous ses instincts primitifs. Mais avec l'aide des pouvoirs de Fleur, cela restait la meilleure façon d'accomplir leur quête au plus vite. Il se redressa, et lui demanda s'il devait agir d'une manière particulière.

Le petit être s’approche un peu plus des intrus. Le demi-orc et l’humaine parlent. Il n’entend pas ce qu’ils disent. Il n’ose pas s’approcher plus. Ces deux voleurs sont forts, ils ont écrasés plusieurs membres de sa famille. Le demi-orc a marché sur deux de ses frères. Il les a écrabouillés. Et la perfide humaine a utilisé des armes de métal pour tuer sa sœur.

Les humains sont mauvais. Il faut tous les détruire !

Mais qu’est-ce qu’elle peut bien dire au demi-orc ? Et pourquoi est-il avec elle ? Il ne devrait pas. Il ne suit pas sa nature et déforme son mode de vie pour se plier à celui des humains.

Sous les effets du sortilège de la jeune humaine, la petite créature se met à plaindre le demi-orc. Surement a-t-il vécu des choses difficiles dans sa vie et son esprit a été plié par les Hommes, se dit-il. L'être s’approche un peu plus. Ce demi-orc, s'imagine-t-il, a besoin d’aide pour se libérer de ses entraves. Il faut lui apporter la vérité pour qu’il puisse à nouveau se comporter de façon naturelle, pas comme un demi-sang corrompu.

Il s’approche encore. L’humaine se retourne et le remarque. Elle va vers le demi-orc. Elle le touche avec ses mains rosâtres. Le demi-orc pourrait écraser la femme d’un simple geste. Il n’est pas normal qu’il ne le fasse pas. L’humaine se colle encore plus à lui. Pourquoi la laisse-t-il faire cela ? Pourquoi ne la tue-t-il pas ?

Plus la créature s’approche, plus le sortilège emporte son esprit. Il se met à plaindre, puis apprécier ce pauvre demi-orc.

Créature – Pourquoi toi laisser la humaine toucher toi ? La vraie nature de toi doit savoir ça est mal. Il faut tuer eux, ils sont mauvais.

L'humaine serre sa main rose sur la peau verte du demi-orc et se colle contre lui. La créature la regarde et fait un bruit qui ressemble au feulement d'un chat prêt à attaquer.

Il n'aura pas fallu longtemps pour voir les effets du sorts. Les gobelins - car c'était bien de ça qu'il s'agissait - avaient envoyé un éclaireur, qui ne tarda pas à tomber sous les charmes de Fleur. Il s'approchait avec méfiance. Il était seul, totalement à découvert, dans un milieu qui ne ressemblait en rien à une grotte, son milieu d'origine. Mais malgré ça, il continuait d'avancer, l'air mauvais. Il fixait Kormak comme s'il voyait une créature étrange.

– Pourquoi toi laisser la humaine toucher toi ? La vraie nature de toi doit savoir ça est mal. Il faut tuer eux, ils sont mauvais.

C'était donc ça. Depuis son départ des terres qui l'avaient vu naître, il n'avait jamais recroisé d'Orcs "pur". Néanmoins, il se dit que si la situation se présentait, c'était probablement ce qu'il entendrait. Les Orcs, et par extension les demi-Orcs, ont la réputation d'être incapables de vivre en société avec une autre race. Après tout, ils ont déjà du mal à vivre entre eux. Mais c'était comme tout, on finit par s'habituer. Les Humains n'étaient pas pire que les autres, tous vous méprise quand vous êtes un demi-Orc...

Mais il n'était pas l'heure de palabrer sur l'entente entre les peuples et les questions d'intégration. Kormak réfléchit. Comment convaincre le gobelin de les aider. Il ne ferait clairement rien pour aider Fleur, parce qu'elle était humaine. Mais peut-être que pour aider un ami Orc à se débarrasser de ses chaînes...

- Les champignons... J'ai besoin des champignons pour...  il baissa la voix, lever le sort de l'humaine.

Kormak n'était pas bon comédien, mais il espérait, avec l'influence du sortilège, que ce serait suffisant.

J’explique à Kormak que je vais essayer de le rendre plaisant pour ceux qui nous entourent. Je me focalise sur l’entrée de la grotte, me demandant si cela affectera quelqu’un, ou même si les créatures qui nous ont attaquées sont capables de ressentir des émotions. J’attends un moment, peu confiante en mes capacités. De longues minutes s’écoulent, je suis sur le point de baisser les bras quand un bruit se fait entendre. Je me retourne et me retrouve face à… un gobelin ? Je m’approche de Kormak, inquiète.

