A la recherche de réponses

Nous avançons tranquillement sur la route. La brise est fraîche, et appréciable, vu la chaleur ambiante. Mon bras ne me fait presque plus mal: le prêtre avait vraiment bien fait son travail. Telbara serait bientôt en vue. Là bas, toutes nos réponses nous attendrons. Mais que devrais-je faire dans l'immédiat, en arrivant? J'avais suffisamment d'argent pour rester deux semaines sur place. Après, trouver un boulot de mercenaire ne devrait pas être trop difficile. Je suis venu dans ce royaume avec un seul but: savoir si vivre avec des humains était possible. Pas forcément en harmonie totale, non. Je veux simplement être toléré par le regard des gens. C'est aussi le souhait de Deyn. Nous avions d'abord hésité à nous installer au Spéropoleos. Mais l'idée d'attendre un mois pour s'y installer ne plaisait guère à personne, et nous ne désirions pas non plus vivre dans de petites tentes. Ho, nous l'avions déjà fait, lors des quelques batailles que nous avions menées pour le compte d'Ansseur. Mais à court terme seulement.

L'idée de vivre dans une petite maison, en famille, me plaisait bien. Je pourrais étancher ma soif de combat en devenant mercenaire. Et nous aurons enfin un habitat stable, pas une petite cabane ou un grand château où nous étions susceptibles de partir à chaque instant.

La nuit n'allait pas tarder à tomber. Je ferais mieux de commencer à installer le camp. Nous nous sommes installés un peu à l'écart de la route, près d'une pinède. Nous avons encore des vivres pour tenir trois ou quatre jours, mais Deyn insiste pour partir chasser. Lylï, elle, était partie chercher quelques plantes pour mon bras. J'étais désormais seul, en train d'allumer un petit feu. Mon bras me gênait encore quelque peu pour les gestes quotidiens. Je ne pouvais pas encore espérer combattre avec. Je m'allonge doucement, la tête posée sur une pierre. Pouvais-je espérer vivre tranquillement à Telbara? Cette question me perturbe encore.

Les pins, ce n'étaient vraiment pas les arbres préférés du Centaure. Ils avaient au moins l'avantage d'avoir un tronc fin, d'être souvent espacés les uns des autres et de n'avoir presque jamais de racines apparentes ; autant de critères appréciables quand on est un Centaure et qu'on veut circuler sans gêne dans une forêt. Pourtant, Enkiial n'aimait pas ces arbres, il avait l'impression que tout était sècheresse autour d'eux. Ce sol ras, couleur avoine, parsemé d'aiguilles vertes mais d'aucune feuille plate, dépourvu de buisson... L'on ne trouvait près de ces arbres ni buissons à baies ni faune abondante.

Enkiial revenait du Royaume de Tacomnal et retournait à la Forêt du Calme. C'est sur son trajet qu'il passa près de cette pinède dans les Ganavarelles. Le soir tombait, il lui restait peu de nourriture et Enkiial n'avait pas espoir d'en trouver beaucoup dans le coin. Il se chercha toujours un endroit où faire halte pour la nuit.
C'est alors qu'il la vit : cette fumée s'élevant depuis un endroit en bordure de forêt. Un feu de camp. Il y avait d'autres voyageurs que lui à proximité. Peut-être auraient-ils de la nourriture ? De plus, cela casserait un peu la solitude du Centaure. Il pourrait même y trouver un autre genre de divertissement...

Il s'approcha lentement. Il ne tarda pas à voir l'homme assis près du feu. Celui-ci était vêtu d'une armure souple et sombre, idéale pour les voyages, mais il n'avait pas d'arc. Il soufflait encore sur les flammes comme pour les attiser, signe que le feu était récent. Enkiial ne remarqua pas de signes de présence d'autres personnes ; s'il ne voyageait pas seul, alors ses compagnons s'étaient éloignés, sinon, c'était un voyageur solitaire comme Enkiial.

Le Centaure s'approcha sans plus chercher à éviter d'être remarqué. Il toisa l'homme en s'approchant à cinq mètres de lui, une distance raisonnable.

ENKIIAL – Bonsoir. Puis-je me permettre de me joindre à vous ?

Se présenter ainsi devrait avoir tôt fait de détendre l'homme. Enkiial n'attendit pas plus longtemps, escomptant créer un effet de surprise : il prit son arc de la main gauche et encocha une flèche de la main droite, mettant l'inconnu en joue à cinq mètres.

ENKIIAL – Bien, tu ne vas faire aucun autre geste que ceux que je t'ordonne. Tu vas commencer par jeter ton or à mes pieds, et si je te vois attraper autre chose, ce sera la dernière chose que ta main toucheras.

Après plusieurs essais, le feu a fini par prendre. Les petites rafales passagères n'y ont pas aidé. Je sort un petit morceau de viande de ma poche, l'embroche sur un morceau de bois, et le place au dessus du feu. Une douce odeur se leva peu à peu dans l'air, venant me chatouiller les narines. Laisser un feu de camp, près d'une forêt, en pleine nuit, n'était pas la chose la plus prudente que je n'ai jamais faite. Mais nous sommes trois, et trois bons combattants. Même si Deyn et Lylï ne sont pas encore là.

La nuit était tombée. On entendait les criquets chanter leur mélodie, certes répétitive, mais appréciable tout de même. Jusqu'à maintenant, je n'avais jamais eu le temps de prêter attention à toute ces petites choses. L'odeur d'un feu, le chant d'un insecte, la caresse d'un vent. Je n'avais même pas envie d'y prêter attention. Mais à présent, rien ne pressait, nous pourrons mener une vie tranquille. Si nous le désirons. Mais je ne pense pas pouvoir oublier ma vraie nature... J'aime combattre. J'aime tuer mon adversaire. J'ai déjà tué des dizaines de personnes. C'est comme si le combat m’appelait, qu'il réclamait le sang, et me tourmenterait tant que je ne lui offrirais pas... Oui, c'était là ma vraie nature.

Un bruissement d'herbes me fit tourner la tête. Un centaure se tenait derrière moi. Il était plutôt grand, portait un arc et une hallebarde sur lui. J'accorde le fait qu'il ne m'inspirait pas confiance, mais s'il avait voulu me tuer, je pense qu'il m'aurait déjà sauté ou tiré dessus.

ENKIIAL – Bonsoir. Puis-je me permettre de me joindre à vous ?

ZAKEN - Bonsoir. Je ne vous connais pas, et je dois dire que l'approche d'un centaure armé n'inspire pas confiance à première vue. Mais, ma famille étant de sortie, un compagnon avec qui discuter ne serait pas de refus. Approchez!

Le centaure devait être un voyageur. Il ne ressemblait pas vraiment à un marchand ou un noble. De plus, un noble centaure... On m'a appris que cela n'existait pas. Il semblait lui aussi se diriger vers Telbara: si il habitait là-bas, je pourrais le questionner sur le confort de cette cité...

Celui-ci fit mine de s'approcher, avant de sortir son arc et d'encocher une flèche dans ma direction. J'ai été trop naïf... Aucun doute qu'il veut me faire la peau, désormais.

ENKIIAL – Bien, tu ne vas faire aucun autre geste que ceux que je t'ordonne. Tu vas commencer par jeter ton or à mes pieds, et si je te vois attraper autre chose, ce sera la dernière chose que ta main toucheras.
ZAKEN - Le moins qu'on puisse dire, c'est que tu sais être dissuasif...

Bon. Je suis dans la joue d'un centaure, autant dire que si je bouge, je suis mort. Il est suffisamment éloigné pour me tirer dessus au moins deux fois le temps que je l'atteigne, de plus... Mon bras droit ne m'offrait pas une chance. Je porte la main à ma bourse. Celle-ci étant dans mon dos, il ne devrait pas voir l'aura noire qui l'entourera... La main noire s'étant formée, je dégaine mon glaive et bondit dans sa direction. J'espère en finir d'un seul coup...

ZAKEN – Le moins qu'on puisse dire, c'est que tu sais être dissuasif...

