A la recherche de réponses

Le centaure ne perdit pas de temps. Il se cabra, et poussa un profond rugissement - ou bien hennissement? avec comme but, sans doute, de m'impressionner. Il y a bien de quoi effrayer des pleutres, mais pas moi. Comme je le pensais, il me chargea immédiatement. Mais quelque chose vient me déranger: sa hallebarde. Une arme nettement plus longue qu'un glaive, qui lui procure une meilleur allonge que moi. Difficile de parer des coups dans cette condition, surtout lorsque j'ai affaire à un adversaire qui peut tout aussi bien se servir de son corps que de ces armes.

Le meilleur à faire serait de sauter du coté opposé à son arme afin de gêner ses mouvements. Cela me laissera une fenêtre pour parer son coup, et je me retrouverais sur son coté. Je mis donc cette technique en pratique mais d'un ample mouvement, il tenta de me balayer les jambes. Impossible de stopper un tel coup avec une simple épée! Pas le choix, je suis contraint à sauter. Je n'aime pas sauter en combat: c'est trop simple de se faire trouer la peau en l'air. Heureusement, encore dans son élan, il ne peut pas me frapper de sa hallebarde. Il choisit donc le sabot: Il tente un puissant coup en direction de ma poitrine. Levant mon arme, je parviens à le bloquer, mais n'ayant aucun appui, une simple impulsion de sa part suffit à me projeter au sol.

Sans perdre une seconde, je me relève et prend un peu de recul. Comparé à moi, le centaure est clairement pataud, surtout à cause de son corps de cheval. Un avantage indéniable dont j'ai intérêt à tirer parti si je ne veux pas me faire battre. Je reste donc face à lui, attendant sa prochaine attaque. Rester de face à un centaure muni d'une hallebarde, c'est sur que je n'ai aucune chance. Je dois donc neutraliser ou l'un, ou l'autre. Vu son allonge, ce ne sera pas évident de le désarmer, donc je vais plutôt essayer de viser sa jambe. Si je parviens à éviter un coup de hallebarde, je n'aurais aucun mal à planter mon arme dans son canon.

La tentative d'impressioner Zaken avait-elle été vaine ? Peut-être, Enkiial n'était pas dans sa tête pour savoir ce qu'il pensait vraiment. Le Demi-Elfe se sentait-il à l'aise à l'idée d'affronter un Centaure ? Enkiial savait qu'un Centaure avait au corps-à-corps un avantage sur une race bipède sans arme naturelle telle qu'un Humain ou un Demi-Elfe. Zaken en était-il conscient ? Le Demi-Elfe avait cependant un atout : son agilité qui lui permettait de malmener Enkiial. Ce dernier pensait pouvoir la contrer.

En tout cas, sa charge fut esquivée. Il s'empressa donc, puisqu'il avait anticipé cela, d'utiliser sa hallebarde pour faucher les jambes de Zaken, mais là encore sans succès : Zaken fit un bond dans son esquive pour éviter de trébucher. Il était toujours aussi agile, et maintenant qu'il était en pleine forme, il allait vraiment donner du fil à retordre à Enkiial. Ce dernier ne voulait pas en rester là. Il se cabra en pivotant pour frapper la poitrine de son adversaire avec un sabot. Cette fois-ci, il toucha. Enfin !

Il faut dire que Zaken risquait de prendre facilement l'avantage psychologique dans ce combat alors même qu'Enkiial avait l'intention de le prendre : pour quatre attaques portées par Enkiial, Zaken en esquivait trois, et cela semblait presque facile pour le Demi-Elfe. Heureusement, pour l'instant, Zaken ne contre-attaquait pas. Il était bon en défense, indéniablement bon, mais qu'en était-il de son attaque ? Savait-il porter des coups avec son glaive ? Si oui, il pouvait faire saigner Enkiial et son agilité lui confèrerait un avantage d'autant plus important qu'Enkiial serait blessé. A l'inverse, la hallebarde d'Enkiial pouvait infliger de grosses blessures et handicaper Zaken, or Enkiial tenait à ce que Zaken soit en pleine forme : il voulait lui prouver que même en pleine forme, le Demi-Elfe était incapable de dominer le Centaure.

Zaken se remit prestement debout face à Enkiial, mais ce dernier jeta sa hallebarde à deux mètres sur le côté.

