Envie de nouveauté

Elle n’avait pas réagi après qu’il lui ait parlé, il avait donc chargé sans intention de tuer. Cet assaut l’avait seulement fait reculer, et la louve qui était Maïlinya avait alors grogné en montrant les crocs, réaction typique du prédateur essayant de menacer son interlocuteur. Mais l’assassin n’était pas impressionné le moins du monde. Il écarta les bras, laissant ses lames écartées de chaque côté de son corps. C’était une manière de montrer qu’il ne cherchait pas le combat, qu’il ne lui ferait pas de mal… Si elle ne l’y forçait pas.

"Maïlinya, je te laisse une chance d’entamer une discussion. Tu peux aussi chercher à m’attaquer si tu ne tiens pas à ta vie. Ou tu peux fuir, mais saches que je suis une personne tenace, je te retrouverai."

Il ne savait pas s’il aurait vraiment la capacité de la retrouver, mais elle n’avait pas encore pris la fuite, donc il supposait que ce n’était pas son intention. La transformation l’avait surprise sur le coup, il n’avait jamais vu de changeforme, même s’il en avait déjà entendu parler. Mais c’était encore et toujours ces soudains changements d’attitude de la dryade qui l’interpellaient. Même si cette réaction pouvait s’apparenter à une réaction défensive, il avait du mal à croire que la candide Maïlinya puisse se montrer agressive. Et la supplique était des plus étranges.

Il restait donc en position, certain d’être capable de la bloquer si elle passait à l’attaque. Il l’observait, avec une concentration parfaite. Il avait décidé de ne pas la tuer, et essaierait de s’y tenir. Il ne tuerait pas gratuitement, et pour une raison qui lui était inconnue, il savait qu’il ne ressentirait aucun plaisir à la tuer elle.

Après sa charge, Harzhan écarta les bras, dans un geste qui devait être destiné à ce qu'elle se sente moins menacée. En effet, de cette façon, les lames de son adversaire ne la menaçaient plus directement. Elle cessa de gronder, mais garda ses babines retroussées, lui signifiant ainsi qu'elle n'hésiterait pas à attaquer si nécessaire. Mais Harzhan semblait disposé à parler:

"Maïlinya, je te laisse une chance d’entamer une discussion. Tu peux aussi chercher à m’attaquer si tu ne tiens pas à ta vie. Ou tu peux fuir, mais saches que je suis une personne tenace, je te retrouverai."

Elle rit intérieurement. Si elle renonçait à se rendre à Telbara, elle lui souhaitait bien du courage pour retrouver un loup ou une dryade en pleine forêt. Toutefois, elle ne comptait pas fuir. Elle aurait été incapable de se supporter après une telle attitude. Quant à l'attaque... L'adversaire était armé, et maniait bien ses lames. Elle n'avait que ses crocs et, sous son autre forme, ses poings. Bien sûr, elle pouvait toujours tenter la technique des loups, qui portaient des attaques feintes et ne cessaient de se soustraire aux coups pour épuiser leur adversaire... Mais les loups avaient l'avantage de la meute, alors qu'elle était seule. Un seul faux pas la condamnerait immédiatement. L'homme qui lui faisait face ne semblait pas du genre à laisser passer la moindre erreur, ni à donner une deuxième chance en cas de reddition tardive. Mieux valait sans doute ne pas prendre de risque.

A contre coeur, elle reprit sa forme humanoïde. Ses traits de louve se brouillèrent, pour laisser la place à sa forme de dryade, accroupie au sol. Ses lèvres se tordaient dans un rictus, succédant aux babines retroussées de l'animal. Ses yeux verts plantés dans ceux de glace d'Harzhan, elle lança, d'un ton agressif:

L'autre : Je ne sais pas ce que tu veux savoir, exactement, mais si tu veux des informations, tu devras m'en donner en échange.

Après sa proposition, il avait craint que la dryade, ou plutôt la louve à présent, ne l’ignore et parte. Auquel cas il ne la retrouverait sans doute jamais, contrairement à ce qu’il avait annoncé en bluffant. Puis il y eut un changement, les poils de la louve rétrécirent pour redevenir une peau verte lisse, son visage à l’aspect canin s’aplatit pour reprendre une apparence quasi-humaine, et les cheveux réapparurent à la place du pelage crânien. Maïlinya se trouvait devant lui, accroupie au sol, affichant un rictus provocateur. Rien à voir avec la dryade gentille et souriante. Elle lui lâcha des mots sur un ton acerbe qui ne lui ressemblait pas.

"Je ne sais pas ce que tu veux savoir, exactement, mais si tu veux des informations, tu devras m'en donner en échange."
"Une information pour une information, ça me va."

Il respectait ce genre de pratique, car il était tout de même pourvu d’honneur. Pour lui, l’information est la chose qui a le plus de valeur, et demander un échange d’information était donc une chose respectable à laquelle il ne couperait pas. Il répondrait donc avec honnêteté, quelles que soient les questions. Il espérait qu’il en serait de même pour elle, mais elle n’avait manifestement aucune raison de mentir.

"Bien, je veux savoir qui tu es exactement, car tu ne ressembles que physiquement à Maïlinya. Tu es bien plus prédatrice qu’elle, plus dangereuse. As-tu déjà tué qui que ce soit ? Et dois-je te considérer comme une menace ? Et c’est bien à toi que je m’adresse, pas à Maïlinya. C’est tout pour l’instant, tu as trois questions à poser."

La dernière question était un piège, Harzhan ne posait jamais de question inutile. Elle était dangereuse, il l’avait dit, donc bien sûr qu’elle représentait une menace, et répondre non serait donc un mensonge, et le moins qu’on puisse dire, c’est que Harzhan n’aime pas qu’on lui mente.