La créature interroge alors Kormak sur la raison qui le pousse à ne pas me tuer.

Kormak – Les champignons… J'ai besoin des champignons pour…

Je n’entends pas la suite car Kormak se met à murmurer.

Je ne suis pas tranquille. Le gobelin me lance un regard de tueur. Il s’approche un peu plus de Kormak et lui murmure quelque chose que je ne peux pas entendre. Je me sens de trop. Différente, intruse. La question du gobelin est légitime, et je me met à m'interroger. Il est vrai que Kormak n'a aucune raison de rester en ma compagnie et de ne pas me tuer une fois qu'il aura les champignons. Cela ne lui serait pas bien difficile, et il aurait le double de récompense.

J'attends la suite, anxieuse.

Le petit être réfléchit. S'il pouvait libérer le demi-Orc, peut-être le rejoindrait-il ? Peut-être même qu'il l'aiderait à défendre sa maison. Il jeta un dernier coup d'oeil mauvais à l'humaine.

- D'accord. Moi chercher champignon magique pour toi. Ensuite, toi tuer humaine. Comme ça toi libre. Et toi rester avec nous pour protéger maison. Toi d'accord ?

Le demi-Orc dit d'accord. La créature repartit en courant vers la grotte, aussi vite que ses petites jambes le lui permettait. Il pénétra dans la grotte obscure. Rapidement, ses yeux s'habituèrent à l'obscurité qui était de toute façon familière pour lui. Il savait exactement où trouver ce dont le demi-Orc avait besoin. De toute façon, il n'y avait qu'un seul type de champignon, donc il ne pouvait pas se tromper. Il glissa entre deux rochers, et enjamba un mince filet d'eau. Où en avait-il vu pour la dernière fois ? Il avait un doute.


Kormak resta immobile, le temps d'être absolument certain que le gobelin était bien rentré dans la grotte. Une fois qu'il était sûr de ne pas être entendu, il se retourna rapidement vers Fleur. Il lui prit ses poignards restants des mains, et commença à les enfoncer dans le sol, assez profondément pour qu'ils soient invisibles.

- Si j'ai réussi, il va revenir avec les champignons. Je les prends, et on court le plus vite possible. Je pense pas qu'il nous suivra trop loin de chez lui. Ca, dit-il en désignant ce qu'il venait de faire, c'est pour nous débarrasser de lui, et éventuellement des petits copains qu'il pourrait rameuter avec lui. T'inquiètes pour tes poignards, je t'en ferais d'autre.

Je ne peux que déglutir avec difficulté quand j’entends les paroles du gobelin. En effet, après avoir écouté la mystérieuse réponse de Kormak, il accepte d’aller lui chercher les champignons pour libérer le demi-orc afin qu’il… me tue. Je ne suis pas certaine de bien comprendre la situation. Certes, le voir s’éloigner en courant afin qu’il nous apporte lui-même les champignons est un soulagement, je n’avais pas très envie de retourner dans cette maudite grotte sombre remplie de gobelin. Mais connaître son objectif final me laisse quelque peu dubitative.

Le demi orc se tourne tout à coup vers moi et m’attrape les poignards des mains. Je fronce les sourcils. Il les enfonce dans le sol et me dit :

Kormak -  Si j'ai réussi, il va revenir avec les champignons. Je les prends, et on court le plus vite possible. Je pense pas qu'il nous suivra trop loin de chez lui. Ça, c'est pour nous débarrasser de lui, et éventuellement des petits copains qu'il pourrait rameuter avec lui. T'inquiètes pour tes poignards, je t'en ferais d'autre.

Je me contente de hocher la tête, incertaine.

Nous attendons de longues minutes, puis un bruit de course se fait à nouveau entendre. Le gobelin réapparait, les mains chargées. Quelques autres créatures qui lui ressemblent comme deux gouttes d’eau, le suivent. Le petit être s’approche de Kormak, non sans me lancer un regard haineux. Il tend les bras vers le demi-orc en lui demandant de lever le sort. Les autres gobelins s’approchent en poussant des cris d’excitation.

En attendant que le gobelin revienne, Kormak se plaça juste au-dessus des poignards qu'il venait de planter. Il cacha les petites pointes de métal qui dépassaient du sol entre ses orteils. Ses pouvoirs ne fonctionnaient que lorsqu'il était en contact, d'une manière ou d'une autre, avec le métal. C'était le seul plan auquel il avait pensé dans la précipitation, mais ça pouvait marcher.