ENKIIAL – Bien, ça, c'était juste pour l'échauffement. Je vois que tu es en pleine forme, et je ne veux pas risquer de t'entailler avec ma hallebarde. Jette ton glaive, et lançons-nous dans un duel à mains nues. Le premier à soumettre l'autre a gagné. T'en crois-tu capable, Zaken ? Te crois-tu capable de soumettre un Centaure à mains nues ?

Après m'être relevé, je suis déja en train de chercher un autre angle d'attaque. Mais à ma surprise, le centaure jette son arme quelques mètres plus loin. Mais même sans arme, il réussit à m'envoyer une pique:

ENKIIAL – Bien, ça, c'était juste pour l'échauffement. Je vois que tu es en pleine forme, et je ne veux pas risquer de t'entailler avec ma hallebarde. Jette ton glaive, et lançons-nous dans un duel à mains nues. Le premier à soumettre l'autre a gagné. T'en crois-tu capable, Zaken ? Te crois-tu capable de soumettre un Centaure à mains nues ?

Il me provoque une nouvelle fois en duel à mains nues. Maintenant, ses intentions sont bien claires: il a l'intention de me prouver - ou bien à lui-même? que je ne suis pas capable de le vaincre. Il a besoin de se sentir supérieur à moi. Mais je n'ai pas envie de lui laisser cet honneur. En fait, c'est plutôt à moi de lui montrer que je suis meilleur que lui! Mais à mains nues, cela va être compliqué. En effet, je ne peux pas le charger, et lui doit aussi l'éviter car je pourrais tenter un contre. En somme, celui qui attaquera le premier sera désavantagé. Si c'est moi qui lui fonce dessus, il me repoussera à l'aide de son corps équin et prendra immédiatement le dessus. Inversement, si c'est lui qui charge sur moi, je n'aurais qu'à l'éviter, et le combat tournera à mon avantage car je me trouverais derrière lui.

Ho, et puis, merde. Comme d'habitude, je réfléchis trop. Je suis en combat, face à une ordure qui a fait disparaître ma famille. Pourquoi réfléchir? C'est un combat. C'est l'adrénaline qui prendra le dessus de toute façon. Le perdant sera celui qui laissera la fureur remplacer cette adrénaline. Je vais l'aider à ça, d'ailleurs, cet Enkiial.

ZAKEN - Et bien, canasson? Tu as peur de moi? Tu n'oses pas attaquer un semi-humain? Remarque, je préfère être à moitié humain qu'à moitié animal! Viens là, raclure, je t'attends!

Voila. Enkiial a le sang chaud, il devrait réagir. Moi, je l'attends de pied ferme!

Zaken sembla prendre le temps de réfléchir un instant, et finalement jeta son glaive, signe qu'il acceptait les nouveaux termes de ce combat amical. Enkiial sourit, agitant la queue et trépignant doucement, son arrière-train remuant de gauche à droite sous l'excitation du combat à venir. Avec les armes, Enkiial se sentait déjà confiant ; à mains nues, il l'était encore plus. Comment un Humain pouvait-il rivaliser à mains nues contre un Centaure, plus grand, plus puissant, plus rapide, plus imposant ? Un Centaure n'avait qu'à pousser un Humain pour le faire inévitablement tomber ; tandis qu'un Humain ne pouvait pousser le corps de cheval d'un Centaure.
A la base, Enkiial avait jeté son hallebarde car il s'agissait d'un combat amical et il voulait s'assurer que ça le reste. Il voulait faire cela dans les règles pour que rien ne serve de prétexte à Zaken pour rejeter les mérites de sa victoire. Mais ce combat restait trop facile. Le Demi-Elfe n'avait aucune chance, dans l'esprit du Centaure.

ZAKEN – Eh bien, canasson ? Tu as peur de moi ? Tu n'oses pas attaquer un semi-Humain ? Remarque, je préfère être à moitié Humain qu'à moitié animal ! Viens là, raclure, je t'attends !

Enkiial fut choqué, ce qui se lut très facilement sur son visage. Se faire insulter de raclure, ce n'était rien, c'était une provocation gratuite pour stimuler le combat. En revanche, se faire insulter de canasson, c'était grave... Cette insulte tira sur la corde sensible de tout Centaure qui se respecte. Le sang d'Enkiial ne fit qu'un tour. Il lâcha d'une voix étranglée :

ENKIIAL – Comment oses-tu me traiter de canasson, sale bipède douillet ? Crois-moi, non seulement tu vas perdre, mais je vais t'humilier !