Et il valait mieux. Enkiial ne voulait perdre aucun instant. L'homme avait eu le temps de lâcher quelques mots avant d'être mis en joue, et Enkiial avait retenu une information cruciale : « ma famille étant de sortie », voilà ce qu'avait dit l'homme. Il ne voyageait donc pas seul mais avec des membres de sa famille. Enkiial devait s'attendre à les voir surgir à n'importe quel moment et à se battre contre plusieurs personnes en même temps, ce qui représenterait trop de risques.

L'homme attrapa quelque chose dans son dos, et Enkiial espérait que ce soit ses possessions et rien d'autre. Il ne fallait cependant pas être naïf et Enkiial avait déjà eu affaire à des voyageurs qui s'étaient sentis de jouer les braves devant le bandit. Les choses avaient souvent mal fini pour ces voyageurs-là, mais il savait qu'il en trouverait encore.

Cela ne manqua pas, cet homme voulut lui aussi jouer les braves. Glaive en main, il bondit vers le Centaure. Il avait cinq mètres à parcourir, aussi Enkiial eut largement le temps de décocher sa flèche pour le faucher en plein élan. Sitôt fait, il rangea son arc dans son dos et se cabra pour repousser l'homme avec ses sabots avant. Enfin, pendant que son avant-train redescendait, il dégaina sa hallebarde, et l'inclina vers le bas pour tenter de faucher, sans les trancher, les jambes de l'homme, ou au moins une, afin de le faire tomber à la renverse.

Dans le feu de l'action, il remarqua qu'une énergie noire apparaissait autour du bras gauche de l'homme, mais Enkiial ne fut pas disposé à se demander quel comportement il pouvait bien adopter face à l'information qu'il pouvait en déduire sur sa cible. Tout ce qu'il savait, c'est que cette dernière manipulait la magie. Et pas n'importe quelle forme de magie...

Evidemment, le centaure tira dès qu'il me vit foncer. Et j'ai bien failli y resté! En levant mon bras invalide, j'ai réussi à dévier le projectile de justesse à l'aide de ma magie. Seulement, au moment où j'allais le frapper, il me repoussa violemment à l'aide de ses pattes avant, avant de me frapper avec sa hallebarde. D'un bond en arrière, j'ai réussi à éviter qu'il ne me tranche la jambe, mais son arme dessina tout de même une légère estafilade sur ma jambe gauche.

Décidément, ce centaure était très fort. Peut-être même trop pour moi seul. Et puis, il n'était pas dit qu'il n'use pas de magie lui aussi. Je devais gagner du temps, en attendant le retour de Deyn ou de Lylï. Oui, mais comment en gagner, du temps? Sa hallebarde avait un rayon de frappe bien plus large que mon glaive, si bien qu'en attaquant frontalement, j'avais plus de chance d'y laisser ma peau que quoi que ce soit d'autre. Que faire, donc? Je devais bloquer son arme. Et pour cela, j'avais bien fait d'activer ma magie.

La gangue noire sur ma main droite grossit petit à petit. Cette même gangue commence à gagner mon bras droit. Mon membre obscur lui-même s’agrandit progressivement. Soudainement, d'un grand mouvement en avant, je projette celui-ci vers mon assaillant. La main noire saisit sa hallebarde? J'espère que ce sera suffisant, car je repart dans une attaque frontale, en prenant gare au pattes du centaure cette fois-ci. Ma soif de sang grandit elle aussi. C'est son sang que je veux.

Derrière le centaure, je vois une silhouette qui se dessine peu à peu. Lylï est de retour: Le combat allait changer, désormais.

Cette magie, c'est justement elle qui eut paré la flèche tirée par Enkiial au moment où l'homme s'était jeté sur lui dans une tentative un peu folle. Heureusement, les sabots, eux, avaient frappé comme il faut et l'homme avait dû reculer. Il avait même reculé plus que prévu, si bien qu'il réussit à esquiver le coup de balai de hallebarde destiné à le faire tomber à la renverse. Une estafilade fut dessinée sur sa jambe gauche, mais Enkiial ne pensait pas en tirer un quelconque avantage dans le combat qu'il menait en ce moment contre une cible décidée à défendre ça vie avec hargne... et avec réussite.

Enkiial comptait en avoir déjà fini avec ce combat mais il avait bien du fil à retordre. Il n'était même pas sûr que sa menace ne se retourne pas contre lui. Il avait encore la sensation de pouvoir sortir victorieux de ce duel, mais il n'était pas en position de domination totale, loin de là ! Il fut même surpris de voir l'énergie noire se projeter vers son arme en formant comme une main. L'on aurait presque dit une main de styx. La poigne lui arracha sa hallebarde. Le Centaure se retrouva désarmé sous l'effet de surprise. Mais il était hors de question de fuir. Ce n'était pas une question d'honneur, non. Cet adversaire était bien trop intéressant, et puis, il ne voulait pas lui abandonner sa hallebarde.

Le Centaure se cabra une seconde fois alors que l'homme entreprit une attaque frontale avec son glaive. Ses sabots se firent menaçant mais manquèrent une cible qui avait manifestement anticipé cette réaction défensive de l'homme-cheval. Ce dernier fit un bond en diagonale pour esquiver la lame, se retrouvant sur le côté gauche de l'homme, lui-même sur le flanc gauche du Centaure. L'homme-cheval pivota sur ses pattes antérieures pour essayer de bousculer son adversaire avec la croupe.

Sur le coup, ma manœuvre avait réussie. J'avais projeté la hallebarde du centaure et esquivé ses sabots. Mais lui avait anticipé mon coup et sauté en diagonale. Après quoi, il m'asséna un violent coup de croupe, qui me projeta durement au sol. Je me relève, le nez en sang, cherchant du regard mon arme. Je la ramasse rapidement, mais cette fois, pas question de repartir en attaque frontale. L'homme-cheval allait d'ailleurs ramasser son arme, et il ne se laisserait plus avoir par ma magie. Heureusement pour moi, je vois Lylï qui arrive.

LYLÏ- T'es encore allé t'attirer des ennuis. Qui c'est, l'homme cheval qui est en train de te mettre à mal?

ZAKEN- Un bandit. Mais il est puissant. Même avec ma magie, je n'arrive pas à en finir avec lui.

LYLÏ- J'imagine. Maintenant, tu me laisses faire et tu restes en retrait.

Je recule légèrement et me place en position de défense. Lylï, bien qu'ayant une technique de combat différente de la mienne, est une combattante hors-pair, elle aussi. Seulement, en un contre un, était-ce une bonne idée? J'ai combattu ce centaure pendant quelques minutes, et j'ai failli y passer plusieurs fois. Y aller à deux serait plus judicieux... Mais je me contente de faire confiance à ma soeur.
Elle part à l'attaque d'un pas prudent, prenant garde au corps du centaure. Pendant quelques minutes, je les regarde échanger des passes d'armes. Contrairement à moi, ma soeur ne se faisait pas repousser par le centaure. Seulement, j'ignore pour quelle raison, elle s'obstinait à se servir uniquement de son bras gauche. Elle avait d'ailleurs déjà subie plusieurs entailles, notamment une assez longue sur ce même bras gauche, qui lui avait servi de bouclier lors d'une attaque imprévue. L'issue du combat était décidément incertaine, je devais intervenir.

-Ce soir-là, j'ai vu ma soeur combattre à ma place...
- Es-tu sur qu'il s'agit de ta soeur?

L'homme se prit le coup de plein fouet et chut lourdement sur son postérieur. Enkiial ricana en mêlant un son légèrement équin. L'homme chercha son arme du regard, et Enkiial eut le temps d'aller ramasser la sienne. Ceci fait, l'homme était debout, prêt à reprendre le combat, mais son attention fut distraite par quelque chose, et Enkiial ne sut deviner quoi. Ce dernier fut surtout déconcerté de voir l'homme faire comme s'il parlait à quelqu'un :

ZAKEN – Un bandit. Mais il est puissant. Même avec ma magie, je n'arrive pas à en finir avec lui.

