Un séjour de tous repos

Et durant deux semaines, le supplice commence. Enfin le supplice en question ne dure que la matinée où elle se retrouve à devoir se contorsionner afin d’acquérir une plus grande souplesse. Elle cherche à toucher ses pieds en gardant les jambes tendues, assise, debout, allongée jambe au plafond, par tous les moyens possibles… Jamais ses orteils ne lui avaient parus si inatteignables. Mais les exercices portent leurs fruits et la fille finit par devenir un peu moins rigide. Son dos peut se cambrer plus loin, elle arrive à faire « le pont », le « papillon » avec ses jambes, elle se roule, se déroule, se tord en un sens et dans l’autre avec de plus en plus d’amplitude mais toujours autant de douleurs.

Entre la 11ème et la 14ème heure, elle se dépêche de réaliser les tâches qui lui sont réservées, elle lave les habits et les draps, fait les lits, le ménage, et s’occupe de diverses petites affaires suivant les besoins du jour.

Puis arrive l’heure qu’elle préfère. La 14ème. Celle de la danse ! Pendant près de 4h, la fille peut s’entraîner à sa nouvelle passion. Salmissra s’avère un professeur passionné et attentif, plutôt patiente, mais surtout très efficace.

Chaque journée, Schizae s’endort plus rapidement que la veille, mais même si le rythme est difficile à tenir, elle apprécie de pouvoir se consacrer à ces exercices. La passion de Salmissra est contagieuse. De plus, depuis le décès de ses parents, il n’y a eu qu’Artanis pour s’occuper d’elle de la sorte, et avoir quelqu’un avec qui elle se sente écoutée et en sécurité lui manquait.

Un soir, elles terminent plus tôt. L’entraînement les épuise autant l’une que l’autre. Salmissra propose à la fille d’aller aux bains avec elle, et Schizae saute de joie à cette idée. Reposer son corps fourbu dans de l’eau chaude est la meilleure idée au monde.

Une fois qu’elles se prélassent toutes les deux dans un grand bac d’eau parfumée, elles commencent à discuter.

SALMISSRA – Alors... Comment trouves-tu cet entraînement ? Épuisant, non ? Mais il portera ses fruits.
SCHIZAE – Je n’ai jamais été aussi fatiguée de ma vie ! Mais j’aime ça, danser. (elle rit)
SALMISSRA - La semaine prochaine, nous jouerons toutes deux devant Cranston et son ami diplomate. A ce moment-là, j'espère que ce que je t'ai appris portera ses fruits.
SCHIZAE – Quoi ?! Devant Cranston ?

La fille boit la tasse et tousse pour ne pas s’étouffer. Ensuite elle se tait, pensive. L’idée de danser devant un public la rend nerveuse, en plus elle sait que Cranston est quelqu’un d’important pour sa maîtresse et elle a peur de faire une bêtise qui puisse lui déplaire. Et en même temps… tout cela est tellement excitant ! Si Salmissra le propose, c’est qu’elle estime que sa dame de compagnie en est capable, non ?

SCHIZAE – Je donnerais le meilleur de moi alors. Ainsi j’espère qu’il ne sera pas déçu de savoir que vous avez appris à danser à la dame de compagnie qu’il vous a assignée.

Elle lui sourit avec tout l’optimisme des enfants de son âge et profite du bain.

Les semaines suivantes, l’entraînement reprend. Intensif et fatiguant. Schizae donne tout ce qu’elle peut pour progresser, même si elle a parfois l’impression de stagner et que l’inquiétude de ne pas être à la hauteur la reprend. La fille suit les mouvements de la naga et apprend les pas qu’elle devra effectuer le jour venu. Par moment en symbiose avec sa maîtresse, à d’autre moment en effectuant des pas qui lui sont propre, mettant chacune son tour l’avantage d’avoir une queue de serpent ou des jambes d’humain.

Et puis la veille du grand jour arrive. Le stress fait perdre ses moyens à Schizae.

SCHIZAE – Je n’y arriverais pas Salmissra ! Je ne peux que gâcher votre spectacle, vous êtes souple, belle, gracieuse, tout ce que je ne suis pas ! Il faut revenir sur votre idée de départ !

