Un deuxième contact

Depuis Elegar'a

Trois semaines plus tard, la centauresse avance toujours. En solitaire il n’y a aucune parole à échanger, rien à dire mais tout à entendre, tout à ressentir. On voyage plus loin, plus rapidement, cependant le temps s’écoule à une autre allure. Non plus en fonction de la faim des petits, de la fatigue des plus âgés ou de la nécessité de trouver un cours d’eau pour abreuver la tribu, mais comme le vent, il file sans qu’on ne réussisse à l’attraper. On le sent glisser entre les doigts, presque palpable.

Au milieu des infinies prairies de la vallée des rois, Vagabonde avance. Elle n’a pas besoin d’yeux pour discerner la magnificence du paysage. Dans un bruit de papier froissé, Aignaz, l’origami-renard, s’avance sur la peau nue de son épaule.

Puis d’un coup, les oreilles de la centauresse se dressent, droites et immobiles. Quelque chose approche. Pas un halfelin, ni un animal. Ni même un humain. Rien de connu. Ni même de ... vivant ? Attentive, Vagabonde cherche à deviner l’origine de cette odeur froide et inquiétante.

Qu'est-ce que je fous là, moi ?

Elle était perdue, totalement perdue. Cela faisait des jours qu'elle marchait. Elle devait se rendre à Tacomnal mais au lieu de ça, elle se retrouvait à faire une promenade au beau milieu de la Vallée des rois. A l'avenir, elle investirait dans un boussole. Voire une carte. La nuit était belle, le ciel dégagé. Des milliers d'étoiles semblaient observer la vampire qui se trouvait au milieu de nulle-part. Seule.

Seule ? Non, pas vraiment. Il y avait quelque chose, là bas. Un cheval ? Sûrement. Il fallait qu'elle s'en approche pour être sure. Elle saisit une petite fiole en verre dans sa sacoche et en bu le contenu rouge sombre. Pour ne pas être agressive, il valait mieux qu'elle s'assure d'être repue de sang. Elle s'avança vers la silhouette quadrupède.

Plus que quelques pas et elle serait capable de lui adresser la parole sans hurler. Une centaure. Encore. A croire que durant le siècle qu'elle venait de passer dans l'ombre, Alissa avait raté une invasion de ces créatures. Quoi qu'il en soit, la centaure ne semblait pas l'avoir entendue arriver dans son dos. Malgré son air méfiant. La vampire lâcha un léger ricanement avant de demander :

- Alors, ma grande ? On est perdue ?

Sentant venir le danger, l'origami disparait instantanément dans la chevelure de la centauresse.

« Alors, ma grande ? On est perdue ? »

Si ce n’est vivant, cela n’en parle pas moins.

La voix féminine est sarcastique mais mélodieuse, tintée du dur accent Tacomnant. La tonalité est on ne peut plus humaine, mais l’odeur... l’odeur est indescriptible. Seuls les effluves de sang sont reconnaissables. La créature s’est approchée sans bruit, comme seul un elfe pourrait le faire. Vagabonde reste sur le qui vive, droite et alerte.

Elle tourne son visage sur le côté et plaque ses yeux aveugles sur la femme. Elle ignore ses intentions, mais la situation lui impose de rester méfiante. Les rencontres de nuit sont rarement de bon augure.

« Qui es-tu ? Et quelles sont tes intentions, toi qui empestes le sang de l’Homme ? »

- Qui es-tu ? Et quelles sont tes intentions, toi qui empestes le sang de l’Homme ?

La centaure s'était retournée vers son interlocutrice. Elle n'était vraiment pas sereine. Elle avait raison. Mais Alissa ne voulait pas s'attaquer à cette créature, pour le moment. Elle se contenta donc de répondre.

- Je m'appelle Alissa. Et évite de me manquer de respect, la seule chose qui empeste ici c'est toi et ton odeur animale.

Elle n'avait pas pu s'en empêcher, son sang noble la poussait à se conduire comme tel dans ce genre de situation. Elle était très susceptible. Elle commença à s'approcher de la centaure, et entama un cercle autour de la créature. Cette dernière semblait aveugle et la vampire avait envie de s'amuser.

- Et toi, dit moi ... Qui es tu ?

Alissa continuait de tourner autour de la centaure, elle dégaina même une de ses dagues pour s'amuser en essayant de la faire tenir en équilibre au bout de son index tout en marchant et en écoutant la créature qu'elle contournait.