Enkiial se cabra en lâchant un hennissement colérique, puis chargea Zaken, bien décidé à le percuter de plein fouet pour l'étaler au sol.

La provocation fait son effet. En fait, ça marche même trop bien. Le centaure a réagi au quart de tour, et après une courte menace, il me charge furieusement. Et je dois avouer qu'un centaure qui vous charge de front, ça a quelque chose d'impressionnant! Non seulement car mine de rien, il est très rapide, mais de plus, on sait que si il nous touche, on va finir la poitrine broyée. Et malgré le caractère amical du combat, je le pense capable de le faire. Mais je ne me sens pas d'humeur à vérifier! Attendant le dernier moment, je me jette sur le coté pour échapper à ses sabots. Sans lui laisser le temps de repasser à l'assaut, je me prépare à attaquer.

De mémoire, je sais que si je veux l'atteindre, je dois ou le faire tomber, ou me mettre moi-même à sa hauteur. Et il n'aime pas que je me mette à sa hauteur. Une idée malsaine vient de germer dans mon esprit. Il y a peu, Enkiial parlait de m'humilier. Mais qu'en serait-il si c'était lui qui se retrouvait humilié par un simple "bipède"? C'est tellement mauvais que je n'ai pas besoin de réfléchir longtemps. C'est moi qui vais lui infliger une correction.

L'idée est simple: le monter en pleine course. Comme il semble apprécier les attaques frontales, ce serait plus efficace de lui sauter dessus pendant qu'il coure. Après tout, je l'ai déjà fait plusieurs fois sur de simples chevaux. En quoi cela différerait-il? Nous allons bien voir.

ZAKEN - Le bipède douillet semble te malmener! Tu réclames un combat à mains nues, mais tu n'es pas capable de me mettre un coup! Les centaures seraient donc inférieurs aux humains?

Comme Enkiial est très fier de sa condition de centaure, il faut frapper là où ça fait mal. Je me demande comment il va réagir à cette dernière pique.

Enkiial voulait bien en rester à un combat amical, mais il ne pouvait pas laisser passer une telle insulte. Zaken venait de franchir la ligne jaune en le traitant de canasson. En plus, Zaken avait déjà essayé de le monter une fois, et Enkiial avait voulu ce duel justement pour se prouver à lui-même, plus que pour prouver à Zaken, qu'il était impossible de chevaucher un Centaure contre son gré. Si Enkiial était bien susceptible sur un point, c'est comme tous les Centaures sur l'idée d'être comparé à un cheval et d'être utilisé comme monture. Il ne pouvait pas laisser passer ça. Son orgueil et sa fierté de Centaure étaient atteints.

Malheureusement, comme Enkiial pouvait s'y attendre en fait, Zaken se jeta sur le côté au dernier moment, esquivant la charge de l'homme-cheval. Zaken n'attaquait pas beaucoup, mais défensivement, il enchaînait esquive sur esquive, et cela commençait à agacer le Centaure qui pestait contre l'agilité de son adversaire. Au moins, Zaken savait se battre et il avait de la valeur pour cela. C'était un Demi-Elfe et ça se voyait : il n'était pas aussi faible que les Humains.

ZAKEN – Le bipède douillet semble te malmener ! Tu réclames un combat à mains nues, mais tu n'es pas capable de me mettre un coup ! Les Centaures seraient donc inférieurs aux Humains ?

Il savait se battre, et il savait provoquer aussi. Au moins, il ne réitérait pas son insulte. Il en essayait d'autres, et bien sûr, il disait des choses qu'Enkiial, en fier Centaure, ne pouvait pas laisser passer. Cependant, cette fois-ci, ce ne fut pas au point de l'enrager. Le Centaure freina son galop et fit volte-face.

ENKIIAL – Idiot ! Tu te crois supérieur parce que tu as réussi à esquiver une charge ? Chacune de mes attaques est dangereuse, et tu as tellement peur d'un Centaure que tu n'oses pas contre-attaquer ! Mais je te comprends, tu as conscience qu'un Centaure ne peut pas être battu par un bipède douillet comme toi !