La jeune fille appréciait la danse, malgré l'entraînement draconien auquel la soumettait la Nagi, c'était toujours ça : trouver un peu de plaisir dans ce qui n'était pas nécessairement agréable permettait d'apprendre plus aisément, du moins, c'était le point de vue de la Nagi. Toutefois, à l'idée de savoir qu'elle allait jouer dans une semaine devant l'ambassadeur et son amie, elle paniqua et but la tasse. Salmissra lui tapota le dos pour l'aider à se reprendre et sourit quand la jeune Ki lui annonça qu'elle ferait de son mieux.

L'entraînement reprit la semaine suivante et Salmissra se joint plus souvent à la jeune Humaine, toutes deux mettant au point la chorégraphie qui sera jouée devant les deux Humains. Il s'agirait d'une soirée privée, donnée avant le départ de la courtisane. Malheureusement, sans doute à cause du stress, Ki perdit ses moyens la veille de la représentation. Elle et Salmissra se trouvaient dans les bains quand l'Humaine cria qu'elle ne voulait pas voir la courtisane partir, arguant qu'elle, Humaine, n'était pas aussi belle, souple et gracieuse que la Nagi.
Cette dernière ne pipa mot durant la tirade, avant de l'attirer doucement à elle et l'enlaça contre son sein, lui susurrant des mots doux et reposant à l'oreille. D'une main, elle lui caressait les cheveux, la rassurant de son mieux.

"Shhh, ça va aller, ma grande, ça va aller... Elle relacha doucement la jeune femme et la recoiffa doucement. Je me dois de partir, j'ai reçu une lettre d'un ami qui souhaiterait me voir me produire pour l'anniversaire de sa femme. "

Pieux mensonge, s'il en est. En réalité, elle devait surtout mettre fin à la vie de quelqu'un, mais ce n'était pas quelque chose dont on parlait aisément devant une enfant. Elle soupira discrètement.

"Je vais proposer à Cranston de t'emmener avec moi. Tes gages ne seront donc pas payés par l'ambassade, mais sur ma cassette, même si cela ne provoquera pas ma ruine. Qu'en dis-tu ?"

En effet, elle avait de quoi payer la jeune Humaine et ce n'était pas cela qui provoquerait sa ruine. Bien payée pour ses divers contrats, que ce soient d'assassin ou de courtisane, elle vivait dans une petite demeure peu coûteuse en entretien, si ce n'est la salle d'eau et ses deux domestiques.

Salmissra attire la fille contre elle pour la calmer. Elle lui explique qu’elle était obligée de partir car elle doit se produire pour l’anniversaire de l’épouse d’un ami. Schizæ pose sa tête contre l’épaule de la naga en essayant de se calmer. Son bras, sa poitrine et son cou nus sont couverts des brulures faites par le dragon. Elle ne cherche nullement à les cacher comme elle a l’habitude de le faire. Elle se sent assez en confiance avec Salmissra pour tout lui dévoiler. La courtisane recommence à parler après avoir poussé un long soupir. Elle propose à sa dame de compagnie de l’emmener avec elle, à ses propres frais. Schizæ se sent quelque peu coupable mais ne peut s’empêcher de hocher la tête en retenant ses pleurs. Elle grimace un sourire et remercie la naga avant de retourner se lover dans ses bras.

Le lendemain, la fille se sent mieux. Comme si l’idée de partir avec la courtisane lui avait retiré un poids. Elle se sent prête à danser, voler, enfin... le stress reste tout de même présent, elle le sent bien, comme une boule dans sa poitrine. Mais elle est prête.

Durant la matinée, elle effectue les tâches habituelles d’une dame de compagnie puisqu’elle n’a pas de séance d’étirement. En fin d’après midi, elle commence à préparer les affaires de la naga. Elle coiffe sa chevelure en une longue et épaisse tresse qui coule le long de sa queue de serpent. Elle y mêle quelques chaînes en or donc certaines sont parsemées de petites perles qui tintent à chaque mouvement de sa tête. La courtisane est resplendissante. La petite dame de compagnie ceint la poitrine de sa maîtresse avec un fin tissu bleuté, puis noue une ceinture étincelante autour de sa taille.

Ensuite, c’est à Schizæ de s’habiller. Elle regarde les habits qu’on lui a sélectionnés. Il s’agit d’une robe bleue elle aussi. Le col monte le long de son cou et ses bras sont couverts, cachant ses cicatrices. Elle se demande s’il s’agit d’un choix de sa maîtresse. Elle enfile la robe, mais n’arrive pas à nouer les nœuds dans son dos et demande de l’aide à la courtisane.