La femme affirme s’appeler Alissa puis crache une insulte. Elle s’approche de la centauresse avec un pas si léger qu’il en est troublant. Vagabonde a beau chercher, elle est incapable de déterminer à quel « type » de créature elle a affaire. Elle repense aux centaures de sa tribu qui revenaient l’haleine sentant le sang humain, et aux cérémonies sanglantes qu’ils pratiquaient pour empêcher l’âme de leur ennemi de trouver le repos. Elle en vient à se demander si elle ne serait pas confrontée à un mauvais esprit.

« Et toi, dit moi ... Qui es tu ? », demande Alissa en se mettant à marcher en cercle autour de la centauresse.

Le frottement d’un métal tinte dans le silence de la nuit, ne laissant aucune place au doute : Alissa a dégainé une lame. Les oreilles de Vagabonde se couchent en arrière et ses dents se mettent à grincer.

Lorsque les animaux ne prennent pas la peine de se cacher pour chasser, c’est qu’ils ont choisi une proie vulnérable, trop âgée, trop jeune... ou aveugle. Ils lui tournent autour, l’encerclent, et attaquent. Allisa, elle, est seule. Mais son approche reste celles des prédateurs s’attaquant aux membres les plus faibles de la tribu.

En temps normal, Vagabonde aurait tué le provocateur. Mais comme il n’y a personne à défendre elle se contente de repousser l’assaillante : avec une rapidité fulgurante, elle attrape une flèche et la décoche aux pieds d’Alissa. Le sifflement résonne encore à ses oreilles qu’une seconde flèche a déjà remplacé la première.

Si la proie est capable de résister, les prédateurs la laissent partir. Mais est-ce valable pour les esprits ?

L’arc bandé, Vagabonde hennit : « Ne dépasse pas cette flèche, ou la suivante t’arrachera le cœur ». La centauresse frappe le sol de sa patte avant, puis répond enfin à son interlocutrice : « On m’appelle Vagabonde. J’avance vers les contrées du soleil couchant. Que cherches-tu ici ? ».

Une flèche se planta au sol, aux pieds de la vampire. Surprise elle fit tomber sa lame.

-  Ne dépasse pas cette flèche, ou la suivante t’arrachera le cœur.

Cette centaure était aveugle et apeurée, certes, mais elle s'était avérée plutôt convaincante, arc en main. Alissa savait que la perte d'un sens pouvait en accentuer un autre. Mais jamais elle n'aurait pensé que la perte de la vue pouvait augmenter un certain talent de perception. Alissa ramassa tranquillement sa dague et la remit à sa ceinture.

- On m’appelle Vagabonde. J’avance vers les contrées du soleil couchant. Que cherches-tu ici ?

- Écoutes, ma grande. Si j'avais eu envie de te tuer, tu n'aurais même pas eu le temps de m'entendre arriver. Alors range moi ça, tu pourrais me blesser et je serais obligée de te rajouter un handicap. Une archère aveugle et sans main, ce serait bête, n'est-ce pas ?

La question de Vagabonde avait tout de même fait réfléchir la vampire. " Que cherches tu ici ? " . Elle n'en savait rien. Elle était totalement perdue. Elle n'avait rien à faire ici. Elle retira la flèche du sol et l'observe. C'est une flèche plutôt simple bien que légèrement plus lourde que la normale et vraiment solide. Certainement pour ne pas être à son désavantage lorsqu'il y a du vent. Ces flèches semblaient pouvoir fendre l'air sur de longues distance. C'était seulement le ressenti qu'Alissa en avait. Mais cette Vagabonde semblait être une redoutable rôdeuse bien équipée. Elle tendit la flèche à la centaure pour lui rendre et ainsi lui prouver que ses intentions n'étaient pas malveillantes.

La menace d’Alissa s’accompagne d’un geste pacifique. Vagabonde garde les oreilles couchées mais accepte la flèche que la femme lui tend avec un simple « merci ». Elle baisse son arme et range les flèches dans son carquois. La démonstration de force n’a plus lieu d’être.

La brise nocturne est fraîche. Vagabonde apprécie le vent sur sa peau, et l’odeur qu’il laisse sur son passage lui fait pressentir l’arrivée de la pluie. Les cris des oiseaux nocturnes le présagent également. Elle secoue sa queue puis se remet à avancer. Une bourrasque soulève sa crinière, secouant l'origami comme une girouette. La centauresse l’attrape et le glisse dans son bustier. Elle se tourne ensuite vers Alissa : « Un orage de printemps s’annonce. Le cours d’eau ne sera plus traversable demain. Si tu choisis d’aller à l’Ouest, vers Tacomnal, suis-moi. Si tu te diriges vers Telbara ou Estandre, c’est par là bas. Par contre si tu restes ici, tu finiras noyée ».

