Un séjour de tous repos

Salmissra était de retour à Tacomnal, mandaté par son ami Cranston. Ce dernier n'avait pas du tout changé depuis sa dernière venue dans la cité, on peut même dire qu'il avait fait honneur à la haute gastronomie tacomane. La Nagi n'était pas seulement venue sur ordre de Cranston pour le divertir, mais aussi pour se reposer. Elle avait passé beaucoup de son temps libre à tenter d'en savoir plus sur les Chercheurs d'Argents et cela s'en était ressenti sur son humeur et son attitude, à tel point qu'une connaissance commune avait organisé, en compagnie de l'ambassadeur, un séjour tacoman destiné à lui permettre d'oublier ses soucis durant un petit moment et... Elle n'avait pu résister, appréciant autant l'un que l'autre les deux "conspirateurs" pour vouloir les froisser avec un refus.

Salmissra se préparait à visiter les étuves de l'ambassade. Cranston, féru de bains, en avait fait installer à ses frais. Il s'agissait d'une grande salle, autrefois sûrement une cuisine, avec une séparation au milieu pour permettre aux hommes et femmes membres de l'ambassade de se baigner en conservant leur pudeur.
Elle-même était arrivé la veille, dans un carrosse, et s'était reposée depuis, dans une chambre d'invitée spacieuse. Son cher ami, dont le tour de taille semblait avoir gagné quelques centimètres depuis leur dernière séparation, lui avait adjoint une jeune servante comme dame de compagnie, arguant qu'elle était "charmante, de bonne compagnie et fort bien élevée", ce qui convenait parfaitement à la courtisane aux écailles émeraudes.
On toqua à la porte et elle avança :

"Me voilà, je suis prête."

Depuis Olderve

La mission ne se pas passe pas au mieux. Le Séladien et la fille atteignent bel et bien leur objectif, mais à quel prix...

Schizæ perd de vue son ami et ne le retrouve pas. Une fois en sécurité, elle prétend être Ki, la sœur de sa compagne de cellule. Cette dernière travaillait pour une famille de nobles de Tacomnal. Schizæ avait eu le temps de devenir son amie avant qu’elle ne décède. Sa complice lui avait confié assez de secrets pour faire chanter bien du monde chez les aristocrates.

Par la suite, Schizæ se présente chez les anciens maîtres de sa prétendue sœur. Cela fait un mois et demi que cette dernière a disparu, aussi la patronne est elle heureuse d’avoir des nouvelles de son ex-servante.

La noble dame est déjà âgée et se prend d’affection pour la fille. Ou alors voit-elle un potentiel exploitable en Schizæ. Ou peut être encore la fille utilise-t-elle ses connaissances pour faire chanter la vieille femme... Dans tous les cas, Schizæ, ou plutôt Ki, finit-elle par devenir la dame de compagnie d’une des petites-filles de la famille.

Ses connaissances de l’étiquette et sa discrétion lui permettent d’être rapidement appréciée, de même que son talent de comédienne. Elle sait exactement quand rire, quand hocher la tête avec un regard empli d’empathie et de bienveillance, quand prendre un air triste et surtout, elle sait se faire petite et disparaître. Ses sourires niais enchantent les dames qui lui tapotent constamment la tête avec condescendance. Jamais Schizæ ne s’était senti aussi loin de ce monde auquel elle a appartenu.

Ce jour là, Schizæ tresse ses cheveux et enfile une robe blanche sensée rehausser la couleur de ses yeux verdâtres. Son visage enfantin plaît aux dames, même si, bien sûr, on cache ses brulures derrière des linges aux longues manches et aux cols hauts. Le maître l’a expressément mandée et la fille se rend dans ses appartements avec appréhension. Elle le trouve assis à une table en train d’écrire.

MAÎTRE - Entre. Nom ?
SCHIZÆ - Je m’appelle Ki, Monsieur.
MAÎTRE - Bien.

Concentré sur un morceau de parchemin, il continue la rédaction d’une lettre. Au bout d’une dizaine de minutes, il scelle la missive et recommence à parler.

MAÎTRE - C’est celle qui sait lire et tout ça ?
SCHIZÆ - Oui, Monsieur.
MAÎTRE - Tu appartiens à un autre maintenant. Soit une bonne fille, je ne veux pas qu’on s’imagine que j’offre des malmeserts.

Schizæ le regarde, interdite.

MAÎTRE - Qu’est ce que tu fais encore là ?! Allez, zou !