SCHIZÆ – Cette robe est bien compliquée à mettre, pourriez-vous m’aider ?

Elle a à nouveau besoin d’aide pour coiffer ses cheveux avec les rubans assortis à sa robe. Et une fois prête, elle ressemblerait presque à une poupée de porcelaine taille réelle. Elle sourit à la naga. Cela fait des mois qu’elle n’a pas porté de tels habits. Les souvenirs remontent brièvement, mais elle les refoule pour se diriger vers la salle où elles sont attendues. Son cœur bat la chamade. L'excitation se mêle à la peur. Elle attrape la main de la naga et la serre fort, juste un moment, juste le temps de franchir la porte...

La jeune Ki étreignit Salmissra pour la remercier, une fois ses larmes séchées. Le lendemain, la courtisane se rendit dans le bureau de Cranston. Ce dernier finissait de lire quelques dépèches en provenance de Telbara et d'Estandre. A l'arrivée de son amie, il lui en tendit une, avec un air renfrogné.

"Des estanols ont brûlé une famille de marchand ambulant telbarans sous prétexte qu'ils usaient de la magie. Ces imbéciles... Ils vont finir par énerver le Conseil et ça finira mal..."

Salmissra se plaqua la main contre la bouche. Elle avait vu bien des horreurs, mais là... Une bonne raison de haïr les estanols ? La liste suffisait. La courtisane rendit le papier à l'ambassadeur. Ce dernier lui tendit un verre de vin, qu'elle accepta avec plaisir. La Nagi but le verre d'un trait, avant de le reposer sur la table.

"C'est assez... Déroutant, surtout compte tenu de ce dont je souhaite te parler. Son ami haussa un sourcil. Voilà... Je souhaiterais engager Ki comme dame de compagnie avant de repartir pour Telbara. Cela ne te gênes pas ?"

Cranston se radossa à son fauteuil, pensif. Il regarda par la fenêtre l'activité des rues tacomanes, avant de revenir à son amie.

"Pourquoi pas ? Elle est estanole d'origine, certes, fut engagée pour toi, n'a aucun contact ici, mais ne semble pas avoir le tempérament propre à son royaume... Nous lui paierons ses gages dû tant qu'elle était ici, mais ensuite ce sera à toi de t'en occuper."

Elle acquiesça et tout deux s'occupèrent du nouveau contrat, en compagnie du maître du personnel. Par la suite, elle alla s'occuper de préparer la soirée. Elle aida notamment la jeune Humaine à lacer sa robe, et à se coiffer. Puis, elle la maquilla. La Nagi n'en n'avait pas besoin, mais savait comment procéder et elle parvint à un résultat qui, malgré son manque de pratique, était tout à fait satisfaisant. Alors que les deux danseuses se dirigeaient vers la salle, Ki prit la main de la Nagi et la serra. Doucement, la courtisane la pressa, avec un sourire doux.
La salle dans laquelle elles entrèrent était vide de meubles, sinon une table sur laquelle des rafraîchissements étaient placés, et deux fauteuils dans lesquels Cranston et son ami s'étaient installés pour profiter du spectacle. Les domestiques de la maisonnée s'étaient assemblés derrière eux et s'étaient assis pour regarder le spectacle. Des musiciens s'étaient placés de chaque côté de la scène improvisée, éclairés par des torches, et finissaient de se préparer. Salmissra attendit qu'ils soient prêts, en posant sa main sur l'épaule de sa protégée pour la rassurer. Elles saluèrent toutes deux de concerts et, prenant leurs distances, commencèrent doucement à danser à un rythme tribal, hypnotique, entraînant. Les spectateurs marquaient le rythme en frappant dans leurs mains.

Les bras de la Nagi se déployaient doucement autour d'elle, alors qu'elle se déhanchait doucement. Sa cascabelle crissait doucement. Peu à peu, elle s'écarta de Ki, alors que cette dernière, plongée dans sa concentration, ne la remarquait pas. Finalement, seule Ki resta sur la scène, alors que Salmissra marquait le rythme en frappant dans ses mains.

La naga répond en lui serrant la main. Ce contact rassure la jeune dame de compagnie, et les duo fait son entrée dans la salle. Cette dernière a été débarrassée des tables et autres meubles encombrants. Des musiciens se préparent, et Schizae jette un discret coup d'œil aux deux personnes assises devant elles. Confortablement assis dans des fauteuils, deux hommes discutent. Elle reconnaît le premier, c'est Cranston, un homme copulant dont la bedaine dépasse de sous sa chemise. Le second est également humain, à peu près du même âge, mais beaucoup plus maigre. Ses cheveux poivre et sel se dégarnissent sur ses tempes, et il sourit gentiment à la fille qui baisse les yeux en rougissant.