"Bien, je veux savoir qui tu es exactement, car tu ne ressembles que physiquement à Maïlinya. Tu es bien plus prédatrice qu’elle, plus dangereuse. As-tu déjà tué qui que ce soit ? Et dois-je te considérer comme une menace ? Et c’est bien à toi que je m’adresse, pas à Maïlinya. C’est tout pour l’instant, tu as trois questions à poser."

Bon. C'était mieux que ce qu'elle craignait. L'homme était sans doute un bon combattant, peut-être même un tueur, comme le suggérait son regard vide et froid, mais au moins, il ne semblait pas être impulsif et semblait capable de respecter un marché. Cela était encourageant. Elle cessa de montrer les dents, et lui répondit, du ton lui moins agressif qu'elle était capable de produire, même si cela lui écorchait la gorge.

L'autre : Elle n'est pas "je", tu l'as deviné. Elle protège "je". Oui, elle a déjà tué. Elle sait se battre, si c'est ce que tu veux savoir. Elle utilise ses pieds et ses poings, et ses crocs de loup. Pour ta dernière question... "Je" ne veut de mal à personne. "Je" est inoffensive. Mais elle est là pour la protéger. Et elle, elle n'a rien à voir. Elle, elle s'en fiche de faire du mal. Elle aime bien, même. Si tu ne veux pas la considérer comme une menace... Il faut être gentil avec "je". Avec Maïlinya, comme tu dis. Ne jamais lui faire de mal.

Elle le fixa de ses yeux verts, espérant lui faire comprendre qu'elle ne plaisantait pas. Elle ne savait peut-être pas manier d'épées, mais s'il s'en prenait à "je"... Elle trouverait un moyen. Elle disparaîtrait, puis reviendrait pendant son sommeil. Elle utiliserait la louve. Peu importait, mais elle trouverait. Dans le pire des cas, elle irait chercher une meute entière de loups. Ça, c'était une bonne idée.

L'autre : Maintenant, trois questions. Que vas-tu vraiment faire à Telbara, mis à part que c'est personnel? Toi, tu as déjà tué? Et, sincèrement, est-ce qu'il y a le moindre risque pour "je" si elle la laisse avec toi?

Elle le fixa attentivement, afin de surveiller son attitude pendant ses réponses. Allait-il vraiment accepter de lui donner ces informations? Elle l'espérait. Elle détestait qu'on lui mente, surtout lorsque la sécurité de "je" était en jeu. De plus, elle-même aurait regretté de devoir essayer de tuer ce personnage. Il l'intriguait assez. En effet, comment un simple humain pouvait-il dégager une telle impression de danger?

La dryade cessa de sourire et prit un air plus sérieux, comme si elle réfléchissait à ses réponses. Puis elle partit d’un ton moins cassant, mais néanmoins toujours un peu agressif.

"Elle n'est pas "je", tu l'as deviné. Elle protège "je". Oui, elle a déjà tué. Elle sait se battre, si c'est ce que tu veux savoir. Elle utilise ses pieds et ses poings, et ses crocs de loup. Pour ta dernière question... "Je" ne veut de mal à personne. "Je" est inoffensive. Mais elle est là pour la protéger. Et elle, elle n'a rien à voir. Elle, elle s'en fiche de faire du mal. Elle aime bien, même. Si tu ne veux pas la considérer comme une menace... Il faut être gentil avec "je". Avec Maïlinya, comme tu dis. Ne jamais lui faire de mal."

C’était donc ça, elle n’était plus la même personne. Harzhan n’y connaissait rien en dédoublement de personnalité, aussi il pensa à une sorte de possession. Et il y avait donc une violente et une douce. Devait-il craindre la violente sans nom ? peut-être, mais il l’aimait bien aussi, car elle était en partie comme lui. Il avait l’impression de la comprendre.

"Maintenant, trois questions. Que vas-tu vraiment faire à Telbara, mis à part que c'est personnel? Toi, tu as déjà tué? Et, sincèrement, est-ce qu'il y a le moindre risque pour "je" si elle la laisse avec toi?"
"Je vais a Telbara pour mon travail, je suis assassin. Donc oui, j’ai déjà tué. Je ne pense pas que Maïlinya soit en danger avec moi, je n’ai pas l’intention de lui faire du mal. Et tu es intéressante… Dis-moi, elle pourrait me laisser parler à Maïlinya ?"

Comme à son habitude, des réponses claires et concises. Il regardait celle qu’il appellerait la prédatrice, le penchant protecteur et agressif de la dryade, dans les yeux.

"Je vais a Telbara pour mon travail, je suis assassin. Donc oui, j’ai déjà tué. Je ne pense pas que Maïlinya soit en danger avec moi, je n’ai pas l’intention de lui faire du mal. Et tu es intéressante… Dis-moi, elle pourrait me laisser parler à Maïlinya ?"

Après avoir dit ça, il la fixa dans les yeux. Ainsi, il était assassin. Cela n'était pas vraiment surprenant, et expliquait son regard si particulier. Et puis c'était follement intéressant. Approcher quelqu'un, percer ses barrières, dans le but ultime de tuer... Cela paraissait être un jeu très distrayant. Ses yeux brillèrent d'envie. Mais elle savait bien que "je" n'aurait pas du tout été d'accord.

L'autre : Intéressant travail... Elle va laisser "je" revenir. Appelle-la si tu veux qu'elle vienne. Par exemple s'il faut se battre. Elle est plus pratique en combat. Info importante : "je" ignore ce qui se passe quand elle vient. "Je" est aux commandes plus souvent. Par contre, elle est spectatrice quand "je" dirige. Elle voit tout.