C’est ainsi que, deux jours plus tard, Schizæ se retrouve là. Dans la chambre de sa nouvelle maîtresse. Face à un tas de bracelets plus étincelants les uns que les autres. Et face à cette femme si étrange. Une mutante, ou une naga malformée. Elle ne sait toujours pas trop quoi penser de cette personne, si ce n’est que son visage est fort joli.

On frappe à la porte.

SALMISSRA - Me voilà, je suis prête.

Une jeune halfeline apparait dans l’embrasure de la porte pour annoncer que le bain est prêt. Schizæ suit la naga jusqu’à la salle d’eau. Elle s’arrête devant la porte et, par politesse, se retourne pudiquement pour laisser le temps à sa maîtresse de se déshabiller et de s’immerger dans l’eau chaude.

Une Halfeline l'attendait, elle et sa dame de compagnie, derrière la porte. Elle expliqua à la Nagi que le bain était prêt et invita les deux femmes, la courtisane et la jouvencelle, à la suivre. Une fois arrivée aux bains, Salmissra ne put contenir un sifflement de contentement en voyant l'étuve dans laquelle elle allait pouvoir se baigner. Au contraire de la plupart des bassins de la pièce, en bois, dans lesquels on plaçait de grandes pièces de tissus pour le confort et éviter les échardes, la cuve fumante d'eau qui attendait la courtisane aux écailles d'émeraude était en pierre, spacieuse et conçue selon un tel système que le centre du bassin était plus chaud que les bords, faisant en sorte que les baigneurs s'habituent progressivement à la chaleur au fur et à mesure qu'ils avançaient dans le bassin.
Elle se retourna et vit Ki, sa dame de compagnie lui tourner le dos.

Salmissra sourit. Pour ne pas choquer les moeurs tacomanes, elle portait un châle couvrant notamment sa poitrine et une pièce de tissu cachait son bassin et notamment la jonction de sa partie "humaine" et de sa partie reptilienne. Elle retira ses pièces de tissus et les plaça sur dans une corbeille prévue à cet effet, avant de se couler dans l'eau chaude. De sa gorge émana un bruit proche du ronronnement félin, signe de son contentement et de sa satisfaction. Elle se retourna et s'accouda au rebord de pierre, avant de poser son menton sur ses avants-bras, le regard fixé sur Ki qui lui tournait encore le dos.

"Tu sais, tu peux te retourner, ma chère." dit-elle à l'intention de Ki.

Elle n'avait guère prit le temps de la connaître, à cause notamment de son besoin de sommeil. Elle avait juste vu qu'il s'agissait d'une jouvencelle, qui n'avait sûrement pas encore vécu cette difficile période où, une fois par mois, elle avait à mettre du linge entre ses jambes. Elle était blonde, et possédait un regard grave, pratiquement mature et c'était tout ce que la Nagi avait remarqué pour le moment.

"Donc... Ki. Je crains que Cranston n'ai guère eu le temps de faire les présentations. En même temps... Son travail d'ambassadeur lui prend beaucoup de temps et il délègue beaucoup à son secrétaire, qui est fort tête en l'air. Mon nom est Salmissra. Je voulais savoir... Tu semblais me regarder avec étonnement. Pourquoi ? Ne t'en fais pas, je ne suis pas du genre à battre le personnel et je ne mords pas, tu peux parler sans craintes."

Le bruit d’un tissu froissé se fait entendre suivi de celui d’éclaboussures. Et bientôt, c’est un ronronnement qui résonne dans la salle de bain.

SALMISSRA - Tu sais, tu peux te retourner, ma chère.

Derrière un nuage de vapeur, Schizæ aperçoit sa maîtresse accoudée au bord d’une grande bassine de pierre. La fille se dirige vers le coin où se trouve divers objets. Elle attrape un morceau de tissus et quelques pétales de fleurs séchées. Ce sont les même que celles qui poussent à Estandre. Celles qu’elles cueillaient avec Shelzæ quand arrivait le printemps. La fille frotte les pétales contre le tissu en essayant de ne pas penser à sa sœur. Elle s’approche ensuite de la femme serpent et commence à lui frotter le dos. Une mousse odorante se forme progressivement et la fille descend dans le bas du dos jusqu’aux écailles. Elle s’arrête un instant, se demandant comment laver cette partie reptilienne. La naga profite de cette hésitation pour se présenter et lancer la conversation sur un dénommé Cranston. Schizæ n’a jamais entendu parler de lui.

SALMISSRA - Tu semblais me regarder avec étonnement. Pourquoi ? Ne t'en fais pas, je ne suis pas du genre à battre le personnel et je ne mords pas, tu peux parler sans craintes.