Les provocations fusaient de part et d'autre. Au moins, cela rendait le combat stimulant. Cela étant dit, maintenant, Enkiial tenta une autre approche. Il ne voulait pas se fatiguer en chargeant à chaque fois au risque de se faire esquiver. Il se cabra, agitant ses deux sabots antérieurs pour intimider Zaken, un peu comme un épéiste qui ferait des moulinets avec sa lame. Il lâcha même un hennissement menaçant. Tant qu'il fut cabré, le Centaure fit plusieurs pas vers l'avant avec ses pattes postérieures, se rapprochant de son adversaire. Il essaya de le frapper à la poitrine d'un double coup de sabot, puis il dut reposer ses pattes au sol.

Zaken allait voir ce que c'est que de se battre au corps-à-corps contre un Centaure. S'il essayait de se placer sur le flanc du Centaure, ce dernier pivoterait pour le bousculer avec la croupe. S'il se mettait derrière lui, le Centaure lâcherait une ruade modérée – le but n'étant pas de lui briser un os quelconque mais juste de le mettre à terre. Le Centaure ne resterait pas statique : il avait un corps de cheval, et pour lui, c'était un avantage, à la fois de puissance et de mobilité.

ENKIIAL – Idiot ! Tu te crois supérieur parce que tu as réussi à esquiver une charge ? Chacune de mes attaques est dangereuse, et tu as tellement peur d'un Centaure que tu n'oses pas contre-attaquer ! Mais je te comprends, tu as conscience qu'un Centaure ne peut pas être battu par un bipède douillet comme toi !

Enkiial aussi provoquait. Il a de toute évidence, lui aussi, une idée derrière la tête. En tout cas, il met en avant sa condition de centaure. Comme je le pensais, il a sa fierté. Mais il est inutile de continuer à le titiller.

Par contre, je me suis trompé sur son approche. Même enragé, il n'est pas stupide. Plutôt que de foncer, il tente d'avancer en se cabrant, jouant de ses sabots pour limiter mon approche. Il les fait tournoyer, et je ne peux pas l'approcher sans risquer de prendre un coup. Il tente ensuite un coup plus long, mais il manque d'allonge sur le coup, et manqua sa cible. Cependant, sa manoeuvre, bien qu'elle puisse paraître maladroite, a grandement réduit la distance qu'il y avait entre nous.

Je réalise alors pourquoi, je ressent une sensation de malaise face à cet adversaire. Une sensation que je n'avais ressenti alors qu'au château, et seulement contre certains soldats. Cette sensation, c'est celle de l'expérience. C'est ce moment où l'on ressent que notre adversaire a une grande expérience des combats, que c'est un vétéran. Cela se traduit dans la technique, les choix durant le combats, les passes d'armes. Les centaures vivent plus longtemps que les humains. Enkiial pouvait très bien avoir trente ans comme quatre-vingt!

Ceci ne fit que m'exciter encore plus. L'idée de battre quelqu'un d'expérimenté, pas un simple bandit de grand chemin. Ragaillardi par cette idée, une autre me vient alors en tête.

J'approche doucement du centaure, prenant garde à ses sabots. Il va forcément tenter de me frapper. Je pourrais alors tenter de saisir son sabot en l'air. Juste pour le déséquilibrer. Je sais d'expérience qu'une fois à terre, il est beaucoup moins dangereux. Je doute d'arriver à ce résultat, mais rien ne vaut l'essai. J'avance, tranquillement, en marchant.

Enkiial lança ses deux pattes antérieures vers l'avant, mais Zaken dut sentir venir l'attaque, le temps que le Centaure s'approchât de lui en étant cabré, et réussit à esquiver le double coup de sabots. Cependant, par la suite, il ne fit pas l'erreur de se mettre contre le flanc du Centaure, ni derrière lui. Il tenta de garder une certaine distance, ainsi Enkiial ne pouvait pas le bousculer avec son arrière-train, et Zaken se tenait hors de portée des sabots. Il y avait cependant un bête constat à faire : si le Centaure ne pouvait pas attaquer, le Demi-Elfe ne le pouvait pas non plus.