Sur ces mots, elle adressa un rictus à Harzhan -c'était sa façon à elle de sourire, légèrement inquiétante pour une personne non avertie- et retourna à sa place de spectatrice.

J'émergeai. J'étais accroupie en face d'Harzhan, qui tenait deux épées à bout de bras. Toutefois, il ne semblait plus me menacer. J'étais soulagée de le retrouver intact -l'autre avait pour habitude de s'attaquer à ceux qu'elle considérait comme des menaces, ou simplement aux personnes qu'elle n'aimait pas- mais j'étais également un peu inquiète. Que s'était-il passé? Lui avait-elle fait mal? Avait-il remarqué quelque-chose? Pourquoi ne me menaçait-il plus? Allait-il recommencer? Je doutais de ce dernier point. Malgré tous ses défauts, l'autre n'était pas du genre à me laisser dans une situation dangereuse. A sa façon, elle me protégeait...

Je me relevai doucement, sans geste brusque, afin de ne pas provoquer une attaque. Je n'étais pas rassurée. Il m'avait encore menacée, après tout ce chemin! Mais enfin, il avait ses raisons. D'après la question qu'il m'avait posée avant que l'autre ne me submerge, il avait sans doute remarqué que quelque-chose n'allait pas chez moi. Il avait dû se sentir menacé, et il n'était pas vraiment surprenant qu'il m'ait attaquée. Il cherchait simplement à se protéger. Ce qui importait, c'était que personne n'ait été blessé.

-Je... Je... Vous allez bien? Il n'y a pas eu de... soucis?

Elle soutenait son regard glacial, chose que peu de personnes étaient capables de faire. Dans un sens, ça lui plaisait qu’elle soit si hardie et si défiante. Jouer ce jeu d’informations avec elle lui paraissait très distrayant, elle était très proche de lui finalement, du moins « elle ». Pour la première fois depuis longtemps, Harzhan avait l’impression d’avoir trouvé une personne qui soit son égale, une personne véritablement comme lui.

"Intéressant travail... Elle va laisser "je" revenir. Appelle-la si tu veux qu'elle vienne. Par exemple s'il faut se battre. Elle est plus pratique en combat. Info importante : "je" ignore ce qui se passe quand elle vient. "Je" est aux commandes plus souvent. Par contre, elle est spectatrice quand "je" dirige. Elle voit tout."

Il la regarda avec attention, elle aurait pu exiger une information de plus de sa part pour ce qu’elle venait de lui apporter. Cette information était en effet importante, il s’en rappellerait. Mais il espérait pouvoir faire ressortir la prédatrice pour pouvoir encore parler avec elle plutôt qu’avec la douce et invraisemblablement gentille Maïlinya. Elle lui adressa un sourire carnassier, le genre de sourire que lui-même faisait lorsqu’il achevait ses victimes en les regardant dans les yeux. Définitivement, la prédatrice lui plaisait beaucoup.

Elle ferma les yeux un instant, et son rictus s’effaça alors qu’en rouvrant les yeux, la dryade semblait chercher à comprendre ce qu’il s’était passé, comme « elle » l’avait dit. Elle le regarda avec un mélange d’incompréhension, de gêne et de crainte. Pas une peut panique, peut-être simplement une peur due à sa menace précédente. Elle devait tout de même savoir qu’elle avait laissé sa place à la prédatrice. Elle se leva doucement, elle avait peur de sa réaction. Il rangea ses armes pour lui faire comprendre qu’elle n’avait rien à craindre.

"Je... Je... Vous allez bien? Il n'y a pas eu de... soucis?"
"Je vais bien, et toi aussi. J’ai compris ce que je voulais comprendre. Ne t’inquiète pas pour ca Maïlinya. Je m’excuse, j’aurai dû te prévenir."

De nouveau cette fille soucieuse et gentille, il préférait l’autre, mais il savait bien que ce n’était pas elle la dominante, elle le lui avait dit. Ils se remirent en route vers Telbara. Il leur faudrait encore longtemps pour atteindre la ville. Il espérait avoir une occasion de revoir la tueuse, et pourquoi pas s’associer avec elle, à l’insu de la dryade.

"Donc quand tu es menacée, tu changes d’attitude, ta gentillesse est une façade pour masquer que tu es en fait bien plus dangereuse ?"

Il se jouait d’elle, faisant semblant de ne rien avoir remarqué d’autre qu’un changement d’attitude. Il tut aussi la transformation en loup. Il ne voulait pas qu’elle sache qu’il savait pour la prédatrice, il ne voulait pas qu’elle ait vent de leur discussion.

"Je vais bien, et toi aussi. J’ai compris ce que je voulais comprendre. Ne t’inquiète pas pour ça Maïlinya. Je m’excuse, j’aurai dû te prévenir."

Je lâchai un soupir, soulagée. Toutefois, je ne savais pas de quoi il parlait lorsqu'il disait avoir compris. L'autre lui avait-elle simplement répondu? Cela était difficile à croire. Il avait rangé ses épées, et elle se sentait de fait plus rassurée. De plus, il s'excusait de son attitude. Avait-il vu l'autre? Avait-il compris quoi que ce soit? En tous cas, il n'en laissait rien paraître.

Nous nous remîmes en route, et je savourai l'odeur herbeuse de la plaine. Cela était très agréable. La pluie s'était calmée, mais son odeur plus forte ne s'était pas dissipée, et je me sentais vivifiée par le soleil qui grimpait à l'ascension du ciel. Le sol, sous mes pieds nus, était doux. Voyager était décidément très agréable.

"Donc quand tu es menacée, tu changes d’attitude, ta gentillesse est une façade pour masquer que tu es en fait bien plus dangereuse ?"