Un éclair zèbre le ciel puis de grosses gouttes de pluie tombent, frappant violemment la surface de l’eau. En quelques secondes la centauresse se retrouve trempée. Elle s’avance dans le cours d’eau et commence sa traversée.

Il ne serait pas étonnant que de violentes tornades ballaient la vallée cette nuit.

Soudain, l'air se fit plus frais et le vent souffla de plus en plus fort. Une tempête approchait, à première vue.

- Un orage de printemps s’annonce. Le cours d’eau ne sera plus traversable demain. Si tu choisis d’aller à l’Ouest, vers Tacomnal, suis-moi. Si tu te diriges vers Telbara ou Estandre, c’est par là bas. Par contre si tu restes ici, tu finiras noyée.

- Tacomnal ? Tu as bien dit Tacomn...

Le tonnerre se fit entendre et résonna dans la vallée. Des éclairs déchiraient le ciel et de grosses gouttes firent leur apparition. Et merde .. Dans quoi est-ce que je me suis encore foutue, moi ..? La centaure entama sa traversée du cours d'eau, laissant Alissa derrière elle. Cette dernière regarda le chaos se former autour d'elle et, légèrement paniquée à l'idée de se retrouver seule dans ce terrible endroit, se dépêcha de rejoindre Vagabonde, au pas de course.

- Eh ! Attends moi, je viens avec toi !

Le niveau de l'eau montait à une vitesse incroyable. Alissa avait de l'eau jusqu'au dessus des genoux, là où, en temps normal elle en aurait eu aux chevilles. Elle fit en sorte d'avancer le plus vite possible afin de sortir de cette maudite rivière et ne pas être emportée par le courant.

Une fois sur l'autre rive, la vampire s'approcha de Vagabonde et lui demanda, tout en la suivant :

- Dit, les orages sont toujours aussi violents ici ?

La pluie battait le sol. Si fort que l'eau ne s'infiltrait même plus, par endroits, faisant apparaître de grosses flaques d'eau boueuse.

« La saison des orages se termine, mais celui-ci semble être particulièrement violent. Enfin, rien de comparable à ce qu'on peut voir en montagne », répond la centauresse.

La femme rejoint la vagabonde et le duo commence à avancer sous la pluie battante. L’eau s’infiltre partout, le vent ballait les plaines et rend leur progression difficile. La nuit avance mais le temps ne semble pas vouloir changer.

Le tonnerre s’approche en grondant et la foudre s'abat de plus en plus près. « Il vaudrait mieux trouver un abri », dit Vagabonde en humant l’air.

La vallée des rois est connue pour grouiller d’halfelins, aussi la centauresse cherche à discerner leur odeur même si la pluie perturbe ses sens. « Par là ! » dit-elle en désignant une direction sur leur droite après avoir repéré une odeur de vivants mouillé, animaux, humains, ou autre, elle n'en est pas certaine. Elle espère qu’il s’agit bien d’un village halfelin... de préférence avec une écurie ou une cabane assez grande pour abriter un centaure adulte.

Vagabonde semblait sentir quelque chose, peut être une ville, un village, non loin de là. Alissa ne posa pas de question et se dirigea dans la direction indiquée par la centaure. Les deux comparses se frayèrent un chemin à travers les gouttes qui tombaient en prenant soin de ne pas tomber dans les grosses flaques d'eau présentes au sol. Et avancèrent ainsi pendant un petit moment.


Enfin, elle l'aperçut. Non loin, se trouvaient quelques lumières luisant dans les ténèbres de cette nuit orageuse. La vampire et la centaure s'en approchèrent. Cette bougresse avait raison, il y a bien un village ici. Quelques petites chaumières étaient disposée autour de ce qu'il semblait être une vieille tour de garde en ruine. A première vue, la tour en pierre semblait de facture humaine mais les habitations, elles, semblaient plus rudimentaires, faites de bois et de toits en chaume, elles se trouvaient aussi être assez petites. Des nains ? Des Halfelins ? Alissa ne connaissait pas ces civilisations. Elle n'était jamais sortie du royaume de Tacomnal.