La naga pose alors sa main sur l'épaule de Schizae, ce qui la rassure un peu, puis la musique commence à se faire entendre.

La fille fait glisser son pied sur le parquet, vers l'avant, puis exécute une courbe sur sa droite à 90°, ramène ensuite son pied en arrière tout en se penchant gracieusement vers l'avant, tête légèrement baissée, bras gauche en arrondi devant elle, bras droit en retrait. Bon, déjà le salue, première chose de faite, aucune catastrophe pour le moment.

Elle observe discrètement la naga quand le rythme de la musique change. Avec sa grâce incomparable, la courtisane commence à danser, et Schizae la suit. Elle se trompe dans le second pas, mais tente de cacher son erreur. Puis elle continue la danse là où en est la naga. Elle ferme ensuite les yeux pour se concentrer, et les rouvre pour fixer Cranston en souriant, puis l'inconnu à ses côtés. Elle écoute la musique, son rythme à la fois sauvage et hypnotique. Elle recommence les pas mille fois répétés si bien qu'elle n'a même pas à réfléchir. Elle s'accorde aux vibrations de la musique, se penche d'un côté puis de l'autre, petit mouvement de pied, pirouette, et puis c'est parti, elle se laisse emporter, en oublie qu'elle joue devant un public, et fait danser son corps, animée par le son de chaque instrument l'un après l'autre. C'est si bon! Et quand la musique s'arrête, elle s'immobilise et reprend ses esprits. Elle sourit à Salmissra qui la regarde de... QUOI ?! La naga est de l'autre côté, tout proche des deux hommes et lui sourit de son sourire hypnotique. La fille est seule devant eux. Depuis quand l'a-t-elle abandonnée ? Elle l'a laissée se ridiculiser devant tout le monde comme ça ? Est-ce une farce, un bizutage ? Ses yeux papillonnent pour refouler les larmes de stress, de peur, de honte... Et elle regarde à nouveau la scène, comme si le spectacle n'était pas elle, mais ces trois personnes devant, ainsi que la foule de musicien. Cranston sourit en applaudissant, l'inconnu applaudit également en lui lançant un petit clin d'œil et Salmissra... elle la regarde avec une certaine... quoi ? Quel est ce regard ? De la fierté ?

Schizae souffle un long soupir et commence à rire. Le stress probablement. Elle sourit à la foule et exécute un dernier pas de danse : la salutation. Son corps tremble, mais elle termine la danse comme il se doit, seule sur la scène.

Quand elle commence à retomber sur terre, Cranston discute avec animation avec son ami. Il lui fait un signe de la main et elle s'approche d'un pas incertain.

CRANSTON - Félicitation jeune fille !
L'INCONNU - Comment t'appelles-tu ?
SCHIZAE - Ki, monsieur.
L'INCONNU - C'est incontestablement un maître dans le domaine qui t'a appris cela, n'est-ce pas !

Il lance un clin d'œil à Salmissra pour la féliciter elle aussi. Schizae n'a jamais été aussi fière de toute sa vie. Elle voudrait se jeter dans les bras de la courtisane en pleurant pour évacuer toute la tension qu'elle a ressenti ces derniers jours, mais elle se retient, du moins devant les deux hommes.

La jeune fille fut choquée de s'apercevoir que la Nagi s'était... "Esquivée" et Salmissra vit qu'elle refoula quelques larmes. C'était compréhensible, toutefois, Cranston et son ami, ainsi que le reste de l'assistance, applaudirent la danse, une fois que cette dernière s'acheva. La courtisane n'eu pas le temps de féliciter sa jeune apprentie : Cranston et son ami allèrent à elle pour la féliciter. La Nagi prit, sur un buffet qu'avaient installés les domestiques, deux hanaps emplis d'hydromel. Elle serpenta à travers la foule, distribuant remerciements et sourire au passage, avant de parvenir à Ki, au moment ou l'ancien ambassadeur tacoman la complimentait sur l'apprentissage qu'elle avait reçue. La Nagi cligna de l'oeil en réponse à l'Humain, et tendit un des hanaps à la jeune fille.
Se courbant, elle lui passa une main dans les cheveux, avant de déposer un petit baiser sur son front.