Je me tournai vers Harzhan, qui venait de prononcer ces mots, et m'empourprai, gênée. Ce n'était pas vraiment ce qui se passait. Mais pouvais-je lui révéler la vérité, pour l'autre, présente en moi, qui ne se décidait plus, depuis la mort de mon père, à me laisser vivre en paix? Qui aurait pu comprendre cela? Il me prendrait pour une folle, si je le faisais. Une folle dangereuse. Peut-être s'en irait-il. Peut-être m'interdirait-il de me rendre à Telbara. Après tout, je pouvais me révéler dangereuse, puisque j'étais incapable de contrôler ses apparitions. Je serrai mes bras autour de moi. J'essayais de garder ma joie de vivre naturelle malgré sa présence en moi, mais cela se révélait parfois ardu.

Je baissai les yeux vers le sol. Je ne savais que faire. Il pensait que  ma gentillesse était une façade. Je n'avais pas envie qu'il pense cela. Mais, en même temps, c'était comme si ça ne le dérangeait pas réellement. Etait-ce ça qu'il voulait voir en me menaçant? Avait-il voulu savoir si je savais me défendre?

Maïlinya : Je ne suis pas une mauvaise personne. Du moins, je l'espère. Je ne veux que le bien des autres, tant qu'ils ne font pas de mal aux arbres. Mais je... Je suis... rongée, depuis que mon père est mort dans un incendie... Et parfois je... suis sans doute un peu mauvaise.

Ce n'était pas tout à fait la vérité, mais ce n'était pas totalement faux non plus. Afin qu'il ne me questionne pas sur cette part d'ombre, dont je ne désirais pas parler, et à laquelle je ne voulais pas même penser, je lui demandai:

Maïlinya : Mais vous... On dirait que ça ne vous dérange pas vraiment?

Je relevai les yeux vers lui, interrogative. Se pouvait-il qu'il m'ait relâchée de sa menace car j'avais su réagir? M'aurait-il trouvée faible dans le cas contraire? J'avais l'impression d'être devenue moins ignorante depuis la mort de mon père. J'espérais avoir fait des progrès, et ne plus jamais être inutile. Mais me jugeait-il inutile, si j'étais incapable de me défendre? L'autre était-elle... utile? Je refusais de le concevoir. Elle était folle. Elle prenait le contrôle et, quand je revenais, je me retrouvais avec le sang de quelqu'un sur les mains, presque invariablement. Elle voulait m'aider, mais elle était un fléau.

Sa réplique semblait avoir fait mouche, elle semblait réfléchir, plongée dans ses pensées, alors qu’auparavant elle semblait respirer la joie de vivre et profiter de chaque instant sous le soleil et dans les plaines. Il l’avait gênée, et elle semblait croire qu’il n’avait rien vu de la prédatrice. Il préférait garder cela pour lui. Ils continuèrent à marcher un moment avant qu’elle ne reprenne la parole.

"Je ne suis pas une mauvaise personne. Du moins, je l'espère. Je ne veux que le bien des autres, tant qu'ils ne font pas de mal aux arbres. Mais je... Je suis... rongée, depuis que mon père est mort dans un incendie... Et parfois je... suis sans doute un peu mauvaise."


Sa ruse avait fonctionné, elle semblait se défendre sans évoquer l’autre, c’était donc qu’elle pensait bien qu’il n’en savait rien. Il se félicita intérieurement pour cette manipulation. En revanche, pourquoi lui parlait-elle de son père, elle n’y était pas obligée, et évoquer sa mort devait lui faire du mal. Harzhan, lui, n’avait jamais eu de parents, alors il ne comprenait pas les liens maternels et paternels.

"Désolé pour ton père…"

Avant qu’il puisse ajouter quoi que ce soit, elle enchaîna.

"Mais vous... On dirait que ça ne vous dérange pas vraiment?"
"Disons que je pense que tu n’es pas mauvaise, tout le monde a besoin de se défendre à un moment ou à un autre, et à ce moment, tu fais bien de laisser ta gentillesse derrière."

Il ne lui dirait rien de son métier. Seule la prédatrice savait, et elle seule saurait. Maïlinya ne supporterait certainement pas le contact avec un tueur. La prédatrice était une tueuse, elle le comprenait, comme il la comprenait, mais Maïlinya était trop gentille. Il continuerait à la duper sur ce qu’il savait, il continuerait de jouer au jeu des informations avec la prédatrice. Une fois à Telbara, il s’en doutait, Maïlinya serait constamment en danger, car on n’est en sureté nulle part dans une grande ville, et il voulait voir comment elle réagirait. Il espérait que cela lui donnerait plus d’occasions de voir la prédatrice plutôt que cette sotte pacifiste de dryade.

"Disons que je pense que tu n’es pas mauvaise, tout le monde a besoin de se défendre à un moment ou à un autre, et à ce moment, tu fais bien de laisser ta gentillesse derrière."

Surprise, je me figeai un instant. Ce qu'il disait avait du sens. Parfois, il fallait sans doute être capable de ne pas trop montrer de gentillesse, pour être capable de se défendre. Mais je n'étais pas habituée à penser de cette façon, du moins pour moi. Je comprenais cela pour les loups, qui avaient besoin de chasser pour manger, et parfois de se battre. Mais moi, je n'avais aucunement besoin de faire du mal à qui que ce soit. Je n'avais pas besoin de me battre pour manger, ni pour disputer un territoire à qui que ce soit. Pour moi, le mieux pour protéger les autres, c'était d'être capable de les soigner. Mais, selon une autre vision des choses, peut-être fallait-il savoir se battre pour empêcher qui que ce soit de les blesser...