Une fois proches de la première habitation, Alissa s'arrêta et s'adressa à sa partenaire équine.

- Je ne veux pas te contrarier mais nous ne savons pas ou aller et tu ne passeras pas la porte de la plupart de ses maisons .. Peut être devrions nous trouver une taverne et nous renseigner, qu'en penses-tu ?

« Je ne veux pas te contrarier mais nous ne savons pas ou aller et tu ne passeras pas la porte de la plupart de ses maisons .. Peut être devrions nous trouver une taverne et nous renseigner, qu'en penses-tu ? », demande la femme à la centauresse.

Vagabonde hume l’air encore une fois. Aucun doute, cette odeur est bien celle d’halfelins. Elle continue d’avancer entre les petites maisons faites à même les collines tout en répondant à sa compagne de voyage : « Oui, on peut toujours en chercher une... » . Brusquement elle se tait et dresse les oreilles. Le son d’une flûte est porté par les bourrasques. Elle s’avance en pataugeant dans la boue dans cette direction, contre le vent qui, quand il n’est plus présent, lui indique les obstacles. Une fois tout proche de la source musicale, la vagabonde se cogne contre un petit muret en lâchant un juron centaure. Elle interpelle ensuite le flûtiste. La musique cesse immédiatement.

- Réveille-toi, il y a quelqu’un ! s’écrie une voix nasillarde.
- Huuuuum ? lui répond un grommèlement endormi
- Y a un centaure à la porte !
- Un centaure ? Seul par ce temps ?
- Tu vois bien qu’elles sont deux ! Par les dieux vous êtes trempées, entrez donc !
- Elle n’entrera jamais, hé ! Suivez-moi.

Vagabonde suit le bruit des bottes qui splotchent dans la gadoue et qui les mènent jusqu’à une étable où logent déjà un poney et deux vaches. « On est fort désolés pour cet accueil, mais il n’y a rien de plus grand... » , explique l’un des halfelins. La centauresse se plie en deux pour entrer sans se cogner la tête : « C’est gentil à vous de nous héberger, désolée de vous avoir réveillés en plein milieu de la nuit... ». Vagabonde se couche dans la paille pour que son torse humain puisse être droit, presque à hauteur de ses... petits interlocuteurs. De violents coups de tonnerre continuent de se faire entendre. « Mais que faites vous donc ici ? » , demande l’un des halfelins en se tournant vers Alissa.

Alissa et Vagabonde firent emmenées par deux petits êtres dans une étable, non loin. Ce retour à la civilisation se faisait en douceur, et c'était mieux ainsi. La vampire, déjà mal à l'aise en présence de trois animaux, deux halfelins et une centaure, n'aurait pas imaginé rentrer directement dans son ancienne demeure de Tacomnal. Vagabonde se coucha dans la paille, et Alissa commença à découvrir son visage en ôtant son masque et sa capuche, laissant apparaitre son doux visage blanchâtre et ses longs cheveux noirs.

-  Mais que faites vous donc ici ?

La vampire remarqua que l'halfelin s'adressait à elle. Et à vrai dire, elle ne s'y attendait pas. Elle hésita un moment puis répondit :

- Pour ma part, je me suis simplement perdue.

Alissa se contenta de cette faible réponse et continua à se déséquiper. Son armure de cuir noire était trempée. Elle enleva ses bottes, dessangla son arbalète, défit sa ceinture sous le regard fasciné de l'halfelin. Elle s'en rendit compte et arrêta son geste au moment ou elle allait retirer la partie supérieure de son armure.

- N'avez vous jamais appris à ne pas regarder une jeune femme dans ce genre de situation ?

Elle se retourna vers l'autre petit être et lui demanda :

- Dites, de quel coté se lève le soleil ?

- Eh bien .. Par là, cette étable est orientée plein Est de façon à ce que nos animaux profitent des premiers rayons du soleil.

Alissa se braqua. Son regard saphir semblait apeuré.

- N' y a-t-il pas d'autre étable ?

- Je m'excuse mais nous n'avons que celle ci, mais ne vous inquiétez pas, le levé du soleil est magnifique par chez nous.

L'autre halfelin s'avança de nouveau et s'adressa à Vagabonde :

- Votre amie n'a pas l'air très sympathique, peut être seriez vous plus collaborative : Comment êtes vous arrivées ici ?

Vagabonde ne peut retenir un sourire quand elle entend Alissa demander à l’halfelin de se retourner. Les humains et leur pudeur... Enfin, elle se demande toujours si le qualificatif d’« humaine » est le plus adapté pour cette personne...