"Bravo, ma toute belle... Désolé pour m'être... Esquivée, mais si tu souhaitais voir à quel point tu avais progressé, et bien... C'était le seul moyen. Et crois-moi, tu te débrouilles bien... Il te faudra, bien entendu, continuer à t'entraîner, mais tu as du potentiel."

Elle trinqua avec la jeune telbarane et prit une gorgée d'alcool de miel.
La soirée s'acheva rapidement et Salmissra, accompagnée de Ki, se rendirent dans la chambre de la courtisane pour leur dernière nuit à l'ambassade. La Nagi aida la jeune fille à se dévêtir et à ranger sa robe dans la malle. Une femme de chambre s'était occupée de ranger leurs effets en prévision du départ. Salmissra enlaça alors la jeune Humaine pour lui permettre de pleurer et libérer la tension accumulée. La courtisane lui caressait les cheveux, lui murmurait des mots apaisants et réconfortants à l'oreille.
Quand Ki se calma, Salmissra l'aida à s'allonger dans son lit et la borda, avant de s'allonger dans son propre lit.

"Reposes-toi, à partir de demain, nous allons en avoir pour deux bons mois pour parvenir à Telbara... Et tant que nous ne sommes pas sortis de Tacomnal, et encore, on devra dormir dans le carrosse."

La soirée se passe sans que Schizae ne s'en rende compte. Lovée dans les bras de Salmissra, elle renifle une dernière fois, écoutant sa douce voix qui se glisse en elle pour la réchauffer. Elle pousse un profond soupire en y repensant. Il y a eu les félicitation des deux hommes, les encouragements de la courtisane, puis un peu d'alcool au goût de miel, et... tout se mélange. Elle tombe de fatigue. La naga l'entraîne vers son lit, à peine s'allonge-t-elle qu'elle dort déjà. Dans ses rêves la femme-serpent la borde avec la tendresse d'une mère, puis les fantômes reviennent, encore et toujours... Ils cherchent à entrer en elle pour parler à cette courtisane au cœur froid comme le diamant, ils réclament vengeance, mais elle lutte pour les repousser. Dans son sommeil, ils arrivent plus facilement à la posséder, mais elle ne veut pas... Non ! Elle se réveille en poussant un petit cris.

Le ciel se teinte de bleu, le soleil n'est pas encore apparent, mais il ne devrait pas tarder. La fille se lève encore tremblante. Pourquoi y a-t-il tant d'esprits autour de la naga ? Et pourquoi ont-ils tant besoin de parler qu'elle en perd presque le contrôle de son corps ?

Avec une certaine appréhension, elle commence à préparer leurs affaires, s'habille et monte dans la cuisine. Les quelques servantes qu'elle commençait juste à connaître lui font leurs adieu en lui souhaitant bon voyage. Schizae mange un bout puis retourne dans la chambre pour aider Salmissra à se préparer et pour finir de ranger les affaires. Ensuite la voilà dans le carrosse.

Ce mode de transport utilisé par les personnes de haut rang n'est pas très confortable malgré la vision qu'on a de lui. Les chevaux avancent à bonne allure, les roues heurtent des obstacles, petits certes, mais comme rien n’amortis ces chocs, on ressent tout de l'intérieur. L'intérieur du carrosse est recouvert de mousse, si bien que la fille s'enfonce dans les coussins avec délice. Elle est fatiguée, et le cahot et le bruit monotone des chevaux ne l'aide pas à garder les yeux ouverts, voilà qu'elle glisse dans le sommeil sans s'en rendre compte, sa tête tombe sur le côté et se pose sur l'épaule de Salmissra. Elle dort.

Quand son visage entre en contact avec la courtisane, cette fois-ci, elle n'arrive pas à le refréner. Elle se sent partir.

Ce que l'on peut observer d'un point de vue extérieur, c'est que le corps de Schizae se tend. Chaque muscle se contracte, ses yeux se révulsent, puis tout à coup, elle devient toute molle, son buste penche en avant, son visage suit, tourné vers ses pieds. Deux secondes passent. Puis brusquement, sans crier gare, elle redresse la tête et plante ses yeux emplis de haine dans ceux de la courtisane. Son visage est crispé par des émotions extrêmes. Colère. Jalousie. Envie. Violence. Quand elle ouvre la bouche la voix qui en sort est celle d'un jeune homme.