Enkiial aurait pu se sentir flatté mais il ne comprenait pas ce qui se passait. Il s'agissait sans doute d'une technique pour lui faire baisser sa garde, mais cela eut l'air tellement spontané. Enkiial se posa d'autant plus la question qu'il avait bien entendu l'homme dire que sa « famille était de sortie ». Mais enfin, il n'y avait personne !

Enkiial n'eut pas le temps de s'étonner à voix haute car l'homme repartit à l'assaut, ce qui laissa supputer que l'hypothèse selon laquelle ce n'était qu'une tentative de déstabilisation était la bonne. Une nouvelle passe d'arme eut lieu. Enkiial avait l'avantage de l'allonge, mais quand l'homme réussissait à passer outre, la hallebarde devenait moins maniable que le glaive. Heureusement, le Centaure avait pour autre avantage naturel sa mobilité. L'homme-cheval enchaîna les bonds, à droite, à gauche, de front, il se cabrait pour dégager le glaive et retrouver de l'allonge tout en essayant de frapper avec ses sabots... Le style de combat d'un Centaure ne pouvait pas être comparé à celui d'un Humain, car tout Centaure tire naturellement profit de son corps de cheval pour se battre d'une façon très particulière.

Mais en parlant de style de combat, Enkiial eut l'impression étrange que son adversaire en avait changé. Jusque là, le combat n'avait pas duré très longtemps, mais l'homme tentait d'autre coup et sa gestuelle était légèrement différente. Ce n'était peut-être qu'une impression. Et puis l'homme avait sûrement l'intelligence d'essayer de se battre différemment pour vaincre le Centaure en voyant que le début du combat n'avait pas été à son avantage.

Enkiial réussit à infliger quelques éraflures au bras gauche de son ennemi, celui dont il se servait pour manier son glaive, mais aucune blessure encore handicapante et qui le désarma. En retour, le Centaure reçut lui-même quelques traces de lame, notamment une sur le ventre humain et une sur le flanc gauche. Là encore, rien de grave. Enkiial avait légèrement l'avantage mais l'homme se battait bien, avec fougue et pugnacité.

Enkiial bondit juste à côté de l'homme, qu'il eut dans son dos, et tenta une ruade maîtrisée pour le souffler sans le tuer, mais son adversaire esquiva agilement. Car oui, cet adversaire était des plus agiles, plus que tous les Humains qu'Enkiial avait déjà affrontés, plus même que certains Demi-Elfes. Il avait la grâce d'un Demi-Elfe à tel point qu'Enkiial se demanda si ce n'en était pas un. Et cette agilité était incontestablement un danger pour Enkiial, une arme de son adversaire. Sa ruade ayant été esquivée, l'homme se tenant maintenant sur son flanc gauche, le Centaure tenta une seconde fois de le bousculer avec sa croupe.

Quelques mètres en arrière, j'observe le combat entre ma sœur et le centaure. Un combat plus ou moins égal, les deux guerriers n'arrivant pas vraiment à prendre l'avantage sur l'un ou l'autre. En même temps, j'essaye de trouver une faille dans la technique de l'homme-cheval. Celui-ci dispose d'une hallebarde qui lui permet une allonge bien plus grande que celle d'un simple glaive. Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il sait la manier: sa garde est solide, et il se débrouille le mieux possible pour que son adversaire ne puisse pas passer cette allonge. Mais, lorsque cela arrive, il se sert de tout son corps équin pour repousser son adversaire en ruant, cabrant, donnant coups de croupes et de sabots. Une technique bien entendue propre aux centaures, aucune autre race n'étant capable, je pense, d'une telle performance.

Pourtant, la technique de Lylï n'est pas en reste non plus. Enchaînant les feintes, elle réussissait régulièrement à passer la garde du centaure, même si ce fut parfois au prix de quelques blessures légères. Mais cela lui permet d'en causer quelques unes à son ennemi, donc au final, un échange équitable.

Le centaure tenta de la déséquilibrer à l'aide de sa croupe. Lylï esquiva tant bien que mal le coup, mais celui-ci fut suivi d'un violent coup de hallebarde qui la toucha à la jambe, et la fit tomber au sol. Je dois intervenir rapidement, car autrement, l'issue du combat serait rapide et certaine.

La gangue noire, qui perdait alors en intensité, redouble de vigueur autour de moi. Lentement, trois petites formes se distinguent de mon aura, s'affinent petit à petit, jusqu'à devenir de vraies pointes. Celles-ci sont étaient immobiles... Jusqu'à ce que je fasse partir les trois, telles des flèches, en direction de l'homme cheval. Je m'écroule au sol, tremblant de fatigue car terrassé par l'effort, et par une soudaine douleur à la jambe. J'espère que ces piques sont venues à bout de lui, car autrement, je ne pourrais plus le combattre...

Une blessure superficielle au ventre humain, une autre au flanc gauche, quelques égratigures plus bénignes encore, et un peu d'épuisement. Voilà dans quel état se trouvait Enkiial alors que le combat se poursuivait. L'homme, aidé par son agilité déconcertante, esquiva la croupe du Centaure, évitant cette fois-ci de tomber. Enkiial poursuivit son mouvement de rotation du corps en donnant de l'élan à sa hallebarde pour viser les jambes.

Cette blessure surprit son adversaire qui s'écroula sur les fesses. Pourtant, Enkiial n'avait pas aussi bien tranché qu'il le souhaitait, et en se ménageant dans les prochains jours, l'homme cicatriserait et ne boiterait pas. Ce devait être plus la surprise, ou une simple perte d'équilibre, qui causa sa chute. Le combat n'était pas encore fini. D'autant que l'homme avait encore des ressources magiques : Enkiial vit la sorte de gangue noire se reformer, et s'attendit au même sort d'étreinte manuelle, mais fut surpris de voir à la place trois épaisses épines noires jaillir sur lui. L'une le griffa au canon antérieur gauche, une autre le griffa à l'avant-bras droit, tandis qu'une troisième se planta partiellement dans son ventre humain.

La combinaison des trois nouvelles blessures, surtout celle au ventre humain qui fut la plus douloureuse, fit littérallement hennir le Centaure et fléchir des pattes antérieures. Enkiial lâcha aussi sa hallebarde, portant son regard à la pique plantée sur deux centimètres de prodondeur dans son ventre humain. Il la retira, laissant le sang couler en un petit fil continu sur son poitrail équin.

Il pouvait encore se battre, mais il avait mal. Il n'avait pas une seconde à risquer à appeler une invocation. Il devait finir le combat maintenant et à mains nues. Ca n'allait pas être facile contre un ennemi aussi agile. Le Centaure redressa ses pattes antérieures, échappa un petit râle de rage virant à moitié sur un grondement équin, et se pencha pour essayer d'empoigner son ennemi au col tout en lui arrachant son glaive de l'autre main. Il grimaça en se penchant, se trouvant ralenti dans son geste par la douleur au ventre.

Après avoir vu ma sœur, j'ai intervenu de nouveau sur notre combat. Cette magie était décidément horriblement épuisante. L'utiliser deux fois dans le même combat m'avait complètement vidé de mes forces.
Mais elle avait le mérite d'être efficace: j'avais précédemment réussi à désarmer le centaure, et je venais de le blesser par trois fois à l'aide de mes piques. Mais je suis complètement vidé..

Un grondement de rage se fit entendre: mon adversaire n'est pas mort! Tournant légèrement la tête, je le vois, ivre de rage, me foncer dessus... En homme sensé, je ferais mieux de fuir. Mais tenter de fuir un centaure, était-ce vraiment sensé? Malgré ses blessures, celui-ci aurait tôt fait de me rattraper. Et je m'aperçois d'une blessure assez conséquente à la jambe, qui m'empêcherait sans doute de courir convenablement. Je ne sais plus d'où elle sort, d'ailleurs. De toute manière, je n'ai même plus la force de courir. Mon assaillant s'approche dangereusement. Je tente péniblement de me relever, mais celui-ci m'arrache mon glaive des mains avant de le projeter au loin. Son autre main, je la vois s'approcher de mon cou. Il va, sans aucun doute, m'achever en m'étranglant...