Suite à une discussion sur le soleil levant, Alissa demande à aller dans une autre étable. Le son de sa voix trahi une certaine appréhension. Les halfelins font l’éloge de la beauté de cet astre, faisant remonter d’anciens souvenirs dans les yeux voilés de la centauresse. La nuit est plus qu’avancée et elle n’a toujours pas fermé l’œil. La fatigue commence à se faire sentir.

Votre amie n'a pas l'air très sympathique, peut être seriez vous plus collaborative : Comment êtes vous arrivées ici ? , demande l’un des halfelins insomniaque. Vagabonde adosse son torse humain contre une poutre de bois. « Je monte au Nord quand arrivent les temps chauds. Vous connaissez les centaures : nous sommes des nomades attirés vers les terres qui nous appellent. J’ai rencontré Alissa sur la route quand l’orage est arrivé. Je me nomme Vagabonde ». L’un des halfelins baille et l’autre annonce qu’il est temps pour eux d’aller se coucher. Ils souhaitent une bonne fin-de-nuit à leurs invitées, les priant de se mettre à l'aise, avant de s’éclipser.

La centauresse se laisse tomber sur le côté et s'allonge complètement dans la paille. Le poney à côté d'elle relève la tête quelques secondes, pousse un long soupir avant de se rendormir. Dérangées par ce mouvement, quelques mouches se mettent à vrombir et changent d'hôte, certaines se posent sur le corps de la centauresse tandis que d'autres tournent autour de la chevelure de geai de la jeune femme. Les deux vaches, elles, ignorent totalement les nouvelles venues et continuent à dormir profondément. L'odeur est celle d'une étable, et même si elle est propre, une senteur de paille se mêle à celle des matières fécales. La pluie continue de couler, elle se glisse entre les planches de bois et le vent gronde, cri, fait vibrer l'abri.

 « Tu peux les suivre si tu veux. Ne te sens pas obligée de dormir ici. Cette étable n’a pas l’air de... convenir à une personne comme toi » , dit Vagabonde en faisant allusion à la demande d'Alissa de changer de lieu d'hébergement pour la nuit.

- Tu peux les suivre si tu veux. Ne te sens pas obligée de dormir ici. Cette étable n’a pas l’air de... convenir à une personne comme toi.

- Tu relèves vraiment tout, toi, hein ?

Alissa comprit que Vagabonde était très intelligente, qu'elle retenait les détails et les analysait. Peut être avait-elle déjà comprit qui était réellement la vampire. Quoi qu'il en soit, elle refusa de suivre les halfelins et resta en compagnie de la centauresse, elle s'assit contre un poteau, histoire d'être dans une zone d'ombre dès le levé du soleil, elle avisera par la suite. Et continua d'enlever son armure en faisant attention qu'il n'y aie aucun être humanoïdes pouvant la voir autour d'elle.

- Dit moi, Vagabonde .. Comment est-ce que .. Enfin .. Tu sais .. Tes yeux ?

La question semblait explicite dans la tête de la vampire. En tout cas, elle s'était comprise. Elle ne voulait pas vexer la centauresse mais souhaiter réellement savoir pourquoi cette dernière était privée de la vue.

Alissa laisse la remarque de côté et reste dans l’étable. Elle s’adosse à un poteau de bois et au bruit qu’elle fait, Vagabonde devine qu’elle retire ces trucs en peau d’animaux que les humains utilisent pour protéger leurs corps. Armure, se dit-elle en retrouvant le mot.

« Dis-moi, Vagabonde... Comment est-ce que... Enfin... Tu sais... Tes yeux ? », demande la femme dans un souffle. Allongée au sol, la centauresse relève légèrement la tête. La paille se mêle à ses cheveux auburn. Elle réfléchit un instant à la question puis accepte de répondre.

« Quand ma fille a choisi de partager sa vie avec un homme, son père est devenu violent. Il aurait préféré la savoir morte plutôt que de la voir aimer son ennemi. Je me suis interposée et ai protégé ma fille quand la colère de son père s’est abattue sur elle. » .

La centauresse baisse ses yeux d’un vert brisé pour conclure : « j’ai été aveuglée par sa haine ».