Maïlinya : Le mieux serait encore que personne ne fasse de mal à personne. Comme cela, il n'y aurait nul besoin d'être méchant, à aucun moment. Mais ce n'est peut-être pas envisageable dans votre peuple... Je n'en sais rien, je ne connais pas assez les humains.

En tous cas, Harzhan était compréhensif. Peut-être ne l'aurait-il pas été en sachant que je n'avais pas fait que me défendre, et que je devais partager mon être avec l'autre, qui avait déjà tué et blessé plusieurs personnes, parfois pour me défendre, parfois simplement par caprice.

Nous reprîmes la route vers Telbara, et je tâchai de cesser de penser à l'autre. Mes pensées dérivèrent vers la ville, et les savoirs qu'elle contenait. J'espérais fortement y trouver des livres intéressants et y rencontrer des personnes enrichissantes.
Vers la mi-journée, nous croisâmes un petit bosquet d'arbre, et j'en avisai un dont les branches ployaient sous les fruits. Je me précipitai vers lui et lui demandai la permission de lui en soustraire quelques-uns. Il m'y autorisa, mais me précisa de ne pas trop en prendre, afin qu'il puisse nourrir les enfants pauvres qui venaient de temps en temps se régaler de ses fruits. Après l'avoir remercié, je retournai vers mon compagnon de route et lui lançai, en même temps que l'un des fruits:

Maïlinya : Attrapez-le!

Puis, après un éclat de rire, je mordis dans celui que j'avais pris pour moi, et eut une exclamation de joie : c'était vraiment délicieux!
Je repris mon chemin en sautillant, sourire aux lèvres.

Peu de temps après, nous arrivâmes en vue de la ville. J'accélérai alors le pas. J'avais tellement hâte d'y être!
Alors que le soleil se couchait à l'horizon, teintant le ciel de merveilleuses couleurs, nous atteignîmes les murailles de Telbara.

"Le mieux serait encore que personne ne fasse de mal à personne. Comme cela, il n'y aurait nul besoin d'être méchant, à aucun moment. Mais ce n'est peut-être pas envisageable dans votre peuple... Je n'en sais rien, je ne connais pas assez les humains."

Encore une pensée de pacifiste, une pensée que Harzhan trouvait stupide et déplacée. Il était impossible de ne pas faire de mal à autrui, c’était dans la nature humaine. Pour se nourrir, les hommes tuent des animaux, pour se défendre, ils frappent leur adversaire. Les humains étaient ainsi, et la plupart des races aussi. Peut-être les dryades vivaient-elles différemment, mais nulle part ailleurs elles ne trouveraient cet état de pacifisme poussé. Harzhan lui-même était devenu assassin par choix, car il aimait tuer. Beaucoup d’humains ne franchissaient pas ce cap, mais tous connaissaient ce sentiment, la volonté de faire du mal, chaque être vivant la ressentait à un certain moment.

"Non, tu ne les connais pas assez. Les humains ne sont pas aussi bons que tu sembles le croire. Les humains ont besoin de se battre entre eux pour devenir plus forts, c’est dans l’adversité qu’ils se révèlent."

Ils reprirent leur route jusqu’à ce que Maïlinya aperçoive un buisson et s’y rende. Elle sembla parler au buisson, ce qui exaspéra Harzhan, qui ne pouvait comprendre qu’elle puisse parler à une plante. Elle y ramassa des fruits à priori, et lui en jeta un en l’appelant. Il l’attrapa sans difficulté en plein vol et croqua dedans. Le fruit avait bon gout, et la dryade le regardait en souriant, comme si elle attendait son avis. Il ne lui semblait pas meilleur que n’importe quel autre fruit.

Ils avaient marché un moment encore avant de voir au loin la grande ville de Telbara. Maïlinya accéléra alors pour y être plus vite, ce qui ne dérangea pas l’assassin. Arrivés en vue des murailles, a encore quelques centaines de mètres, les grandes portes de la ville toujours ouvertes, ils s’approchèrent pour entrer quand des hommes surgirent des taillis, l’air de rien. Harzhan savait ce qu’il en était, des bandits cherchant à détrousser les gens qui allaient à Telbara. L’homme qui semblait être le chef s’approcha.

"Dites-moi vous deux, on vous a parlé de la taxe pour accéder à Telbara ?"

Les autres hommes se placèrent en cercle autour d’eux, ils étaient six en tout. Harzhan regarda du coin de l’œil Maïlinya, et posa ses mains sur ses épées. Le seul prix qu’il paierait serait la vie de ces gens contre leur passage. Il savait que ces bandits de bas étage ne feraient pas le poids.

Alors que nous approchions, les taillis non loin de nous bruissèrent, et des hommes en apparurent. Ils ne semblaient pas très affable, et affichaient sur leur visage un sourire mauvais.

"Dites-moi vous deux, on vous a parlé de la taxe pour accéder à Telbara ?"

La taxe? Quelle taxe? J'allais leur poser la question, lorsque l'autre s'agita. Je saisis alors que quelque-chose n'allait pas. Comme pour répondre à cette impression, les hommes se mirent à nous encercler. A coup sûr, ce n'était pas des gardes. Mais alors, quelle était cette taxe dont l'un d'eux avait parlé? Ils agissaient comme s'ils nous chassaient. La taxe était-elle un mensonge pour nous extorquer de l'argent.

Du coin de l'œil, je vis Harzhan poser les mains sur le manche de ses épées. Je grimaçai. Je ne voulais pas que l'on en vienne à se battre. Si j'avais eu de l'argent, je leur aurait volontiers donné, mais j'en étais totalement dépourvue. En tous cas, l'attitude de ces hommes tendait à confirmer ce que Harzhan m'avait dit concernant les êtres humains. J'en étais tout de même surprise. Quel besoin avaient-ils de se battre? Pourquoi ne pouvaient-ils pas plutôt vivre en harmonie, les uns avec les autres? Il n'était pas surprenant, après, qu'ils fassent du mal aux arbres, s'ils n'étaient même pas capable de s'entendre avec leurs semblables. Je sentis une certaine colère poindre en moi.