Il ralentit soudain son mouvement, gêné par sa blessure au ventre. Quelle chance pour moi! Je dégaine rapidement la dague pendant à ma ceinture et assène un violent coup en arc de cercle. Mon adversaire s'écarte prestement devant la lame, me permettant d'esquisser une courte roulade et de me mettre sur mes pieds, face à lui. Il ne me restait pas beaucoup d'options. Celle de la fuite étant évidemment à proscrire, je n'avais plus qu'à combattre... Car je doutais m'en sortir en lui jetant ma bourse dans l'état actuel des choses...

Armé de ma lame courte, je m'élance sur lui aussi rapidement que ma jambe me le permet, attentif aux possibles mouvements de son corps de cheval, espérant mettre un terme à cet harassant combat.

Pour ce qui est de lui arracher son glaive de la main, ce fut une réussite. L'homme fut désarmé, du moins de son glaive. Enkiial n'avait pas encore remarqué la dague gainée à la ceinture. En revanche, pour ce qui est de l'empoigner au col, ce fut un échec. Le geste du bras du Centaure fut trop lent, et son ennemi trouva la fenêtre espérée pour stopper ce geste. C'est là qu'Enkiial fut bien obligé de remarquer la dague puisqu'il dut faire un mouvement de recul pour ne pas se laisser entailler.

C'est tout ce que demandait l'homme pour se remettre debout et prendre un petit peu de distance. Enkiial souffla un coup, mais si jamais il ne parvenait pas à soumettre son ennemi rapidement, il finirait par un peu trop sentir la douleur combinée de ses nouvelles blessures, notamment celle au ventre humain. Des soins classiques suffiraient à lui permettre de cicatriser et de ne pas souffrir d'une convalescence ennuyeuse, mais si son ennemi continuait à lui donner du fil à retordre, il ne pourrait pas continuer à se battre avec vigueur.

L'homme décida de charger le Centaure avec sa dague. Curieuse action : d'ordinaire, c'est l'inverse, c'est le Centaure qui charge l'Humain.
Et puis, après tout, pourquoi ne pas faire pareil ? Enkiial martela le sol de ses sabots en chargeant lui aussi. Il y avait un danger cependant pour le Centaure : il était à mains nues tandis que son ennemi tenait une dague. La lame avait beau être courte et un éventuel impact en faveur de l'homme-cheval, ce dernier ne voulait pas non plus gagner le combat en s'empalant bêtement le buste dans une dague.

C'est pourquoi il tendit le bras gauche droit devant. Il espérait ainsi contrer l'allonge de la dague. Le signal pour son ennemi était clair : sa dague ne suffirait pas à aviser le Centaure de freiner. Enkiial prenait un risque, mais il se battait avec ses armes naturelles. Il avait le corps d'un cheval. Le Centaure comptait donc tout naturellement utiliser ce corps de cheval pour bousculer son ennemi humain et le faire tomber, même si ce dernier eut tout le temps de le voir charger.

Cet adversaire est sans conteste un des plus forts qu'il m'ait été donné de combattre. De loin. Il maîtrise parfaitement la hallebarde, est un bon tireur à l'arc, et c'est un centaure. Son corps de cheval s'était avéré beaucoup plus utile en combat que je ne le pensais. A vrai dire, j'imaginais même qu'il serait handicapant, mais de toute évidence, il n'en est rien. Même à l'aide de mes meilleures techniques et de magie, je ne l'ai pas battu. En fait, rien ne dit que je l'emporterai.

En effet, la fatigue du combat se fait sentir de plus en plus. Mes blessures me font souffrir, notamment à la jambe. De plus, je craignais qu ma blessure au bras se rouvre. Si le combat se prolongeait un peu plus, je m'écroulerais certainement sans pouvoir rien faire d'autre. Je me sent déjà chanceler

C'est pour ça que je m'élance sur le centaure. J'espère réussir à le toucher suffisamment gravement afin de le mettre hors d'état de nuire. Cependant, lui aussi me chargea de front. J'imagine qu'il compte me faire tomber et me piétiner avec son corps de cheval. Si j'arrive à le frapper avant qu'il ne me frappe, je remporterai ce combat. Il me fallait donc éviter les mouvements qu'il pourrait tenter à l'aide de ses sabots, ou autre.

Tendant le bras, je tente de frapper son torse. Déjà blessé par ma magie précédemment, j'imagine que cela devrait suffire. Seulement, hasard ou non, il tendit le bras lui aussi pour m'asséner un coup de poing. Le sien étant légèrement plus long que le mien, il réussit sa manœuvre et me frappa de plein fouet. Son coup suffit à me déséquilibrer, mais pas à me faire tomber, grand bien m'en fasse! Afin d'éviter sa charge furieuse, je bondit de coté afin de me retrouver rapidement dans son dos. L'homme-cheval stoppa sa charge, et tenta une ruade afin de me repousser, moi et ma lame, ou bien tout simplement de me broyer les côtes. Un léger saut me sauva de peu, je sentit le souffle d'air dégagé par le mouvement de son sabot. Mais, tiraillé par ma jambe, je m'effondre à terre. D'un ultime réflexe, je tendit ma lame droit devant moi, voyant le rictus mauvais du centaure. Mauvaise posture...

La main d'Enkiial heurta l'homme sans le faire tomber. Ce dernier eut le réflexe de s'esquiver au tout dernier moment. A une demi-seconde prêt, il se serait pris la charge du Centaure de plein fouet. Au lieu de quoi, il se tenait là, debout, prêt à continuer le combat. Enkiial savait que plus le combat durait, plus ce serait à l'avantage de l'homme. Il stoppa sa charge, et, ayant maintenant l'homme dans son dos, lâcha une ruade, juste assez forte pour le faire tomber sans lui éclater la cage thoracique.

Sauf que même cela, l'homme réussit à l'esquiver. Il était décidemment trop agile pour Enkiial qui en avait marre de rater ses attaques. Heureusement, l'homme perdit un instant l'appui sur ses jambes à cause de sa propre blessure, et s'écroula. Pourtant, son entaille n'était pas profonde et Enkiial ne pensait pas que cela pourrait l'handicaper. Cela ne faisait que prouver la faiblesse physique des Humains, une fois de plus. Un sourire moqueur tamponna le visage d'Enkiial, effaçant un instant la frustration de ne pas réussir à mettre lui-même à terre cet homme pour le maîtriser.

Enkiial se doutait que l'homme allait vite se remettre debout. Le Centaure ne fit donc pas demi-tour pour enchaîner une attaque, se doutant que ce serait peine perdue. Il décida de rester sur la défensive. En tournant le dos à son ennemi ? Etrange, oui, sauf si on se rappelle que se trouver juste derrière un cheval est très dangereux. Plutôt que de perdre du temps à faire demi-tour pour refaire face à l'homme et risquer de manquer une nouvelle approche, le Centaure resta le dos tourné à lui, d'un air de dire : « Vas-y, relève-toi, et tu vas goûter à une nouvelle ruade ! ».

L'homme eut donc pleine vue sur les grosses fesses de cheval du Centaure et sur sa croupe. Mais agile comme il était, il allait trouver à tous les coups un moyen de se relever suffisamment bien pour agir en évitant la ruade. C'est du moins ce que redoutait Enkiial. Le Centaure se tint prêt à se servir de son corps de cheval pour réagir à la prochaine action de son ennemi. Il agitait la queue, nerveux, et en même temps excité par ce combat, un combat comme il n'en avait pas livré depuis longtemps contre un Humain.