Un éclair tombe non loin, éveille les vaches et affole le poney. Ce dernier se met à piétiner et cherche à se retourner en se cognant aux poutres qui l’entourent. Vagabonde se redresse encore un peu pour siffler une petite mélodie qui le calme rapidement. Il secoue la tête, la baisse et finit par s’endormir. Les vaches le suivent l’une après l’autre dans le pays des rêves. Le vent continu à hurler contre les planches de l’étable, mais la pluie est moins puissante que tout à l’heure et l’orage s’éloigne.

« Dans ma tribu, les centaures n’aimaient pas les humains. Pourtant c’est eux qui m’ont accueillit après cet accident ». La centauresse cherche le meilleur moyen d’aborder la question qu’elle se pose depuis le début de leur rencontre. « Je les ai bien connus. Mais tu me parais... différente. Au début, je t’avais prise pour un esprit. Es-tu vraiment humaine ? »

Comme tout centaure, Vagabonde a toujours eu un odorat développé. Et depuis qu’elle ne voit plus, elle se base en partie sur ce sens pour identifier les gens, en plus de son ouïe, voir du toucher. Si chaque humain du village avait sa propre odeur, unique, toutes ces odeurs avaient un certain lien. Or celle d’Alissa ne correspond à rien de connu.

- Dans ma tribu, les centaures n’aimaient pas les humains. Pourtant c’est eux qui m’ont accueillit après cet accident... Je les ai bien connus. Mais tu me parais... différente. Au début, je t’avais prise pour un esprit. Es-tu vraiment humaine ?

Vagabonde n'eut d'autre réponse que le son de la pluie et du vent qui s'éloignaient peu à peu. Alissa s'était endormie. Toutes ces péripéties l'avaient beaucoup fatiguée.


Un cri retentit et la vampire se réveilla en sursaut. L'éleveur Halfelin, appelait ses quelques bêtes en hurlant à plein poumons. Salaud... Il faisait jour, le ciel était presque totalement clair et le soleil brillait au dessus de l'horizon oriental. C'était magnifi.. Oh merde ! Alissa s'empara de son armure en faisant en sorte de rester à l'ombre du poteau contre lequel elle était adossée et s'en équipa.

Maintenant faiblement protégée par le cuir qu'elle portait et qui couvrait chaque parcelle de sa peau, elle était rassurée et l'exprima avec un soupir de satisfaction. Elle observa autour d'elle et vit Vagabonde, vraisemblablement réveillée mais tout de même silencieuse. Elle avait de la paille dans les cheveux ainsi que sur sa robe. Avait-elle dormi ? Alissa n'en savait rien, elle ne se souvenait même plus à quel moment avaient-elles cessé de bavarder, la veille. Alissa s'éclaircit alors la voix et s'adressa à la centauresse :

- Ahem.. Salut, bien dormi ?

Elle lui adressa un sourire poli, mais l'effaça instantanément en se rappelant que Vagabonde était aveugle.

Le temps s’apaise et Alissa s’endort. Vagabonde n’obtiendra pas sa réponse. Elle sent elle aussi la fatigue la submerger et se laisse aller. Ce n’est que quand retentit le cri d’un halfelin appelant ses bêtes qu’elle se réveille. Son esprit est encore embrouillé, elle sent qu’Alissa remue en tout sens mais ne se pose pas de question. Puis la jeune femme pousse un soupir avant de demander à la centauresse si elle a bien dormi. Vagabonde s’étire et répond dans un bâillement/hennissement : « Très bien, et toi ? ». Elle se dresse sur ses pattes quand entre l’un des halfelins de la veille. Ce dernier les salue avec un petit rire et enlève un des morceaux de paille qui recouvre la centauresse. Vagabonde s’ébroue et secoue sa crinière avant de le remercier pour son hospitalité. « Vous êtes les bienvenues mesdames, faut pas nous remercier. Vous allez rester quelques jours ? ». La centauresse aurait été tentée par la proposition si elle n’avait pas décidé de monter plus au nord. Elle sait parfaitement qu’elle n’a plus sa place dans sa tribu. Qu’elle ne la reverra peut être même jamais. Mais pourtant elle ne peut s’empêcher de se rendre là où elle l’aurait menée si elle était restée la femelle du couple alpha. Instinct ? Désirs refoulés de retrouver les siens ? Espoirs de se trouver une nouvelle tribu ? Elle ne sait pas exactement ce qui la pousse là bas, mais répond tout de même : « Non, je vais continuer à avancer vers le Nord ». L’halfelin adresse ensuite un regard interrogateur vers Alissa. Vagabonde lui propose alors de voyager ensemble vers Luvet, une ville humaine au Nord d'ici.