Et encore, ce n'était pas tout à fait vrai. Les Centaures sont dangereux au corps-à-corps car ils ont le corps d'un cheval, avec la force et le poids. Ils sont lourds, mais vifs ; ils n'ont pas la lenteur des Xolons. Ils peuvent bondir et charger, et un Humain ne peut pas résister au choc avec un Centaure. Enkiial avait renoncé à charger Zaken car ce dernier était trop agile et avait la fâcheuse tendance de l'esquiver à chaque fois ; mais il pouvait toujours bondir et le percuter. Il fallait simplement attendre le bon moment pour ne pas lui laisser la marge d'esquive dont il avait besoin.

Ce moment vint de lui-même. Zaken ne portait pas la moindre attaque depuis un moment. Peut-être que sa tactique consistait à laisser Enkiial attaquer en permanence, à tout esquiver et à le laisser se fatiguer pour l'avoir à l'usure. Si c'était vrai, alors Zaken était très confiant sur ses capacités : était-il aussi endurant qu'agile ? Ne se disait-il pas qu'esquiver une série d'attaques pouvait être plus fatiguant que de porter cette série d'attaques ? Heureusement pour lui, Enkiial n'était lui-même pas très endurant, et ce combat commençait à le fatiguer. Son souffle se faisait assez court. Le Demi-Elfe pouvait avoir le Centaure à l'usure ; mais tant qu'il n'attaquait pas, il ne pouvait pas gagner.

Ainsi, Zaken approcha Enkiial de front, offrant à ce dernier l'occasion qu'il attendait. Quand le Demi-Elfe fut suffisamment proche, le Centaure bondit en avant, espérant bien le percuter avec son corps de cheval.

Si il y a bien une chose à laquelle je ne m'attendais pas, c'est ce qui vient de se produire. Alors que j'avançais vers Enkiial, celui-ci m'a littéralement bondi dessus! Et je peux vous dire qu'un cheval à torse humain de plus de deux mètres de haut qui vous saute dessus, ça a quelque chose d'inquiétant. En fait, il y a largement de quoi s'inquiéter! Stupéfié, je n'ais même pas le temps de m'écarter: Le centaure me percute de plein fouet, me projetant à terre et me faisant glisser quelques mètres plus loin. Encore sous le choc, je vois le centaure qui revient vers moi.

A moitié étourdi, je peine à me relever. En fait, je suis trop lent, et n'aurais largement pas le temps de me remettre sur pied. Je décide donc de faire rouler mon corps latéralement afin de mettre un peu de distance. Je me relève péniblement, et jauge alors la situation. A l'avant, sabots, A l'arrière, sabots. Sur le coté, croupe. C'était déja assez compliqué comme ça, et voila que maintenant, il saute!

Ma seule alternative, à part rester sur la défensive, consiste donc à l'attaquer sur le coté. Il y sera moins mobile que partout ailleurs. Et c'est le meilleur endroit où je pourrais prendre appui pour le chevaucher. Seulement, il ne se laissera surement pas faire. Je pourrais tenter de lui courir autour, mais je risque de m’essouffler trop vite. Il vaut mieux le laisser attaquer, et le contrer au dernier moment afin de passer sur son coté, voir derrière lui. Mais va-t-il rentrer dans mon jeu? Difficile d'y croire, alors qu'il connaît très bien ma capacité à esquiver ses attaques. En dernier recours, je pourrais toujours adopter une approche beaucoup plus aggressive, au risque de prendre des coups, mais cela sera surement quitte ou double.

L'agilité déconcertante et pour le moins agaçante de Zaken ne put cette fois-ci pas le sauver de l'attaque d'Enkiial. Il était trop près et trop surpris. Il fut percuté de plein fouet par le Centaure et tomba lourdement au sol en glissant sur deux mètres. Enkiial le toisa avec un sourire fier, agitant la queue un instant sous la joie d'avoir porté un bon coup. Il venait de mettre Zaken à terre.
Oui, mais le but de ce “match” était de soumettre l'adversaire. Zaken venait de tomber, il ne restait plus qu'à le soumettre.

Enkiial s'avança donc rapidement avec l'intention de le plaquer au sol sous ses sabots. S'il l'empêchait de se relever, il aurait gagné. Ca semblait si facile... Trop facile...
Zaken trouva les ressources nécessaires pour rouler au sol sur le côté, conscient qu'il n'aurait pas eu le temps de se remettre debout d'abord. Les sabots du Centaure s'écrasèrent dans l'herbe sans réussir à le plaquer. Le Demi-Elfe prit de la distance en roulant, une technique peu académique mais qui lui offrit le répis qu'il réclamait pour se remettre debout.