SCHIZAE - Pourquoi m'as-tu tué ?! POURQUOI ? Je t'aimais Salmi, je t'aimais...  Mais tu es bien incapable de comprendre ce sentiment toi ! Tu as juste profité de ma faiblesse pour toi. Je n'avais que vingt printemps. J'ai tant rêvé de ton corps, tout ça pour quoi ?

La fille tente de se mettre debout, mais le carrosse est trop petit pour ça, si bien qu'elle retombe sur ses fesses. Son visage est encore tordu par la colère, mais elle commence à se calmer.

SCHIZAE - Jaerhen. C'était mon prénom, mais j'imagine que tu ne t'en souviens même pas. On avait rendez-vous, tu devais danser pour moi, pour moi tout seul, et j'ai imaginé cette soirée des jours durant ! Mais, perfide, tu as empoisonné mon vin pour que je ne me réveille jamais dans tes bras nus. Je t'aime Salmi. Mais tu dois cesser de tuer. De faire saigner les hommes, de faire pleurer les dieux. Rejoins-moi.

Tout en continuant sa litanie, Schizae glisse ses doigts dans les colliers en or qui entourent le cou de la naga, elle enroule ses doigts, les enroulent, encore et encore, jusqu'à serrer de plus en plus.

SCHIZAE - Tu vas payer pour tes crimes, mon Amour.

Tout en cherchant à l'étouffer, la fille approche son visage de celui de la courtisane aux écailles émeraude et tente de plaquer ses lèvres sur les siennes.

Au lendemain, elles montèrent dans le carosse. La jeune Ki ne semblait pas avoir bien dormi et s'était éveillée à plusieurs reprises avec des cris apeurés, ce que la courtisane prenait pour de l'appréhension à l'idée de quitter l'ambassade. Salmissra, qui emplissait à elle seule la majeure partie du carrosse, la laissa dormir tandis qu'elle-même lisait une geste épique, une histoire de chevalier devant prouver sa valeur pour pouvoir s'unir à sa belle en allant rechercher une rose de cristal dans une sombre caverne. Combats, duels, chevauchées épiques, romances... Tout ce qu'appréciait la Nagi, en fin de compte. Ki glissa sur le coté et sa tête se posa contre l'épaule de la courtisane. Salmissra lui remit une mèche en place et revint à sa lecture.

La jeune Humaine se tendit et Salmissra se tourna vers elle, avant de sursauter en voyant l'expression de haine qui brûlait dans les yeux de l'enfant. Elle ouvrit la bouche pour lui demander la raison de cette haine, quand la jeune fille parla... Avec une voix de jeune homme. Elle ou "il" accusa la Nagi de l'avoir tué, alors qu'il l'aimait et dit s'appeler Jaerhen. La courtisane, contrairement à ce qu'il soutenait, se souvenait de lui. Il avait séduit une jeune femme avec de fausses promesses pour l'attirer dans son lit, avant de la rejeter. La jeune femme, de bonne famille, voyant son honneur bafoué, s'était donnée la mort et ses parents avaient engagés Salmissra pour venger leur enfant. Elle l'avait séduit, oui, peut-être bien mieux qu'il n'avait séduit sa victime. Alors qu'elle lui avait offert une danse, elle l'avait bel et bien empoisonné, conformément aux ordres de ses employeurs.

Mais pourquoi ? Comment ? Ki avait un don pour parler aux morts ? Etait-elle consciente ? La courtisane émit un son étranglé, alors que l'enfant, sous le contrôle du mort, l'étouffait en usant de ses colliers d'ors. Cherchant à se débattre, elle fut d'autant plus surprise quand le spectre possédant l'enfant plaqua les lèvres de Ki sur les siennes. Salmissra se retint de peu de mordre la langue et les lèvres de l'enfant dans un geste de défense. Sa queue serpentine se déplia et s'enroula doucement autour du corps de l'Humaine, alors que la Nagi se débattait pour repousser sa suivante possédée. Elle affermit brutalement la prise de ses anneaux, piégeant Ki et l'immobilisant.

"Ki ! Ki ! Réveilles-toi, bon sang !"

Elle la regardait dans les yeux, cherchant à la faire revenir d'une façon ou d'une autre, allant jusqu'à lui mettre un léger soufflet pour tenter de lui faire reprendre conscience.