On sait pertinemment qu’une servante ne peut se permettre de parler sans crainte... Mais Schizæ apprécie tout de même la courtoisie de la naga. Elle lève le nez de son ouvrage et regarde les cheveux de sa maîtresse en cherchant la meilleure façon d’expliquer son étonnement sans se montrer désobligeante.

SCHIZÆ – Je ne doute pas de votre bonté vis à vis de votre personnel et je suis consciente de la chance qui m’est donnée de servir quelqu’un comme vous.

En prononçant ces mots, elle observe les réactions de son interlocutrice pour voir si elle n’en fait pas un peu trop, essayant de deviner le comportement qui est attendue d’elle. Elle pose ensuite ses mains sur la tête de la femme serpent et commence à laver ses cheveux.

SCHIZÆ – J’ai rarement eu l’occasion de rencontrer des nagas, et je n’en avais encore jamais vu avec une telle chevelure...  Êtes vous vraiment une naga ? Je veux dire... vous ressemblez à une humaine. Et quel genre de travail pouvez-vous faire pour avoir tant de bijoux ?

Et là, est-ce aller trop loin ? Schizæ scrute la femme serpent, cherchant à la cerner au mieux.

Salmissra regarda la jeune Humaine. Oui, vraiment jeune, même pour une dame de compagnie, mais elle avait le maintien d'une personne de haut rang, du moins, par rapport aux autres servantes de l'ambassade. La jouvencelle s'occupait de frotter son dos avec des fleurs séchées, ce qu'elle appréciait d'autant plus, grâce à son sens du toucher plus... "Performant" que celui d'autrui. Son petit ronronnement s'intensifiait chaque fois que Ki passait sa main dans le creux de son dos. La jeune fille lui exprima sa reconnaissance, et surtout expliqua qu'elle se considérait chanceuse que de la servir.
Salmissra sourit, alors que la jeune enfant lui demandait si elle était une Nagi, ou une Humaine, et quel type de métier pouvait-elle bien faire pour avoir autant de bijoux ?
La Nagi se retint de rougir, de peu.

"Et bien... Je suis une Nagi. Je dois être la seule de ma race à ressembler en partie à une Humaine, du moins, de cette façon. Quand à ce que je fais... Disons que je suis une danseuse professionnelle et une courtisane tout aussi professionnelle."

Elle leva une de ses mains, celle qui n'était pas humide, et la posa sur l'épaule de Ki, dans un geste doux.

"Ne te méprend pas. Je ne passe pas mes nuits dans les bras de mes clients, loin de là. Je suis engagée par mes clients pour divertir leurs soirées, que ce soit par mes danses ou par ma conversation. Si Cranston, l'ambassadeur, qui est accessoirement un de mes clients des plus fidèles, m'a fait venir ici, c'est pour me permettre de me reposer."

Elle se retourna et s'adossa au rebord de l'étuve de pierre. Son cascabelle sortit de l'eau, à environ un mètre d'elle et elle l'agita, produisant un petit son strident, avant de la replonger dans l'eau.

"Dis-moi. On m'a dit que tu étais bien éduquée, mais... Comment cela se fait ? Je veux dire... Tu es bien jeune pour une servante, et plus encore pour une dame de compagnie. Tu n'es sans doute pas non plus de basse extraction, puisque tu n'as pas essayé de faucher mes bijoux."

En même temps, la seule qui avait tenté cela avait comprit, à ses dépens, que c'était quelque chose de peu recommandable. Enfin, c'était du passé et Salmissra avait apprit que la servante en question avait pu retrouver un poste, malgré une épaule démise durant une assez longue durée.

SALMISSRA - Et bien... Je suis une Nagi. Je dois être la seule de ma race à ressembler en partie à une Humaine, du moins, de cette façon. Quand à ce que je fais... Disons que je suis une danseuse professionnelle et une courtisane tout aussi professionnelle.
SCHIZÆ – Quoi ?! Une courtisane ?

Son sursaut de consternation est évident, mais avec une grande douceur la maîtresse pose une main sur l’épaule de Schizæ. Dame de Linth refusait toujours que ses enfants approchent les femmes de mauvaises vies. Ces demoiselles ne ressemblaient pas à Salmissra, elles étaient toutes humaines, jeunes et très belles, avec des parures éblouissantes et un port gracieux. Avec Shelzæ et cousin Louain, ils les regardaient de loin en écoutant le dernier faire des commentaires déplacés sur certaines parties de leurs corps. D’ailleurs aucune des deux sœurs n’avaient jamais compris la signification de ces commentaires, mais elles ne pouvaient s’empêcher de les répéter à voix haute, ce qui leur avait valu de belles raclées.