Après quelques minutes, le gobelin revint, les bras chargés de champignons. Mais ce qui inquiéta Kormak, ce fut la petite troupe de gobelins juste derrière. Il n'avait pas prévu qu'ils seraient autant. Il croisa les doigts. Cela ne changeait rien, a priori. Ils avaient tous les deux de plus grandes jambes, et cette fois, il n'avait pas le handicap du lieu.

- Tiens, champignons tout pour toi. Maintenant, toi tuer humaine !

Kormak s'accroupit, et invita le gobelin à s'approcher. D'abord méfiant, il approcha un pas après l'autre, et lui tendit les champignons. Il lui était impossible de dire si c'était les bons, mais le gobelin semblait sûr de lui. Sans rien dire, il les renifla, comme s'il s'y connaissait. Le champignon dégageait une forte odeur de moisi. Kormak fit un signe du doigt au gobelin pour lui dire de s'approcher encore.

Il fit quelques pas, et s'appuya sur les gros orteils de Kormak. Parfait. Le Demi-Orc fronça le nez, alors que deux fines pointes métalliques surgirent du sol pour s'enfoncer dans la gorge du gobelin. Kormak cala les champignons entre ses doigts, fit volte-face, et parti comme un dératé, en criant vers Fleur.

- Cours !

Derrière eux, la troupe de gobelin perdit plusieurs précieuses secondes, le temps de réaliser ce qui venait de se passer.

Mon regard passe de Kormak au noble. Je n’arrive pas à cesser de sourire. Je repense au gobelin que le demi-orc a tué sans aucune vergogne alors qu’il lui apportait les champignons. Je devrais trouver mon compagnon de route horrible. Et pourtant, je n’y arrive pas. Kormak ne m’a pas tuée. Il m’a accompagnée jusque chez le noble et nous voilà en train de lui donner les champignons.

Noble – Je… je…

L’homme nous regarde avec de grands yeux écarquillés. Il a du mal à croire que nous ayons réussi cette mission sans aucune perte. Bien sûr, nous sommes blessés. La première chose que nous ayons faite, après avoir semé les golbelins, a été de nous rendre chez une guérisseuse. Elle m’a mis des onguents sur les jambes et les a bandées en affirmant que cela limiterait tout risque d’infection.

L’humain s’approche de Kormak et lui demande les champignons. Il disparait ensuite, probablement pour se rendre au chevet de la malade.

Ils s'étaient rendu à la maison du noble pour leur donner les champignons qu'il avait tant espéré. Et ils étaient là, dans cette grande demeure, attendant qu'il revienne, il espérait avec la récompense. Après tout, ils n'avaient pas fait tout ça pour rien. Le manoir était très grand, mais cela n'impressionnait pas vraiment Kormak. Ca le mettait même plutôt mal à l'aise. Il était plutôt du genre à vivre dehors, dans la nature. Ici, entre les murs en pierre, les tentures, le personnel qui ne cessait de s'agiter comme des abeilles autour d'une ruche, tout cela le mettait un peu mal à l'aise.

Il n'était pas étonnant qu'il ait eu tant de difficultés à trouver ces champignons. Ces saloperies de gobelins étaient une vraie plaie. Mais il gardait en mémoire ce que la créature lui avait dit, même s'il était manipulé par la magie. Un Demi-Orc "devait" tuer des humains, ridicule ! Bon, ce n'était pas ses meilleurs amis, et il était clair que certains d'entre eux étaient de parfaits abrutis, mais il mettait quiconque de ne pas trouver de caractère similaire chez les Orcs ou les Demi-Orcs. Il était bien placé pour savoir qu'il pouvait exister des humains agréables, voire, disons le mot, gentils : Edwina, le forgeron, Fleur... Parce qu'il était à moitié Orc, devait-il se contenter de massacrer, piller et violer tout ce qui bouge ? Il était certain que non. Même si les regards que lançait les serviteurs chaque fois qu'ils passaient près de lui ne le confortaient pas dans son idée...

Il essaya de se reconcentrer sur des pensées plus positives. Qu'allait-il faire de tout cet or ? Il verrait bien. Il le mettrait en sécurité, et il aviserait selon ses envies. Kormak n'aimait pas trop prévoir les choses longtemps à l'avance. Finalement, le baron revint, l'air content.

- Mes gens sont en train de préparer la potion, elle devrait être prête incessamment sous peu. Je ne vous en serais jamais assez reconnaissant !

Bien évidemment, il avait parlé uniquement à Fleur. Il devait penser qu'il était son esclave, quelque chose comme ça. Comme d'habitude quoi. Il détourna son attention quand il sentit quelque chose lui caresser le mollet. Un chat se frottait contre lui, dans l'indifférence générale. Kormak sourit et se pencha pour le caresser.