ENKIIAL – On n'échappe pas comme ça à un Centaure !

Frustré, et même vexé de ne pas avoir su saisir cette occasion de plaquer Zaken et de l'immobiliser, l'homme-cheval le poursuivit. Il se retint bien de charger, sachant qu'il se ferait encore esquiver, de même qu'il ne chercha pas à le percuter. Il ferma le poing et plia le bras vers l'avant en s'avançant, pour enfoncer son poing dans le ventre du Demi-Elfe et lui couper le souffle. Si ce coup portait, Enkiial n'aurait plus qu'à enchaîner.

Enkiial me poursuit. Visiblement insatisfait de son offensive, il se met même à fanfaronner. Apparemment, le fait d'avoir réussi à me mettre en difficulté pendant un instant semble le mettre en confiance. Il continue d'ailleurs son attaque, en avançant vers moi, bras tendu. Il a visiblement l'intention de me mettre un coup de poing. Je pourrais l'éviter, mais je vais encore perdre en marge de manœuvre, et c'est ce qu'il attend.

Hors, c'est une occasion rêvée pour moi, en revanche! Si je pénètre le coté avec lequel il frappe, non seulement il ne pourra pas riposter autrement qu'avec sa croupe! Si j'y prends garde, je pourrais enfin prendre l'avantage... Autant tenter le coup, je n'ai pas grand chose à perdre.

Alors que son bras arrive vers moi, je pivote sur le coté afin de ne pas encaisser le coup. Me servant de ce mouvement pour prendre un peu de vitesse, j'appuie lourdement sur ma jambe gauche, et m'élance droit devant moi. Je garde sa croupe fixée sous mes yeux afin de ne pas me faire surprendre. En effet, c'est le seul angle d'attaque qu'il possède désormais. Si j'arrive à l'empêcher de m'attaquer avec...

Il tente un mouvement avec. C'était presque évident, je serais tenté de dire. C'est là le moment ou jamais. Plutôt que de tenter de l'éviter, je prend appui dessus et en profite pour grimper sur son corps équin. L'épisode se répète, mais il ne tient qu'à moi d'en changer la fin: en effet, Enkiial va sans aucun doute se remuer dans tous les sens afin de me faire tomber à tout prix. La dernière fois que j'avais essayé, j'avais fini par lâcher prise à cause de mes blessures, mais cette fois, c'était différent. J'ai toutes mes chances, à présent.

Enkiial avait au moins raison sur une chose : on n'échappe pas à un Centaure, pas quand on est un Humain – ou Demi-Humain – sans monture. Zaken n'échappa donc pas à Enkiial. En quelques foulées, il fut rattrapé par l'homme-cheval. Enkiial voulait tout mettre dans ce coup de poing au ventre, car il serait décisif. S'il frappait Zaken maintenant, avec la force de l'élan, il pouvait ensuite en terminer de ce combat amical qui l'avait déjà passablement frustré. Zaken était trop agile et cela le fatiguait.

Malheureusement, cette même agilité profita encore une fois au Demi-Elfe, qui se décala à temps sur le côté droit. Il se retrouva tout près de l'arrière-train d'Enkiial, qui tourna rapidement la tête, ne le perdant pas des yeux. Il ne devait pas laisser de répit à son adversaire bipède. Lui-même commençait à s'essouffler, et le moindre temps mort serait profitable au Demi-Elfe. Aussi le Centaure pivota-t-il pour essayer de le bousculer avec la croupe.

Tout se passa alors très vite. Tout ce qu'Enkiial pouvait craindre, en fait. Zaken prit appui sur la croupe du Centaure pour le chevaucher. Cela déclencha un geste réflexe chez l'homme-cheval, un coup de cul vers le haut, cherchant à lui faire perdre son appui. Mais Zaken était doué en équitation, et si ça aide sur un cheval, ça aide aussi bien sur un Centaure.

ENKIIAL – Non ! Pas question ! Tu vas tomber !