Lorsqu'elle goûte aux lèvres de Salmissra, une seule pensée lui vient en tête. C'est mon premier baiser. Sans même se rendre compte que la naga la maîtrise et l'éloigne à l'aide de sa queue de serpent, la fille pense à ce spectre qui vient de lui voler ce que sa mère qualifiait d' "inoubliable moment de la vie d'une femme". C'était un peu bête de sa part. Au final, ce n'est rien que...

Shlack !!!

Schizae relève la tête avec surprise. Sa maîtresse vient de lui mettre un soufflet. Léger, certes, mais cela suffit à la faire revenir à elle. La fille observe la naga avec des yeux rond, un peu vitreux. Un mal de tête s'installe immédiatement. La force avec laquelle Jaerhen lui a volé son corps la fait souffrir. Elle se sent faible.

SCHIZAE - Mais qui était cet homme !?

En regardant Salmissra dans les yeux, Schizae sent que l'esprit du mort s'éloigne d'elle. Elle reprend totalement la maîtrise de son corps. L'âme torturée du défunt est retenue ici par un poids immense. Un poids qui l'empêche de s'abandonner au dieu serpent. Schizae frissonne. L'idée d'être coincé ici sous forme d'âme sans corps l'horrifie. Cet homme n'est plus qu'un esprit incapable de rejoindre le cycle des vies et des morts tant que la courtisane ne le libèrera pas de ses peines et de ses peurs.

Schizae n'a pas le temps d'admirer le pouvoir de la naga aux écailles d'émeraude, sa tête la fait trop souffrir. Elle sent qu'elle va... Au tout dernier moment, juste avant qu'il ne soit trop tard, elle passe la tête par la fenêtre et son estomac rejette le contenu de son petit-déjeuner.

Une fois de retour dans le renfoncement des coussins, la fille tente de garder ses idées claires. Elle ignore les élancements qui lui broient le crâne pour se concentrer sur toutes les questions qui lui brulent les lèvres.

Ki releva la tête avec surprise et Salmissra soupira en voyant qu'elle avait retrouvée une expression "normale". Elle desserra ses anneaux, libérant la jeune fille aux yeux encore vitreux. Cette dernière demanda qui était cet homme. Etait-ce une lueur de crainte que la courtisane décela dans les yeux de sa jeune suivante ? Possible... Avant qu'elle ne puisse répondre, la jeune Humaine se pencha au-dehors du carrosse et régurgita son petit-déjeuner sur la route. Salmissra fouilla dans un bagage de voyage qu'elle avait glissé sous ses anneaux avant de partir en voyage. Elle en sortit une gourde. Humidifiant sa main, elle la passa doucement à l'endroit où elle avait giflé Ki.
C'était intéressant. Elle avait dit "Cet homme", il s'agissait donc d'une sorte de possession ?

"Désolé pour cela..."

Passant la gourde à l'Humaine, elle la laissa boire tandis qu'elle cherchait les mots adéquat pour expliquer à une jeune enfant que l'esprit qui venait de la posséder était celui d'une de ses précédentes victimes car sa maîtresse, qu'elle prend juste pour une courtisane de luxe, est aussi un assassin rémunérée autant que pour ses danses pour mettre fin à la vie de certains ou certaines. Elle se passa la main dans les cheveux, soupirant. Enfin, elle décida de jouer la franchise.

"Je... Comment dire... Elle inspira profondément, avant de se lancer. Je ne suis pas seulement une courtisane. Ce n'est qu'une partie de mon travail. L'autre partie est bien plus sombre, plus... Horrible... Je tue des gens, ou je me charge de les écarter de leurs postes, en fonction des contrats qui me sont proposés. Cranston, par exemple, est devenu ambassadeur grâce à moi. Je me suis assurée que quelques documents compromettants atterrissent sur les bureaux du Conseil telbaran."

Elle inspira profondément et, prenant à son tour la gourde, en prit quelques gorgées. La Nagi prit le temps de choisir soigneusement les mots qu'elle allait utiliser pour expliquer quelle était la créature qui avait prit possession de sa suivante.

"Jaerhen... Il avait séduit une jeune femme, a passé du temps dans son lit et l'a finalement rejeté. Elle, qui avait cru à toutes ses promesses, s'est donnée la mort et ses parents m'ont chargé de tuer Jaerhen en retour. Mais toi... Dis-moi... Ce spectre, comment a-t'il prit possession de toi ?"