J'essaie péniblement de me relever suite à ma chute causée par ma jambe. Mais d'un autre coté, je gardais un oeil méfiant face au centaure. Contrairement à ce que je pensais, celui-ci ne m'attaqua pas lorsque j'étais à terre, loin de là. Au contraire, il se tient la, dos à moi, comme s'il attendait que je me relève. Ce qui, soit-dit en passant, était surement le cas. Il avait sans aucun doute prévu une attaque ou une ruse quelconque dès que je serais debout. Qu'à cela ne tienne! Je vais lui prouver qu'il a tort de sous-estimer une engeance d'elfe, même à demi. Ce combat est exaltant, à vrai dire. J'ai un véritable adversaire à ma mesure, qui me pousse dans mes derniers retranchements et me pousse à utiliser mes dernières ressources. Tout fatigué que je sois, j'avais un véritable duel prometteur. Face à un adversaire dont j'ignorais jusqu'à son nom.

Je me relève doucement, prenant garde aux possibles manœuvres du centaure. Il semblait excité, fouettait l'air de sa queue. J'imagine qu'il serait heureux à l'idée de m'enfoncer ses sabots en pleine poitrine. Et j'ai bien fait de me méfier! Une prompte roulade sur le coté me permit de ne pas finir les côtes fracassées par une ruade de centaure. Après m'être mis sur pied, je lorgne mon adversaire du regard. J'attendais qu'il attaque, et dans le même temps, cela me permet de réfléchir à la manière de réagir. Tuer un cheval n'est pas vraiment difficile. Tuer un cheval enragé est déja une toute autre paire de manche. Alors, un centaure enragé...

Le plus efficace serait de passer sur son coté. Aucun risque de prendre des coups de sabots. Il lui sera peu aisé de réagir avec son corps humain. Et j'aurais un large choix d'endroit où planter ma dague. Oui... C'est un bon choix. Je n'aurais qu'a faire attention à sa croupe, il m'a déja bousculé de cette manière.

Nous nous regardons en chiens de faïence. Chacun attends que l'autre charge. Chacun espère pouvoir contrer son adversaire et prendre un avantage qui sera surement définitif. Mais l'attente semble agacer mon adversaire... Qui me charge de nouveau, sabots menaçants. J'évite tant bien que mal qu'il me frappe en pleine poitrine, mais il s'arrêta brusquement après m'avoir dépassé afin d'envoyer une nouvelle ruade. Je parviens à l'éviter de justesse, mais ce fut un effort inutile: Nous étions revenus, face à face. Je ris.

Je me met à rire à gorge déployée devant le centaure, incrédule. Oui, vraiment... C'était hilarant.

ZAKEN - Tu vois ça? C'est vraiment pitoyable...

Je marque une pause afin de me remettre de mon éclat de rire, et reprend ensuite, toujours avec le sourire:

Deux adversaires qui se battent depuis un bon moment, et pas un d'eux n'est capable de prendre l'avantage, ou bien de terrasser l'autre...

L'homme-cheval a maintenant l'air énervé. J'ose espérer que ma provocation le fasse enrager, et qu'il fasse des gestes inconsidérés. Des erreurs. La colère n'est jamais quelque chose de bon en combat. Mais avec le recul, je doute qu'énerver un centaure soit la meilleure idée qui soit... Bref. Tiens, au fait? Il serait dommage de vaincre ( ou même d'être vaincu ) par un inconnu, aussi puissant combattant soit-il.

ZAKEN - Dis-moi ton nom, centaure! Je suis Zaken! Zaken Haryu!


Tu n'es que Zaken?

L'homme se releva, lentement, et au bon moment, le Centaure rua. Malheureusement, comme il le redoutait, ce fut – encore une fois ! – esquivé. Il y avait de quoi enrager Enkiial. Pourtant, lui si déloyal, n'avait qu'à faire appel à une de ses invocations pour finir ce combat à sa place. Pourquoi ne le faisait-il pas ? Parce que ce combat le stimulait trop, il prenait du plaisir à affronter lui-même cet adversaire si agile, et ne voulait pas déléguer cela à une invocation. Il se surprenait en fait à ressentir comme un peu de respect pour... un Humain. Non, il ne fallait surtout pas qu'il pense ça : il se dégoûtait lui-même. Du respect pour un Humain... N'importe quoi ! Pourtant, il n'avait pas envie de le tuer. Cet Humain pourrait le servir. Il se battait très bien, il était stimulant. En vie, il valait mieux que mort. C'est aussi pour cela qu'il ne voulait pas faire appel à une invocation : c'était un peu trop complexe de dire à une invocation d'attaquer quelqu'un en évitant de porter une attaque mortelle.

Enkiial fixa le regard de son adversaire. Chacun attendait le prochain faux-pas de l'autre. Pourtant, Enkiial devait en finir rapidement. Son ventre humain continuait de saigner. Alors fini l'échange de regard : le Centaure chargea, encore une fois. Il fut esquivé, encore une fois. Il rua, encore une fois. L'homme se décala agilement, encore une fois. Ils se retrouvèrent face à face, encore une fois.

L'homme éclata de rire. Enkiial, incrédule, eut un rictus, car ce fou rire était aussi communicatif qu'inopiné.

ZAKEN – Tu vois ça ? C'est vraiment pitoyable...

Il se payait la tête d'Enkiial, là ? Il allait descendre tout de suite dans son estime si c'était le cas. Enkiial ne supportait déjà pas de se faire systématiquement esquiver par cet Humain, alors les moqueries seraient de trop.
Mais en fait, ce n'était pas ça.

ZAKEN – Deux adversaires qui se battent depuis un bon moment, et pas un d'eux n'est capable de prendre l'avantage, ou bien de terrasser l'autre...

C'était simplement la situation, globalement, qui avait déclenché ce rire aux éclats. Ca restait énervant. Enkiial ne se battait pas pour faire rire son ennemi !

ZAKEN – Dis-moi ton nom, Centaure ! Je suis Zaken ! Zaken Haryu !

C'était bien le moment de se présenter, tiens... Mais bon, puisqu'il y avait une pause dans le combat, autant en profiter pour mettre les choses au clair, et pas seulement les noms de chacun :

ENKIIAL – Je suis Enkiial. Je te propose quelque chose, Zaken. Tu me plais bien. Alors rendons ce combat sans mise à mort. Le premier à soumettre l'autre a gagné. D'accord ?

Cela faisait déjà quelques instants qu'Enkiial ne se battait plus pour tuer cet Humain du nom de Zaken. Autant mettre les choses au clair pour que ce soit réciproque. Mais le combat n'était pas fini pour autant.

Enkiial attendit juste la réponse de Zaken pour reprendre le combat “amical”. Il était énervé, et cela allait le pousser à l'erreur. De plus, sa blessure au ventre humain et celle au flanc avaient beau n'être absolument pas graves, il en souffrait maintenant, elles le rendaient moins vifs et plus facile à esquiver pour cet homme déjà trop agile.
Le Centaure se cabra, et chargea. Puisqu'il fut encore esquivé, l'homme se trouva sur son flanc gauche. De façon prévisible, Enkiial pivota pour le bousculer avec sa croupe, agitant la queue. Zaken pouvait sentir cette odeur de cheval venant du Centaure, depuis le temps que ce duel durait. Enkiial ne se battait plus comme un Centaure, mais comme un cheval rebelle que l'on tente de dresser. Mais un cheval épuisé, blessé et prévisible.

Ma provocation avait fait de l'effet, c'est le moins qu'on puisse dire. En fait, elle avait même fait bien plus d'effet que tout ce que j'aurais pu imaginer. Le centaure m'avait d'abord dévisagé, surpris et agacé, puis a clamé:

ENKIIAL – Je suis Enkiial. Je te propose quelque chose, Zaken. Tu me plais bien. Alors rendons ce combat sans mise à mort. Le premier à soumettre l'autre a gagné. D'accord ?

Bon. Il s'est présenté, certes. Mais un duel sans mise à mort? Il se moquait de moi à son tour? C'était lui qui m'avait attaqué avec l'intention de me tuer, c'était lui qui m'avait causé de multiples blessures notamment une large entaille à la cuisse, et c'est lui qui ne veux plus se battre à mort? Enfin... C'est ridicule! A moins qu'il ait tout simplement peur d'y laisser sa peau...  Mais ce serait stupide de refuser. J'avais autant de risque d'y passer que lui dans ce combat. Et plus encore avec la fatigue qui s'accumule petit à petit. Et je perds mon sang.