L'autre : "Je" ne croit pas qu'il serait mieux de la laisser prendre la situation en mains?
Maïlinya : Mais... Je te connais. Tu vas vouloir les tuer!
L'autre : Et si elle ne le fait pas, "je" sera tuée, et Harzhan sera en difficulté par sa faute. Ces hommes ne méritent pas que "je" s'inquiète pour eux.

Je serrai les poings. J'aurais voulu que ses hommes nous laissent tranquilles, afin de ne pas devoir laisser l'autre leur faire du mal. Mais si je l'empêchai de venir, non seulement je me mettais en danger, mais je risquais d'handicaper Harzhan. Pour la première fois, j'acceptai volontairement que l'autre prenne le contrôle.

Maïlinya : D'accord... Aide Harzhan.

Elle sourit, de son habituel sourire carnassier, puis se tourna vers Harzhan, en acquiesçant de la tête. Elle était prête à se battre. Elle harangua les adversaires:

L'autre: Attrapez-là si vous le pouvez!

Puis elle se mit en garde.

Maïlinya semblait prise dans ses pensées. Les bandits n’étaient pas rares dans cette région, proche des grandes villes, mais ils s’en étaient pris à la mauvaise personne. Ces personnes étaient en général des gens désespérés, pas des voleurs par choix, mais Harzhan s’en fichait bien. Ils se dressaient devant lui et le menaçaient, ils mourraient pour ça. Il se demandait si la prédatrice ressortirait pour défendre Maïlinya, cela lui ferait un bon partenaire pour le massacre à venir. Justement, il vit ce sourire carnassier propre à la prédatrice, et compris. Ils se regardèrent un moment dans les yeux, comprenant la volonté de tuer de l’autre, se comprenant mutuellement. De son ton railleur habituel, elle lança aux bandits une phrase.

"Attrapez-là si vous le pouvez!"

Les bandits prirent leurs armes, tous sauf un, qui avait un couteau de lancer planté dans le crâne et qui s’effondra sans un bruit. Harzhan tira ses deux lames peu après, il restait cinq personnes. Trois pour lui, et deux pour l’autre. Il se fendit avec célérité, sa lame traça un profond sillon écarlate sur la gorge d’un homme qui n’eut pas le temps de parer. Ils étaient sous-entraînés, des bandits de pacotille qui faisaient les malins avec leurs armes. Peut-être avaient-ils déjà blessé certaines personnes, mais certainement jamais tué, ils voulaient juste se montrer intimidants.

L’un d’eux para une lame, ce qui surprit presque Harzhan. Il réagit néanmoins prestement, continuant son mouvement pour arriver au contact physique et renverser l’homme. Le troisième regardait avec une expression terrifiée ses amis morts et ne faisait rien. De vrais amateurs. Il désarma l’homme au sol, avant de planter sa lame dans son cœur, ignorant toutes les suppliques. D’un bond, il fut à côté du dernier, le tenant sous la menace de ses lames croisées devant sa gorge. Il regarda la prédatrice avec un sourire meurtrier.

"A ton avis ? On en fait quoi ?"

A peine avait-elle finit sa phrase qu'elle vit un homme s'effondrer au sol, tandis que les autres brandissaient leurs armes. Harzhan était mortellement rapide. Alors que l'assassin se lançait déjà sur un autre adversaire, elle bondit vers celui qui était le plus proche d'elle. Celui-ci voulut la frapper de sa lame, mais son geste était à la fois lent et imprécis, et elle n'eut pas de mal à se couler le long de son bras pour esquiver l'attaque. Du tranchant de la main, elle lui fit lâcher son arme, et faucha ses jambes. L'adversaire chût à genoux, et elle n'eut qu'à se glisser derrière lui, saisir sa tête... et un délicieux craquement se fit entendre, annonciateur de la mort de l'homme.

D'un mouvement vif, elle fit face à un second adversaire, qu'elle avait vu se ruer sur elle du coin de l'oeil. Pour celui-ci, elle avait envie de faire couler le sang. Alors qu'elle bondissait de côté pour esquiver son attaque, elle se transforma, et la louve prit sa place. Elle ne prit même pas la peine de gronder, et se jeta sur la main armée de l'homme, refermant ses crocs sur elle. Son adversaire poussa un hurlement et lâcha son arme, tandis qu'elle faisait un petit bond en arrière pour se soustraire à une éventuelle riposte et pour déstabiliser l'adversaire. Puis, de nouveau, elle se jeta en avant, cette fois de tout son poids, et fit basculer l'homme au sol tandis que ses crocs se refermaient sur sa jugulaire. Le goût du sang inonda sa gueule, et, émoustillée, elle se mit à secouer sa proie tandis que celle-ci agonisait, déchirant ses chairs. Enfin, sa victime s'immobilisa dans un dernier borborygme de douleur.

Elle reprit sa forme humanoïde et se tourna vers Harzhan, qui tenait un dernier homme immobile, avant d'éclater d'un rire un peu fou.

L'autre: Et toi, des gens te paient pour faire ce genre de choses?

Elle balaya des yeux la scène du massacre. Les cinq cadavres jonchaient le sol. Tout semblait étrangement calme, après la violence du combat. La mort, qui remplaçait les derniers élans passionnés de la vie qui lutte pour ne pas cesser. L'immobilité la plus totale qui succédait au foisonnement de mouvements. Cela avait quelque-chose de presque... poétique.