Noble - Mes gens sont en train de préparer la potion, elle devrait être prête incessamment sous peu. Je ne vous en serais jamais assez reconnaissant !

Il ne s’adresse qu’à moi. Logique. Quand nous sommes revenus, je n’avais pas l’apparence d’une femme. J’ai repris la forme de Phlox, le beau mâle cent pour cent humain. Le noble ne s’abaisse pas à parler à un demi-orc. Il préfère parler à Phlox, son semblable.

Je hoche la tête en souriant, puis il s’en va au chevet de sa belle. Je me retourne pour trouver un Kormak accroupi en train de caresser un chat. Je souris en me demandant lequel des deux est le plus mignon. Le petit animal ronronnant, ou la brute de muscle en train de le caresser en souriant comme un enfant. Je ne remarque pas le serviteur, les yeux exorbités, qui ne semble pas pouvoir se décider entre fuir le demi-orc à toute jambe ou sauver le chat de ses monstrueuses pattes. Je m’accroupis tout près de Kormak.

Phlox – J’imagine que nos chemins se séparent à présent.

Je regarde le plafond richement décoré. Les couleurs criardes me font penser à l’endroit où j’ai grandi. Même si toutes ces décorations luxueuses sont véritables, contrairement à celles de la maison de passe. Je me tais un instant… puis reprend très vite, incapable de me retenir :

Phlox – Se reverra-t-on ?

Mon ton sonne plus comme une supplique que comme une simple interrogation. J’ignore pourquoi j’ai tant envie qu’il ne s’agisse pas d’un adieu. C’est bizarre, il n’est pas encore parti que je veux déjà le revoir.

– J’imagine que nos chemins se séparent à présent.

La question surprend Kormak. En relevant la tête, il voit qu'elle émane de Fleur, sous une de ses apparences.

– Se reverra-t-on ?

Elle avait dit ça avec des trémolos dans la voix. C'était bizarre. Personne n'avait jamais souhaité revoir Kormak, hormis Edwina, pour d'évidentes raisons pécuniaires. Il ne savait pas comment réagir. Ces quelques semaines avec Fleur avaient été éprouvantes, mais amusantes avec le recul. Il s'appuya sur son genou pour se relever, face au chat qui s'offusquait qu'on arrête de s'occuper de lui sans son accord. Il serait temps de parler de tout ça dans un endroit plus adapté. Kormak fit donc un petit signe de la tête pour faire comprendre à Fleur-Phlox qu'en tant que maître supposé, c'était à lui de dire qu'ils prenaient congé.

Quelques minutes plus tard, ils se rendirent à l'orée du forêt, cachés discrètement derrière des arbres, les mains dans une sacoche pleine d'or. Le noble n'avait pas menti, la somme paraissait encore plus impressionnante maintenant qu'ils l'avaient sous les yeux. Mais ils avaient à discuter d'abord.

- Orcande est grand, mais qui sait, peut-être que nos chemins se croiseront à nouveau, dit-il avec un sourire. Je ne sais pas ce que tu vas faire ni ou tu vas aller, mais en ce qui me concerne, il n'y a pas trente-six endroits où un Demi-Orc peut aller tranquillement. Si jamais tu as besoin d'une nouvelle escorte, tu sauras où me trouver. Oh, avant que j'oublie ! Attends deux minutes.

Il prit deux pièces d'or, et s'éloigna de quelques mètres pour ne pas qu'elle le voit. Il sortit une sphère de métal accroché à son pagne. Il avait un peu honte, mais il s'était servi dans le manoir. Une bricole, une cuillère qui traînait... Il les modela pour en faire deux beaux poignards. Il utilisa ses pouvoirs sur les deux pièces d'or pour les faire fondre, et orner la garde des deux armes. Sur l'une, des décorations dorées aux motifs de fleurs, et sur l'autre, des motifs rappelant les ailes de fées, en mémoire de leur rencontre. Il y jeta un dernier coup d'oeil. Il avait trop de force pour juger de l'équilibre de l'arme, mais il pensait que ça devrait aller. Il revint vers Fleur, l'opération ayant pris plusieurs minutes.

- Tiens, je t'avais promis de t'en faire d'autres.

Qui aurait pu dire que leur rencontre se serait terminée ainsi, compte tenu de la façon dont elle avait commencé ? Certainement pas Kormak. Il resta là, l'air pataud, ne sachant pas trop quoi faire ensuite. Il faut dire que ses relations avec les humains n'avaient jamais dépassé le cadre professionnel. Allaient-ils se revoir ? Peut-être. La vie est faite de surprises.