En guise de bonne foi, je jette ma dague au loin, et lui lance:

ZAKEN - Très bien. Amène toi!

Le centaure me charge, une énième fois. Ces mouvements sont trop linéaires, trop directs... Rien de bien compliqué à éviter, mais avec la fatigue, mes mouvements se faisaient plus lent, plus patauds. Et par conséquent, les esquives, plus difficiles. Il lança un nouveau coup de croupe. Cette fois, celle-ci passa très près, me râpant la joue et me faisant reculer d'un bon mètre.

Cette fois, sans arme, je n'avais pas vraiment d'idée pour venir à bout de l'homme cheval. Il avait la tête bien haute pour que je tente de l'atteindre au visage. Quant à penser à contenir sa charge... Pure folie. On n'arrêtait pas un cheval lancé a pleine vitesse a moins d'avoir la force d'un minotaure. Non, je n'avais vraiment aucune idée.... Et de toute manière, pas le temps de réfléchir.

Je fonce vers lui et esquisse un direct afin de le frapper au ventre. Cependant, il réussit à prévenir mon mouvement en attrapant mon bras, peu avant que je cogne sur sa blessure, avant de me repousser violemment. Furieux, je fonce de nouveau stupidement sur lui. Cette fois, j'effectue un léger bond pour tenter de lui donner un uppercut. Esquiver ses coups ne s'était pas avéré bien compliqué, mais en donner... Cette fois, mon geste fut trop court et je fut repoussé a nouveau, cette fois par ses sabots. Et lui profita de mon déséquilibre afin de s'avancer rapidement vers moi pour me frapper en pleine tête , avec son corps humain. Le coup fut rapide. Trop rapide pour que je puisse l'éviter. De plus, il avait de l'élan. Je le reçoit de plein fouet et tombe au sol, le nez ensanglanté. Je roule de coté afin d'éviter qu'il me piétine, et tente un coup de pied sur son tibia de cheval pour tenter de le faire tomber.

L'homme fatiguait lui aussi, il n'était pas plus endurant que le Centaure. Et il fallait bien cela, sinon Enkiial n'aurait eu plus aucune chance de remporter la victoire. Il avait jeté sa dague au sol, tout ceci allait finir à mains nues. Pourtant, un Humain à mains nues contre un Centaure était désavantagé. Enkiial le savait très bien, dans son orgeuil et sa fierté de Centaure, il savait les Humains inférieurs aux Centaures. Néanmoins, ses blessures l'usaient. Il forçait trop, et Zaken pouvait en tirer avantage facilement.

En tout cas, la fatigue de Zaken commençait à jouer car la croupe du Centaure le râpa, mais ne le fit pas tomber, juste reculer d'un mètre. L'Humain revint à la charge pour frapper Enkiial sur l'endroit de sa blessure au ventre humain, heureusement Enkiial réussit à parer le coup et à repousser le bipède. Zaken ne voulut lui laisser aucun répit jusqu'à trouver la faille dans sa défense, il revint à la charge aussi sec avec un uppercut, mais Enkiial se cabra et le repoussa avec ses sabots. Zaken fut déséquilibré, et Enkiial en profita pour le bousculer d'un coup d'épaule dès que ses pattes antérieures retombèrent.

Zaken tomba au sol, son nez saignait un peu. Enkiial voulut le plaquer sous ses sabots pour obtenir la victoire, mais l'Humain roula sur le côté au grand désarroi du Centaure, dont il frappa un canon avec la botte. Enkiial gronda, et voulut riposter en frappant le mollet avec les deux sabots antérieurs. Zaken bougea ses jambes habilement et frappa une patte antérieure du Centaure sur l'arrière du genou. C'était un point faible, et la patte fléchit légèrement dans un grondement équin.

Zaken insista, et frappa plus fort. L'homme-cheval s'affaissa de l'avant-train, presque sur le genou, en poussant un hennissement. Ainsi affaissé, il était temporairement vulnérable, mais ses bras restaient prêts à parer toute attaque sur son torse ou sa tête, le temps pour lui de se redresser correctement. Il était prêt pour une attaque frontale.

J'avais réussi à porter un coup à sa jambe, mais ce n'était pas assez fort. En me montrant plus insistant, j'ai réussi à le faire tomber , le rendant pour un moment à portée de coups. Tout allait se joue maintenant, car s'il se relevait, il ne se laisserait sans aucun doute plus avoir de la même manière. Ce sera a celui qui cogne le plus fort. Autant frapper le premier! Mais je ne doute pas qu'il se débrouille aussi au combat rapproché, à voir sa garde serrée.

Je n'ai pas l'intention de le laisser se lever. Je lance donc une succession de petits coups rapides dans le but de trouver une faille dans sa garde. Il arrive à en parer la plupart, les autres n'ont pas assez d'impact pour faire vraiment mal. Enkiial, lui , était sur la défensive, mais commence à frapper, plus fort que moi. Un coup au ventre, un autre au visage, ou même à l'épaule. Même au combat rapproché a mains nues, il avait une technique quasiment irréprochable.

Assez de frapper pour rien. Je vais devoir attendre le bon moment pour effectuer un contre... Bon sang! inutile de continuer ainsi! Je sers mes phalanges et je lance le direct le plus puissant dont je suis capable. Pas dans le but de le toucher, non: par contre, l'ébranler, était possible et me permettrait de passer sa garde. C'est à moitié réussi: il est plus résistant que je ne le pensais, mon coup n'a pas porté, mais j'ai réussi à lui agripper l'épaule. Face à face,, presque tête contre tête, je peux sentir son souffle... Un souffle qui aurait presque une odeur équine. D'un geste irréfléchi, et complètement barbare, je lui assène.... Un violent coup de tête. A moitié sonné, je regarde Enkiial, qui, je pense, ne s'attendait pas à cette réaction de ma part. Le coup de boule a d'ailleurs du plus le surprendre qu'autre chose. Néanmoins, il ne se laisse pas distraire longtemps et me cogne en pleine figure, et saisit l'occasion pour se relever.

Une fois que le centaure est debout, je ne peux pas le frapper efficacement sans risquer de prendre des coups ou de me faire repousser. Pour l'instant, je n'ai pas vraiment d'idée pour le remettre à terre... Et, pourquoi rester sur l'offensive? Aucun de nous n'est capable de prendre l'avantage. Vaincre à l'usure ne serait pas plus efficace? Je me contente de le laisser s'épuiser sans moi-même faire trop d'efforts, et au bon moment, lorsqu'il sera trop fatigué, je le met à terre et je l'assomme. Oui, c'est efficace. Il me semble que c'est le meilleur choix à faire, plutôt que de continuer à enchainer des mouvements qui m'épuisent moi même peu à peu.

En position défensive, j'attends la prochaine attaque du centaure. Pour quoi va-t-il opter? La charge? La ruade? On va bien voir. Je ne peux pas continuer à combattre longtemps, mes esquives sont déja bien trop lentes. Je dois attendre le bon moment... Et je n'ai pas l'endurance d'un cheval.

Tant qu'Enkiial avait les pattes antérieures fléchies et l'avant-train affaissé, Zaken n'en profita pas pour porter des attaques impossibles à esquiver pour le Centaure. Il voyait bien pourtant qu'Enkiial avait porté ses bras en garde, mais il s'en moqua et enchaîna une succession de frappes moyennes. Ce fut inutile, rien de quoi ébranler le Centaure, qui para assez facilement plus de la moitié des coups, et les quelques qu'il reçut ne lui firent pas très mal. Zaken misait tout sur son agilité hors du commun, mais pour ce qui était de la puissance de frappe, il n'y était pas. Il choisissait donc la mauvaise tactique, et Enkiial, dans la position où il se voyait, s'en trouva heureux.