SALMISSRA - Ne te méprend pas. Je ne passe pas mes nuits dans les bras de mes clients, loin de là. Je suis engagée par mes clients pour divertir leurs soirées, que ce soit par mes danses ou par ma conversation.
SCHIZÆ – Alors vous êtes un peu comme moi, une dame de compagnie, mais de très haut rang. Heu... excusez-moi, la comparaison est peu flatteuse, et votre art est fort différent du simple fait de servir des maîtres... Alors vous êtes ici pour danser ?
SALMISSRA - Si Cranston, l'ambassadeur, qui est accessoirement un de mes clients des plus fidèles, m'a fait venir ici, c'est pour me permettre de me reposer.

Elle fait tinter ses bijoux puis reprend.

SALMISSRA - Dis-moi. On m'a dit que tu étais bien éduquée, mais... Comment cela se fait ? Je veux dire... Tu es bien jeune pour une servante, et plus encore pour une dame de compagnie.
SCHIZÆ – Et bien... Ma mère était nourrice à la cour d’un noble Estanol, elle a nourrit les enfants de cette grande famille en même temps que ma sœur et moi-même. J’ai été éduquée dans ce milieu.
SALMISSRA - Tu n'es sans doute pas non plus de basse extraction, puisque tu n'as pas essayé de faucher mes bijoux.
SCHIZÆ – Vous touchez un point sensible, Ma Dame. La vérité est que le maître de maison dans laquelle travaillait ma mère était... je l’ai compris il y a peu... mon père. Voyez-vous, il n’avait jamais aimé son épouse et ma mère était une très belle femme. Ma bâtardise expliquait pourquoi il avait porté tant d’attention à l’éducation de ma sœur et de moi-même. Mais son épouse a fini par se douter de quelque chose et nous a envoyé travailler comme dame de compagnie à Tacomnal. C’est là que nos mésaventures ont commencées. Nous avons été enlevées par des esclavagistes qui essayaient de faire des golems en utilisant des cerveaux d’enfants comme des granls... Elle n’a pas survécu, mais j’ai été sauvée et je suis allée travailler chez ses anciens maîtres. Ils m’ont ensuite envoyée chez vous, probablement en accord avec ce... Cranston, dont vous avez parlé.

Schizæ ne fait aucune mention des bijoux. Auparavant, sa famille en avait une quantité impressionnante mais cela ne fut d’aucune utilité : ils ont tous été décimés. Dans l’immédiat, elle ne voit donc aucun intérêt à en voler à sa maîtresse.

SCHIZÆ – Puis je me permettre de vous poser des questions ? Comment cela se fait-il qu’une Dame telle que vous soit devenue... danseuse chez les gens de la noblesse ? Votre peuple ne vit-il pas dans la mer ? Êtes-vous tombée amoureuse d’un humain pour quitter votre monde de la sorte ? Êtes-vous heureuse ici ? Et... Heu... Serait-il possible qu'un jour... enfin... est ce que... pensez vous que je puisse vous voir danser lors d'une représentation ?

Elle ne sait pas encore exactement pourquoi elle souhaiterait se retrouver à une fête au milieu des nobles de Tacomnal... de ces traîtres qui ont provoqué la perte de sa famille. Pour le moment, c'est surtout l'idée de voir danser la naga qui l'attire. Cette femme-serpent a quelque chose d’hypnotisant qui séduit Schizæ en même temps que de la déranger.

La jeune Ki fit un parralèle entre la vision de la profession de courtisane de Salmissra et la profession de dame de compagnie, et la Nagi ne put s'empêcher d'être admirative devant cette présence d'esprit, alors que son interlocutrice était si jeune. Ensuite, cette dernière lui expliqua que sa mère était nourrice pour un noble estanol et qu'elle avait élevé ses propres enfants en compagnie de ceux de ce noble. Le fait que ledit noble soit aussi le père de Ki expliquait un peu mieux pourquoi ce dernier veillait à ce que la progéniture de la nourrice soit bien éduquée.
Ensuite, Ki et sa soeur furent envoyées à Tacomnal comme dame de compagnie en devenir, pour éviter les soupçons de l'épouse du noble, mais les deux jeunes femmes avaient traversées bien des épreuves et la sœur de Ki n'était jamais arrivée à destination.
Le visage de Salmissra se durcit en entendant parler d'esclavagistes et elle pressa doucement l'épaule de Ki, en signe de compassion.
Mais cette dernière changea de conversation et posa de nombreuses questions sur la Nagi.