Luvet. Ce nom parlait à la vampire. C'était une ville du Royaume de Tacomnal. Il fallait qu'elle s'y rende ! Toute excitée à l'idée de ce voyage, Alissa accepta la proposition avec joie. Mais pour l'heure, elle devait trouver une alternative à sa connerie. Voyager de jour s'avérait être une très mauvaise idée, et elle ne savait vraiment pas comment sortir de derrière ce pilier sans être littéralement réduite en poussière par ce gros astre jaune qui la narguait depuis maintenant un bon nombre d'années.

L'halfelin proposa aux deux voyageuse de le rejoindre pour manger un bout, non loin. Proposition qu'Alissa s'empressa de refuser sans réfléchir. Légèrement vexé, l'halfelin dit alors :

- Eh bien, moi, j'y vais.

Et partit. Alissa cru l'entendre grogner une insulte mais elle ne releva pas. Elle s'en voulait car elle ne voulait pas le blesser mais ... Elle ne pouvait tout simplement pas l'accompagner. Elle le regarda partir et baissa la tête. Elle lança un regard à Vagabonde et l'invita à aller avec eux, elle le pouvait, elle.

- Tu sais .. Tu l'as sûrement remarqué grâce à ton sens de la perception mais .. Je ne suis pas totalement humaine. Enfin "plus", pour être exacte. Je suis devenue une créature de la nuit il y a de cela plus d'un siècle... Je ne devrais pas te le dire, je sais, mais je te connait assez pour savoir que tu ne me tueras pas dès lors que je dirait ce mot : Vampire.

Alissa s’empresse d’accepter la proposition de Vagabonde. L’halfelin leur propose ensuite d’aller manger, mais, sans plus de manière, la jeune femme refuse catégoriquement. Le petit personnage s’éloigne alors l’air résigné, presque boudeur.

La centauresse passe ses doigts dans les cheveux, cherchant à enlever les derniers morceaux de pailles qui s’y sont coincés. Alissa l’invite à aller manger avec leurs hôtes. Encore mal réveillée, Vagabonde hoche mollement la tête avant de faire quelques pas vers la chaleur du soleil. Elle écoute distraitement Alissa puis s’arrête net, s’emmêle les pattes, se cogne la tête contre une poutre et pousse un juron centauresque. A-t-elle bien entendu ? Un vampire !? Un long frisson lui parcourt l’échine et elle se retourne immédiatement pour faire face à la femme, renversant au passage le contenu d’un abreuvoir.

Maintenant, elle est complètement réveillée.

Ses oreilles se plaquent en arrière et ses lèvres tremblent. Instinctivement, elle agrippe son arc sans pour autant sortir de flèche de son carquois. « Qu’est ce que ça signifie ?! », grogne-t-elle en essayant de contenir l’agitation qui la gagne. Dressée sur ses pattes, Vagabonde piétine la terre juste devant la jeune femme encore assise au sol. Les questions qu’elle pose ensuite expliquent la virulence de sa réaction : « tu transformes les autres en morts-vivants ? Tu tues ou... manges des humains ? et… des non-humains ? ».

Alissa, les yeux grand ouvert, surprise de la réaction de la centauresse posa une main sur sa dague, au cas où. Après une série de questions de la part de Vagabonde, Alissa s'expliqua :

- Calme toi, je ne te ferais rien. Je n'ai pas chois...

La vampire coupa son discours et réfléchit un petit moment avant de continuer :

- Bon .. Ok, c'était voulu. Je suis issue de la bourgeoisie Tacomane, je n'était qu'une pauvre conne rebelle qui avait peur de vieillir. Je pensais que cette malédiction allait simplement me rendre immortelle. J'ai passé un siècle au bord d'une rivière à ... Disons que j'avais besoin de me ressourcer.

Alissa divaguait, il fallait qu'elle garde Vagabonde de son coté. Elle était la seule qui pouvait la guider jusqu'à Luvet.

- Je n'ai encore jamais transformé personne. Je .. J'ai déjà tué. Mais si tu ressentais l'Appel du Sang, tu comprendrais que je n'avais pas le choix. Cette ... "vie" .. C'est horrible...

Depuis plus d'un siècle sans montrer ses émotions à qui que ce soit, la vampire commençait à avoir les larmes aux yeux, elle se trouvait chanceuse de que cela soit devant une aveugle. Montrer ses émotions, c'est dévoiler ses faiblesses. C'était trop dangereux. Surtout en plein jour.