C'était donc au tour de Zaken d'échouer ses attaques, car il n'attaquait pas intelligemment. Cela dut le frustrer, car il tenta d'un coup une frappe plus puissante. Ce fut un peu trop forcé et Enkiial réussit à la dévier, mais pas complètement : ainsi, Zaken lui agrippa l'épaule et rapprocha son visage du sien, recevant le souffle équin du Centaure en plein nez. Ce qu'il fit ensuite, Enkiial ne s'y attendait pas : un coup de boule en bonne et due forme. Le Centaure fit un mouvement de recul du buste, déconcerté par cette attaque qui aurait pu le sonner.

Enkiial sentait que Zaken passait à la vitesse supérieure, bien qu'encore une fois l'Humain choisît mal ses attaques. Il affrontait bêtement un Centaure de front alors qu'il s'était donné l'occasion de faire bien mieux. Enkiial riposta et trouva l'instant pour détendre ses pattes antérieures et ainsi se redresser normalement.

Zaken opta pour une attitude défensive à présent. C'était déjà plus malin : il avait pu voir depuis le début du combat qu'il esquivait facilement le Centaure. De plus, le ventre humain d'Enkiial le faisait toujours souffrir, il lui tardait de plus en plus la fin de ce combat pour pouvoir se soigner. Zaken attendait une attaque. Enkiial ne voulait plus trop se cabrer à cause de la douleur à son ventre humain, et bouge le torse pour frapper avec ses poings serait encore pire.

C'est pourquoi le Centaure se tourna, oui, dos à Zaken. Enkiial opta pour une série de petites ruades faibles. Aucune envie de le blesser gravement, de lui infliger une fracture, alors il modéra chaque ruade pour avoir simplement une chance de le faire tomber. C'était moins épuisant pour lui et cela faisait moins travailler son ventre humain. Quand Zaken se décalait, le Centaure pivotait pour toujours le garder juste derrière ses grosses fesses de cheval. Sa croupe était à portée de main de Zaken mais il n'y fit pas attention.

Ma posture de défense n'a pas eu l'effet escompté: au lieu de m'attaquer de front, le centaure se tourna! D'abord surpris par cette décision, j'ai ensuite compris ou il voulais en venir: A l'aide de ses sabots, il enchaîne les ruades courtes et m'empêche ainsi de riposter. Dès que je m'approche, ses sabots se font menaçants et tentent de me faire tomber, m'obligeant a reculer à chaque fois. De plus, dès que je tente de me décaler, il change immédiatement de position afin de me garder derrière lui. Ce combat commence  sérieusement à m'énerver... Je n'arrive pas a lui porter des coups, et lorsque j'arrive à le mettre en difficulté, il trouve toujours de quoi tirer la situation à son avantage.

Dans l'instant, il me faut un moyen pour repasser sur son coté. Et ce moyen, je l'ai juste devant moi: le centaure lui-même. Après avoir attendu l'interstice entre deux ruades, je prend un peu d'élan... Et je prend appui sur l'arrière-train d'Enkiial afin de bondir... Sur lui-même, accroupi sur sa croupe. Avant que l'homme-cheval ne s'énerve sérieusement, je saute de nouveau afin de me retrouver latéralement par rapport à lui. Les centaures détestent qu'on les montent sans leur accord, et je me doute que si je m'étais amusé à rester sur lui plus longtemps, l'engagement comme quoi le duel se jouerait sans mise à mort n'aurait pas fait long feu. Néanmoins... Tout cela m'avait donné une idée.

Avant qu'Enkiial n'ait l'idée de se retourner de nouveau, je profite du fait d'être hors de portée de coups momentanément afin de m'appuyer sur son coté, de nouveau, afin de prendre de la hauteur. Monter debout sur un cheval enragé  n'est la meilleure idée que j'ai jamais eu, certes. Mais le centaure me regardait, et j'étais désormais à sa hauteur. Je lui décoche alors un crochet au visage, puis un second, avant qu'il ne rue et me projette au sol. Fier de mon attaque et du filet de sang qui coulait de sa bouche, je me prépare a éviter son prochain coup. Désormais, il a du comprendre qu'il ne peux pas me maintenir dans son dos très longtemps. Dans tout les cas, je suis curieux de savoir ce qu'il me réserve... Car moi, j'ai épuisé mes possibilités d'attaques, et je crains qu'il n'ait de quoi prévenir la totalité des techniques déja employées.

La technique d'Enkiial sembla marcher un instant, agaçant l'Humain qui ne pouvait rien faire. Mais soudain, le Centaure le sentit prendre appui sur son arrière-train, et l'espace d'une seconde, Enkiial se tétanisa en réalisant son erreur : Zaken avait l'opportunité de le monter. Les Centaures avaient plus que tout horreur d'être utilisés comme des chevaux et Enkiial ne faisait pas exception à cette généralité ; mais il savait pertinemment que dans un combat amical à mains nues, chevaucher un Centaure était l'un des meilleurs moyens de le rendre vulnérable et de le soumettre. Et cela allait peut-être se produire maintenant.

Enkiial ne comptait pas se laisser faire, et si Zaken osait prendre place à califourchon sur son corps de cheval, il se soumettrait à un véritable rodéo. Il doutait juste d'en avoir la force à cause de ses blessures et de son épuisement. Fort heureusement, Zaken ne fit que s'accroupir sur sa croupe, et sauta sur son flanc. Enkiial émit un grondement équin, pourtant soulagé.

Néanmoins, ce n'était pas agréable d'avoir un adversaire collé à son flanc, et Enkiial s'apprêta à pivoter pour le bousculer, mais Zaken prit appui sur lui d'un bras pour lui décocher un bon coup de poing, puis un second, en plein visage. Enkiial gronda encore et lâcha une petite ruade pour projeter Zaken au sol. Il s'éloigna un peu et se massa la joue. Ses mâchoires saignaient un peu. Il cracha. Zaken venait d'exploiter sa plus grande vulnérabilité sans doute. Enkiial en fut vexé. Il voulut se convaincre qu'il réussirait à empêcher Zaken de recommencer voire de faire pire et lâcha :

ENKIIAL – Jamais tu ne me monteras. N'espère pas, c'est impossible de monter un Centaure. Je te mets au défi. Yah !

Le Centaure chargea et tendit les bras pour attraper l'Humain, dans la tentative de le soulever du sol et d'aller le plaquer contre un arbre.

Après que je l'ai frappé, le centaure me regarda d'un œil mauvais. Je devine facilement que mon escapade sur son dos ne lui a de toute évidence pas plus. Il me toise pendant quelques secondes et s'écrie:

ENKIIAL – Jamais tu ne me monteras. N'espère pas, c'est impossible de monter un Centaure. Je te mets au défi. Yah !

Et, pour comme pour accompagner ses paroles, il me chargea. Il me mettait au défi de le monter. Le pire affront que l'on puisse faire à un centaure, à ma connaissance... J'imagine que si j'y parviens, cela marquerait la fin du duel. J'avais déja monté un cheval sans selle ni étrier. Mais pas un cheval enragé prêt à tout afin de me faire descendre. L'affaire s'avérait compliquée, le défi ardu. Et j'ai un centaure qui me charge! Prêt à l'éviter, je me prépare à me jeter sur le coté, mais celui-ci tend soudainement les bras, gagnant en allonge! Enkiial parvient à m'empoigner les épaules et continue sa course, droit vers un pin. Nul doute que s'il réussissait à m'y plaquer, il allait pouvoir me passer à tabac ou m'écraser au sol sans que je puisse répliquer, sans compter mon bras blessé. Et j'avais beau forcer, je ne pourrais pas réussir à freiner sa charge.

Je fais donc l'inverse: Je détends tout mes muscles et me relâche, tout en poussant de mon mieux la poigne du centaure. Je finis ainsi par tomber au sol, n'étant plus soutenu par mes jambes, et prend au passage un coup de sabot au visage. Je lâche un juron et me relève rapidement, profitant d'être encore de dos a Enkiial pour foncer sur lui. Il voulais me voir le monter, il allait être servi! Mais le vrai défi ne consistait pas à monter sur lui, mais à y rester.