Elle passa une main sur sa bouche qui, après la morsure que sa gueule de louve avait infligé, était couverte de sang. Elle regarda Harzhan, une étincelle d'amusement dans le regard, et répondit à Harzhan, qui lui avait demandé quoi faire de la dernière victime:

L'autre: Elle aime bien les cris. Tu crois que tu peux lui en tirer combien avant que quelqu'un ne rapplique?

Elle s'amusa à regarder la crainte envahir les yeux du captif.

Ses lames étaient maculées de sang mais lui était presque exempt de taches écarlates. La prédatrice achevait sa dernière proie d’un coup de dents à la nuque. Elle la secouait en tous sens, comme si elle jouait avec sa proie, ce qui amusa l’assassin. Elle reprit sa forme humaine, et partit d’un rire hystérique. Harzhan adorait sa façon de faire, en fait, son attitude lui plaisait beaucoup. Dommage qu’elle doive partager le corps avec cette pacifiste convaincue de Maïlinya.

"Et toi, des gens te paient pour faire ce genre de choses?"
"Oui, des belles sommes parfois, et c’est rarement des contrats risqués. Tu aimes faire ce genre de choses ?"

Il sourit, enfin c’était plutôt un rictus carnassier, en regardant la scène avec la dryade. Il était presque las de voir la mort tant il l’avait vue, mais les incisions des crocs de la prédatrice avaient quelque chose de beau dans les corps. Ils avaient fait du beau travail, même si elle était couverte de sang, surtout autour de la bouche. Comme ça, elle avait un aspect sauvage très attirant pour un tueur comme Harzhan, et elle ne rechignait pas à tuer, bien au contraire. Harzhan se demandait quelle serait sa réaction avec l’otage.

"Elle aime bien les cris. Tu crois que tu peux lui en tirer combien avant que quelqu'un ne rapplique?"

La réponse inattendue, une réponse de celles que Harzhan n’aurait jamais cru entendre de personne. Cette prédatrice était vraiment remarquable, un vrai bijou. L’homme paraissait terrifié, alors Harzhan le poussa à terre avant de planter une lame dans sa main, contre le sol. L’homme se mit à hurler de douleur, puis l’autre lame entra dans sa cuisse, ce qui le fit crier encore plus fort en une mélodie horrible mais qui sonnait terriblement juste aux oreilles de Harzhan. Ce n’était que le début.

"Un bon nombre. Tu sais que tu me plais beaucoup ma belle ?"

Harzhan n’utilisait jamais de tels mots pour décrire une femme, mais son attitude était magnifique à ses yeux, elle lui ressemblait tant... alors il l’avait fait. Après plusieurs minutes de douloureux cris, l’homme succomba à une hémorragie. Harzhan se tourna alors vers la dryade, se rapprocha d’elle, et passa un bras derrière son dos pour l’amener contre lui, ventre à ventre. Il avait un sourire meurtrier et affichait une expression de défi mêlé d’amusement. Son visage était à seulement quelques centimètres du sien et il la regardait droit dans les yeux.

"Toi et moi nous pourrions accomplir de grandes choses à Telbara. Tu es certainement la personne qui m'est le plus semblable que j’ai jamais rencontrée, il faudrait tout de même te trouver un nom tu ne penses pas ?"

Harzhan se détourna d'elle, pour pousser l'homme au sol. Curieuse de voir ce qu'il allait faire, elle pencha la tête de côté, attentive. L'assassin planta une lame dans la main de sa victime, qui poussa un magnifique hurlement. Une autre lame déchira les chairs de sa jambe, et le hurlement augmenta d'un ton.

"Un bon nombre. Tu sais que tu me plais beaucoup ma belle ?"

Ses lèvres s'étirèrent dans un sourire qui dévoila ses dents. Elle regarda son partenaire faire saigner sa proie, jusqu'à ce que le sang n'emporte sa vie avec lui, et qu'un voile vienne recouvrir les yeux de l'homme, dont le visage était figé dans un dernier rictus de souffrance.

Se détournant de l'homme, Harzhan s'approcha soudain d'elle et, d'une pression d'un bras qu'il avait passé derrière son dos, l'amena contre lui. Levant son visage vers le sien, elle pu voir que dans son regard brillait une flamme glacée. Et cette flamme la fixait.

"Toi et moi nous pourrions accomplir de grandes choses à Telbara. Tu es certainement la personne qui m'est le plus semblable que j’ai jamais rencontrée, il faudrait tout de même te trouver un nom tu ne penses pas ?"

Son sourire s'agrandit. Accomplir de grandes choses ? Elle en mourait d'envie. Et, en plus, en compagnie de ce tueur qui maniait les lames de façon si mortellement magnifique. Ce tueur qui disait... Quoi? Lui ressembler. Elle n'en avait pas la moindre idée, mais en tous cas, il avait de bonnes idées, et il savait tuer et faire mal. S'il pouvait lui offrir de quoi s'amuser, elle le suivait bien volontiers.

L'autre : Je l'appelle l'autre. Elle s'appelle l'autre. Qui a besoin de prénom?

Le sourire de la dryade s’agrandit, et Harzhan se dit donc que l’idée de travailler avec lui lui plaisait. La prédatrice se battait bien et sauvagement, et comme lui, elle était une personne née pour tuer. Tout cela parut bien excitant à Harzhan, alors qu’il détestait normalement travailler en groupe. Mais il restait le problème de Maïlinya, il savait comment faire sortir l’autre mais il n’empêche que Maïlinya serait toujours là à certains moments.

"Je l'appelle l'autre. Elle s'appelle l'autre. Qui a besoin de prénom?"
"Va pour l’autre alors."

