L'ombre [tigrain typé chat ; voleur]

J’aurais voulu être un minotaure, Sept Dieux ! Je voulais la puissance, inspirer la peur et le respect. A la limite, être tigrain, ce n’est pas si mal. Typé tigre, c’est classe. Lion aussi, ça passe. Même jaguar ça reste pas mal.

Mais typé chat, c’est la loose.

Et y a pire que de naître typé chat : c’est de naître moi.

Méphiti aurait pu me concevoir noir, attirant et mystérieux, ou même drôle. Voir juste normal. Mais non, elle a choisit le pire du pire et m’a fait naître… petit.

Tout petit.

Minus.

24,1 pouces, pour être exact.

La taille d’un très grand chat…

D’ailleurs, ma mère s’est empressée de me défausser. Mauvaise pioche. Ma face de peluche a été jetée à la poubelle. C’est une autre qui a récupéré le bébé. Une fille m’a pris pour un chaton. Que je n’aie pas de queue et des pattes articulées comme les siennes ne l’a pas interrogée. Faut dire qu’elle n’avait pas l’âge de penser bien loin. Et puis, à sa décharge, ce n’était qu’une humaine.

Elle m’a donné un prénom traumatisant. Ne m’interrogez pas sur le sujet.

Quand je me suis mis à répéter ses paroles désuètes, elle a trouvé ça très amusant. Le paternel n’était jamais présent et la mère était trop dépressive pour se rendre compte de quoi que ce soit.

J’ai donc été éduqué… comme un chat. Vous comprenez maintenant mon désarroi. Je vous épargne les détails de cette vie horrible qui fut la mienne. La pire qu’on puisse imaginer. Non, je sais, ce n’est même pas imaginable.

Le plus dur arriva lorsque je découvris ma vraie nature.

Je rencontrais parfois quelques chats. (Des animaux tous plus idiots les uns que les autres. Quand ces bêtes viennent vers toi, tu ne sais jamais si c’est pour te faire des léchouilles d’imbéciles heureux ou pour te tuer. Je les évite toujours.) J’ai aussi rencontré des tigrains. Y en avait plein la ville. Mais ils étaient tout ce que je n’étais pas. Ma prise de conscience a été longue. Faut dire que j’ai tout refoulé, j’ai longtemps nié l’inévitable et triste vérité. Vous vous imaginez, vous rendre compte d’une telle horreur : vous êtes si petit qu’on vous a pris toute votre vie pour un stupide chat parlant alors qu’en vrai, vous êtes un tigrain raté ? Non bien sûr. Personne ne peut comprendre ce que j’ai vécu.

Après des années de déni, j’ai compris la vérité. J’ai été tellement en colère que j’ai quitté la maison. J’ai vécu dans les égouts à me nourrir de restes et à dormir dehors. Après, j’ai essayé de trouver un moyen de modifier mon triste sort. Comprendre ce qui avait cloché dans mon histoire, parce que je ne pouvais pas encore y croire. Et puis j’ai fait une dépression. Je me suis laissé dépérir.

Je n’ai jamais accepté ma nature.

Une autre fille m’a recueillie. Elle m’a soigné, je ne sais pas pourquoi. Surement à cause de mon air de minet. J’ai fini par tomber amoureux d’elle. Elle me posait toujours entre ses seins et me caressait en me disant des mots d’amours, style : « mon cœur de chaton mignon à croquer, mon trésor, je t’aime, guilli-guilli ».

Mais quand j’ai voulu concrétiser notre relation, elle m’a mis à la porte.

Maintenant, je suis de nouveau à la rue. Je profite de mon pire défaut pour me servir chez les autres et vivre pleinement ma rancœur et ma haine à l’égard du monde. Je suis le roi des voleurs, et je vous déteste tous.