Avant qu'il ne puisse se retourner, je fonçais vers lui, décidé à le chevaucher. Mais, trop concentré sur sa croupe, je perds de vue l'essentiel... Qu'une vilaine ruade s'empresse de me rappeler en me jetant au sol. Grimaçant à cause de mon bras douloureux, je me relève péniblement, et prend conscience que le centaure ne comptait pas se laisser faire, loin de là! Et lui non plus ne perdait pas de temps. Il revenait sur moi, bien décidé à m'immobiliser! Néanmoins, j'ai pu remarquer qu'il évitait les mouvements brusques et d'utiliser ses sabots face à moi. Peut-être était-il gêné par sa blessure au ventre? Tant mieux pour moi: c'était de là qu'il fallait partir. Si sa blessure lui causait trop de mal, il évitera de cabrer.

Je lui fonce donc dessus, tendant mon poing. Cela pourrait paraître étrange, certes. Mais, au moment ou je suis le plus près de lui, j'esquisse un bond de coté en continuant ma course, de manière à ne pas perdre de la vitesse, et me retrouve de nouveau sur son flanc. C'est le moment ou jamais. Je saute de nouveau en prenant appui sur sa croupe.

Comme prévu, Enkiial réussit à empoigner Zaken et à le pousser. Il ne voyait de toute façon pas comment l'Humain aurait pu lui résister. Dans sa tête, les Humains étaient en tous points inférieurs aux Centaures, et n'avaient aucune chance de remporter un duel à mains nues. Il était donc confiant par arrogance et par mépris. Cet adversaire néanmoins était un peu exceptionnel. Il ne le dominait pas comme il dominait les Humains. Il pourrait bien sûr utiliser ses invocations, mais il voulait le tester par lui-même, voir à quel point cet Humain pouvait l'impressionner. Il se surprenait à avoir un peu d'estime pour lui. C'est justement parce que cet adversaire n'était pas tout à fait Humain, ce qui expliquait en partie son agilité surprenante, mais ça, Enkiial ne l'avait pas deviné.

Dans sa course vers le pin contre le tronc duquel il voulait plaquer Zaken, Enkiial perdit prise : Zaken tomba au sol et le Centaure lui donna involontairement un coup de sabot en plein visage au passage. Enkiial finit par s'arrêter et tourna la tête derrière lui. Zaken s'était déjà remis debout, et courait vers lui. Il devinait à son regard fixe son intention : Zaken courait vers sa croupe pour prendre appui dessus et le chevaucher. C'était tellement évident ! Trop évident. Sans se méfier d'un éventuel piège, le Centaure lâcha une petite ruade contrôlée, que Zaken se prit de plein fouet, tombant à la renverse avec une douleur modérée. Enkiial eut un petit rire moqueur.

Il se retourna et s'avança vers son adversaire d'un pas lent et confiant. A force de le mettre à terre, il allait bien finir par le plaquer et le soumettre pour obtenir la victoire ! Seulement, Zaken se relevait toujours. La victoire ne serait donc pas sur cette action. Peut-être sur la prochaine ?

Le Centaure ne chargeait pas, alors c'est Zaken qui chargea. Pour la seconde fois, on se trouva à voir l'Humain charger le Centaure à défaut de l'inverse. La première fois, le Centaure avait contré en contre-chargeant. Cette fois-ci, au contraire, il s'arrêta. Il faut dire qu'il avait besoin de reprendre son souffle. Ce duel était long et fatiguant. Mais tellement palpitant. Zaken tendait le poing en avant en courant vers lui. Que voulait-il faire ? Enfoncer son poing avec élan dans le ventre du Centaure ? C'est ce qu'Enkiial pensa, et il se prépara à dévier l'attaque, mais Zaken se dévia lui-même et passa sur le flanc du Centaure, et ce dernier le sentit prendre appui sur sa croupe. Oh non non non... il allait réessayer de le monter. Pas question !

Par réflexe, Enkiial lâcha une ruade. Ce ne fut pas pour frapper Zaken, qui se trouvait sur son flanc, mais pour faire un mouvement sec de l'arrière-train et ainsi lui faire prendre un mauvais appui pour qu'il rate sa tentative de le monter. Après tout, monter un cheval qui gesticule et ne se laisse pas faire, ça n'a rien de facile.

Ce simple mouvement empêcha en effet Zaken de tendre le bras pour se soulever. L'Humain ne fut pas projeté, il retomba simplement sur ses deux pieds en n'ayant pas pu monter le Centaure. Ce dernier ne resta pas statique, sinon Zaken aurait juste à réessayer aussitôt. Il pivota sur ses pattes antérieures pour bousculer Zaken avec sa croupe.

ENKIIAL – Allez, bouge de là, faible Humain ! Personne ne monte un Centaure, nous n'avons rien en commun avec les chevaux !

En réalité, si, y compris l'odeur !

Enkiial est surpris par ma réaction. Je me retrouve rapidement sur son flanc, prêt à le monter. Je me prépare, et prend de nouveau appui sur sa croupe, tout en me doutant qu'il allait tenter quelque chose. Et j'ai raison: Il esquisse une ruade, non pas dans le but de me mettre à terre, mais de fausser mes appuis. Et sa manœuvre a réussie: je perds prise, et suis obligé a recuer, sa croupe se faisant menaçante. Fier d'avoir déjoué par deux fois ma tentative, le centaure se met à me narguer:

ENKIIAL – Allez, bouge de là, faible Humain ! Personne ne monte un Centaure, nous n'avons rien en commun avec les chevaux !

Humain. Faible humain. Il vient de me traiter d'humain. Cette déclaration m'énerve tellement que je ne fais même pas attention au reste de la phrase. Comment peut-il me traiter d'humain? Etait-il assez stupide pour ne pas voir que je n'avais rien d'humain? Enfin, presque rien?

Remarque... Il ne l'a peut-être effectivement pas vu, simplement. Mes oreilles sont dissimulées derrière quelques mèches de cheveux - Même si je ne cherche pas réellement à les dissimuler, auquel cas j'aurais pris un couvre-chef - et dans la bataille, il n'a pas prêté attention à ce détail.

Dans le doute, je déclare:

ZAKEN - Tu as raison. Les humains sont faibles. Mais je ne suis pas humain!

Pour accompagner mes paroles, je dégage quelques cheveux afin de bien montrer le bout pointu de mon oreille.

Ce point éclairci, revenons au combat. Je devais être décisif. La fatigue se faisait plus insistante, et mon bras me fait souffrir le martyre. Enkiial ne tentera plus d'attaque frontale, de peur de me vois finir dans son dos. C'est moi qui devait mener l'offensive, donc. Mais pas en chargeant bêtement et en improvisant une pirouette ensuite. J'approche prudemment, doucement. Le centaure ne me laissera pas l'approcher à une certaine distance sans réagir. C'est sur cela que je comptais. J'avance, pas après pas. Tiens, il effectue un mouvement de recul. Il a compris ma démarche. Comment va-t-il réagir? Encore quelques mètres. Ça y est, il ne veux plus me voir avancer. Il effectue un grondement à moitié équin, et charge, voulant sans doute profiter du fait que je suis proche. Attendant le dernier moment, je me jette sur le coté et n'attend plus. Je devais l'emporter. Avant qu'il tente de nouveau de fausser mes appuis, je monte le plus vite possible, profitant du fait qu'il soit encore à moitié en train de courir.

Ca y est. Je suis monté sur un centaure. Mais je devais me tenir prêt, sans quoi je n'y resterais pas longtemps. Cela devait énerver Enkiial au plus haut point que quelqu'un ait réussi à le monter, et il commença. A cabrer, à ruer, à sauter en tous sens afin de me voir à terre. Je tiens. Je tiens.

Je ne tiens plus. Une violente douleur à mon bras me fit lâcher le dos du centaure, et une violente ruade me projette plusieurs mètres devant. Le dos endolori par le choc, je n'arrive plus à me relever. Mes jambes ne bougent plus. Je sens une pression sur ma poitrine, et lève la tête: Enkiial, sourire moqueur, sabot sur mon torse, savoure sa victoire. Car j'ai perdu.