Enkiial se cabra et enchaîna alternativement avec d'autres coups de cul. Malheureusement, l'épuisement qu'il ressentait fit vite son effet. Sa cadence de rodéo se trouva sensiblement diminuée par rapport à ce qu'il pouvait livrer en pleine forme. Il dut s'arrêter un moment pour reprendre son souffle, avec l'irritante sensation de porter un cavalier qui prenait ses aises.
Il décida d'arrêter le rodéo, et donna plusieurs coups de coude vers l'arrière, espérant faire tomber Zaken.

ENKIIAL – Je suis un Centaure ! Pas un cheval !

Etre monté sur le dos du centaure représentait déja une grande satisfaction pour moi. En effet, Enkiial est un adversaire redoutable, et avoir pris l'avantage sur lui était un grand pas. Mais les vraies complications commencent maintenant. Il ne s'agit pas que de chevaucher le centaure, il faut pouvoir rester sur son dos. Et je ne doute pas du tout de la difficulté dont relève un rodéo.

Et celui-ci s'est révélé être à la hauteur! Cabrant, remuant, sautant en tous sens, un coup à droite, un coup à gauche, me secouant sans arrêt, je peux remercier mes qualités en équitation! Pas étonnant que je n'ai pas tenu la première fois. Cependant, cette fois-ci, les choses sont différentes. Je me cramponne tant bien que mal, et je parviens à m'accrocher pendant quelques minutes. Au bout de ce laps de temps, sans doute par fatigue, Enkiial finit par ralentir, puis par s'arrêter. J'en suis presque heureux. Je commence à avoir la tête qui tourne. Mais le centaure ne me laisse pas reprendre mon souffle. Il me lance de violents coups de coudes, que j'arrête tant bien que mal avec mon bras, et me lance, enragé:

ENKIIAL – Je suis un Centaure ! Pas un cheval !

Ca y est, je l'ai blessé. Dans son amour-propre. D'une part, en réussissant à le chevaucher. Et je pourrais en rajouter une couche. Sortir vainqueur de ce combat.

ZAKEN - C'est fini! J'ai réussi à te soumettre en te chevauchant. Si tu veux que je descende, admet ta défaite!

Le comble. Voila un dilemme pour lui: qu'est-ce qui est plus humiliant entre être considéré comme un cheval, ou reconnaître une défaite? Je tiens enfin ma vengeance pour Deyn et Lylï: Je jubile.

Enkiial avait déjà été malmené par l'agilité extraordinaire de Zaken, qui l'avait fait tourner en bourrique, au propre comme au figuré, mais il devait maintenant faire un autre constat encore plus affligeant : Zaken était un excellent cavalier. Et... être forcé de se rendre compte qu'en étant doué pour monter un cheval, un Humain l'était de fait aussi pour monter un Centaure, était ineffablement humiliant pour un Centaure.
Quand il ne s'agissait que d'insultes, un Centaure pouvait toujours nier ; mais là, Zaken se tenait sur Enkiial exactement comme il se tenait sur un cheval. C'était au bas mot la pire humiliation qu'il pouvait lui infliger.

Les coups de coude n'y changèrent rien. Ils étaient trop mous à cause de l'épuisement. Enkiial insista mais il dut aussi reprendre son souffle, et Zaken choisit cet instant pour lui assener le coup de grâce :

ZAKEN – C'est fini ! J'ai réussi à te soumettre en te chevauchant. Si tu veux que je descende, admets ta défaite !

« en te chevauchant »... Enkiial était chevauché contre son gré par cette saleté de bipède et n'y pouvait plus rien. Aucun mot ne saurait décrire l'intensité de son humiliation. Et il était trop épuisé pour que cela se transforme en rage.

ENKIIAL – Non !

Enkiial se débattit mollement. Pour la première fois depuis très longtemps, il crut sentir des larmes lui monter aux yeux. Il ne se souvenait même pas de la dernière fois qu'il avait pleuré. Il fit l'effort de retenir ses larmes et de ne rien laisser paraître. Zaken ne pouvait pas atteindre sa dignité. Il hurla :

ENKIIAL – Je suis un Centaure ! Je n'ai aucun point commun avec un cheval ! Tu m'entends, sale bipède puant et dément ! Je ne suis pas plus un cheval que tu n'as de frère ou de sœur ! Je n'ai aucun point commun avec un cheval !