Alissa s’emmêle un peu dans ses explications, puis ses paroles deviennent plus claires. La vampire a déjà tué pour se nourrir, mais elle affirme n’avoir jamais transformé personne. Vagabonde choisit de la croire, plus pour éloigner d’elle l’idée de pouvoir être maudite à son tour que par confiance en Alissa. La jeune femme donne quelques détails sur sa vie et termine sur ces mots : « Cette ... "vie"... C'est horrible... ».

Vagabonde désigne son arc d’un petit mouvement : « Je peux t’aider à trouver le chemin vers ta prochaine vie, ce sera rapide et pas trop douloureux ». La proposition lui paraît évidente. Si Alissa n’accepte pas cette vie éternelle, elle n’a qu’à offrir ce corps à Sercanth en priant pour que le suivant ne soit pas malade…

Un bruit les tire de leur discussion. C’est l’halfelin de tout à l’heure qui, en tentant de s’éclipser discrètement, a glissé sur la gamelle renversée par la centauresse. Vagabonde se demande depuis quand est ce qu'il est revenu. L’odeur de la peur se dégage de lui et ne laisse pas de place au doute : il a tout entendu. Une fois à découvert, il ne prend plus la peine de se montrer discret et s’enfuit en hurlant.

Vagabonde se retourne à nouveau vers Alissa : « Choisis vite. Si tu ne veux pas mourir, il faut fuir. Maintenant ! »

Vagabonde désigna son arc après qu'Alissa lui ait conté son histoire.

- Je peux t’aider à trouver le chemin vers ta prochaine vie, ce sera rapide et pas trop douloureux

La vampire ne réagit pas. Elle allait dire quelque chose mais un bruit l'intrigua plus encore. En regardant dans la direction d'où provenait le son, les deux femmes virent alors un halfelin, tentant de se faire discret. Ah en juger par son visage apeuré ... Eh merde ! L'halfelin avait entendu la conversation entre la vampire et Vagabonde. Il fallait partir.

- Choisis vite. Si tu ne veux pas mourir, il faut fuir. Maintenant !

- Laisse moi deux secondes.

Alissa attrapa une sorte de couverture sur laquelle le poney avait passé la nuit. Elle a vraiment cru qu'elle allait me tuer maintenant ? Après avoir ramassé ses armes, la vampire se cacha sous sa cape de fortune en espérant que cela fonctionne et se rua vers Vagabonde, au soleil.

- Tu m'excuseras, mais y a urgence!

La vampire usa de son agilité pour sauter sur le dos de la centauresse, cachée par cette couverture à l'odeur nauséabonde.

Alissa choisit de fuir, mais pas de la bonne façon…

Vagabonde entend la vampire s’agiter dans un coin de l’étable, puis courir dans sa direction. Ensuite, elle sent la main d’Alissa sur sa croupe, puis tout son poids. Surprise, Vagabonde avance brusquement et se cogne contre les planches de l’étable.

« Tu m'excuseras, mais y a urgence! », ose-t-elle dire. Trop effarée par ce qu’il est en train de se passer, Vagabonde n’entend même pas, elle tourne sur elle-même en criant : « Mais qu’est ce que tu fais ?! Descend immédiatement de là ! »

La vampire vient de se fixer sur son dos tel un parasite cherchant à survivre au dépend de son hôte. Vagabonde ne supporte pas le poids de cette sangsue, la pression de ses jambes contre son flanc, ses doigts qui tirent sur ses cheveux et sa crinière... Ces sensations jusque là inconnue la stressent au plus haut point. Les oreilles plaquées en arrière, elle rue en tout sens, plus de façon instinctive que raisonnée, elle se cabre, cogne son corps équin contre tout un tas d’obstacles qui la blessent sans qu’elle ne puisse les identifier, elle saute et donne des coups de pattes dans tous les sens.

Un bruit de craquement de bois retentit, suivi de hennissements affolés.Vagabonde entend le galop du poney qui s'estompe en même temps que son odeur. Elle se rue dans la même direction que lui et fini par sentir un air plus frais, ainsi que la chaleur du soleil sur sa peau. Ce n’est que quand elle ne se sent plus enfermée entre quatre planches qu’elle se rend compte qu’il n’y a déjà plus rien sur son dos. Le parasite a dû tomber dans l’étable alors qu’elle s’agitait.