Effectivement, les morts n’ont pas besoin de savoir qui elle est, son nom importe peu, même si il aurait été plus pratique qu’elle ait un vrai nom, il ne pourrait pas l’y forcer. Le contraste entre le visage si doux de Maïlinya et le rictus qu’il arborait quand l’autre était aux commandes était frappant. Si le corps de Maïlinya était indéniablement beau mais frêle, l’autre en faisait ressortir une bestialité et une puissance insoupçonnée.

"Dis-moi, si l’autre peut prendre le dessus sur je quand elle le souhaite, pourquoi ne garde-t-elle pas le contrôle en permanence ?"

En même temps qu’il disait ça, il la lâcha doucement en lui rendant toujours son sourire meurtrier et empreint d’un peu d’amusement. Il aimait bien discuter avec l’autre et se sentait proche d’elle. Il l’invita à ce qu’ils se remettent en route, laissant derrière eux les cadavres des six hommes mutilés. Rien ne permettra à qui que ce soit de retrouver leur trace via ces corps.

"Dis-moi, si l’autre peut prendre le dessus sur je quand elle le souhaite, pourquoi ne garde-t-elle pas le contrôle en permanence ?"

Disant cela, il s'écarta d'elle, sans toutefois la lâcher du regard. Elle se fit soudain mortellement sérieuse.

L'autre : Elle est là pour défendre "je", qui a besoin de quelqu'un pour être protégée. S'amuser est un plus. Si "je" n'est plus, elle n'est plus. Elle ne peut pas la laisser disparaître. "Je" est sa raison.

Elle emboîta le pas de Harzhan, qui s'était remis en route vers la cité, laissant derrière lui les corps, qui, bientôt, ne joueraient plus cette note d'absolu silence, mais vrombiraient du bourdonnement des mouches, entamant une nouvelle partition. Alors qu'ils s'approchaient de l'entrée de la ville, où des gardes étaient postés, elle se tourna vers lui et demanda, en haussant un sourcil inquisiteur:

L'autre : Ça te gène beaucoup, si "je" revient maintenant? Ils vont devoir trouver un endroit où se loger, pas trop loin des arbres, elle n'a pas besoin d'être là pour ça.

Elle avait bien envie de reprendre son poste de spectatrice. Elle commençait à étouffer de l'absence de "je", la cherchant de manière frénétique dans chaque recoin de sa conscience, avant de se rendre à chaque fois compte que, tant qu'elle avait le contrôle, "je" ne pouvait être là. Mais il lui semblait que Harzhan n'aimait pas beaucoup être avec "je". Elle ne savait pas trop pourquoi. Bien sûr, "je" était très étrange, et parfois agaçante, mais c'était à mourir de rire de l'observer! Et "je" la déconcertait tout le temps par ses réactions. Et, plus que tout, "je" lui donnait une irrépressible envie de la protéger. "Je" était si... vulnérable.

Elle se fit soudain bien plus sérieuse, et si Harzhan n’y était pas habitué, l’attitude qu’elle prit l’aurait fait frémir. Mais encore une fois, il se reconnaissait dans cette attitude froide et sérieuse. En tout cas, il avait touché un point sensible.

"Elle est là pour défendre "je", qui a besoin de quelqu'un pour être protégée. S'amuser est un plus. Si "je" n'est plus, elle n'est plus. Elle ne peut pas la laisser disparaître. "Je" est sa raison."

Donc s’il voulait s’associer avec l’autre, il devrait nécessairement rester aussi avec Maïlinya. Cela l’embêtait un peu, elle était déconcertante, trop gentille à son goût, et trop fragile. Et il devrait rester avec elle plutôt qu’avec l’autre, qui était l’exact opposé, le plus proche possible de lui. Tant pis, pour le moment il ferait avec, et si cela tournait mal, il se débarrasserait d’elles, même si perdre l’autre serait bien dommage. Ils marchèrent donc un moment, silencieusement, comme des prédateurs. Finis les égarements pour cueillir des fruits ou autres divagations, ils progressaient enfin rapidement vers leur but. Arrivés en vue des portes, et des gardes, l’autre l’arrêta.

"Ça te gène beaucoup, si "je" revient maintenant? Ils vont devoir trouver un endroit où se loger, pas trop loin des arbres, elle n'a pas besoin d'être là pour ça."

Elle avait raison, l’autre n’était bonne qu’à se battre et à tuer, tout ce qu’aimait Harzhan, mais contrairement à lui, elle n’avait aucune capacité sociale. Harzhan savait faire semblant, jouer des rôles, l’autre n’en donnait pas l’air, et même si sa façon d’être lui plaisait énormément, elle paraitrait au mieux très suspecte aux gardes. Donc, même si il aurait aimé qu’elle reste encore, la laisser partir était un choix judicieux, surtout qu’il ne savait pas l’intensité du lien qu’elle entretenait avec Maïlinya. Comme elle lui avait dit, elle ne vivait que pour la défendre, et pouvait donc en profiter à ces moments, mais qu’en était-il du reste ? Sortait-elle parfois pour le plaisir, ou respectait-elle le contrôle de Maïlinya ?

"Bien, fais ce que tu dois faire et laisse la revenir. Mais j’espère bien te revoir, nous avons beaucoup de choses à faire toi et moi…"

Il la laissa donc repartir, et attendit que Maïlinya retrouve ses esprits. Il avait repris un air plus fermé, en fait il se confiait plus facilement à l’autre, qui le comprenait. Mais il tenta néanmoins de ne pas paraitre mécontent de la revoir et joua encore sa comédie, feignant de n’avoir rien remarqué d’anormal en elle, et feignant d’ignorer l’existence de l’autre.

"Ça va ? Tu ne m’a pas l’air dans ton assiette…"