"Et bien, j'étais serveuse dans une taverne de bonne réputation à Telbara et, un soir, j'ai eu à danser devant les clients, pour les divertir. Cela les a médusé et j'ai eu un petit succès auprès de certains clients, jusqu'à ce que certains me remarquent et m'invitent dans des réceptions huppées."

Bon, ce n'était pas réellement la vérité, puisqu'une partie de son succès était dû à quelques meurtres commandités, qu'on lui rémunérait en lui offrant la possibilité de danser dans certaines fêtes et réceptions par la suite.

"Mon peuple vient bel et bien de la mer. Mes parents vivaient sur le rivage telbaran, mais, à ma naissance, en voyant mon apparence, les autres villageois ont pensé que ma mère avait fauté avec un Humain et ont chassé mes parents des lieux. Ils vivent à la Guilde des Guerriers, actuellement. Comme quoi, même les Nagas peuvent être obtus et arriérés, ce n'est pas un privilège de la paysannerie humaine."

Même si ses parents refusaient de la voir, du moins, sa mère, son père s'arrangeait toujours, en retour de mission, pour se rendre en compagnie de ses équipiers dans les tavernes où elle se produisait. C'était sa façon à lui de s'excuser pour l'avoir violemment chassé de la Guilde.

"Mais, si je suis heureuse ? Oui. Je suis plus adulée que certaines Humaines ne le seront jamais et j'ai toujours grand plaisir à danser pour quelqu'un. Quand à me voir danser... Ce soir, j'accompagne Cranston à une réception donnée par l'ancien ambassadeur tacoman à Telbara et ce dernier a un point de vue plus... Ouvert que la plupart des siens. Il s'agira d'une réception privée, pas plus d'une douzaines de personnes, mais je danserais sûrement. Ah... Voilà Cranston, par ailleurs."

En effet, l'ambassadeur telbaran était arrivé. Malgré son poids, qu'il mettait en avant et dont il usait tel un bélier quand il se mouvait dans la foule, il était capable de se déplacer avec une grande discrétion, à tel point qu'il parvenait parfois à surprendre la Nagi. L'Humain était déjà habillé pour la fête et s'approcha de la cuve fumante, sans se soucier de l'humidité ambiante. Il adressa un signe de tête poli à Ki et fit un baise-main à Salmissra.

"Mes très chères, je suis désolé d'interrompre les ablutions, mais nous risquons d'être en retard à la réception."

Salmissra hocha la tête et jeta un coup d’œil en direction de Ki, pour signifier à son ami qu'il fallait respecter certaines convenances. Ce dernier acquiesça et invita Ki à le rejoindre, tandis que la Nagi sinuait hors de l'eau et se séchait, avant de remettre ses pièces de tissus sur le corps. Cranston claqua des mains et la servante Halfeline qui avait guidé les deux femmes aux bains entra dans la pièce, porteuse d'un coffret. Elle le déposa sur le banc et sortit rapidement.
Salmissra l'ouvrit et en sortit quelques chaînettes dorées, qu'elle ceignit autour d'elle, avant de se parer de bracelets et de deux colliers.

"Ki nous accompagnera, cela ne pose pas de problèmes ?"

Cranston assura que non, et guida les deux femmes jusqu'à un carrosse dans la cour de l'ambassade. Le trio se sentit vite à l'étroit, notamment en raison des anneaux de la Nagi qui prenaient une certaine place. Cette dernière détacha l'un de ses colliers et le mit autour du cou de Ki, avant de la recoiffer de son mieux en usant de sa main comme d'un peigne.

"Tu es vraiment ravissante, ainsi."

Schizæ boit les paroles de la naga. La fille est consciente qu’elle n’aura pas beaucoup d’autres occasions de rencontrer quelqu’un capable de monter aussi haut dans l’aristocratie sans avoir ni de sang humain ni de sang noble. Son assurance surprend la jeune fille.

Un homme arrive. Son embonpoint n’est pas dissimulé par ses beaux habits. Il entre sans pudeur dans la salle, salue la petite dame de compagnie puis baise la main de sa maîtresse. Schizæ le regarde avec des yeux ronds. Cranston les invite à se hâter, et s’ensuit un échange de regard avec Salmissra qui pousse le gros bonhomme à inviter Schizæ à se joindre à eux pour la soirée.

La naga sort alors du bain, dénudée, alors que Cranston est toujours là. Schizæ rougit en baissant la tête, mais ne peut s’empêcher d’apprécier l'aplomb de la courtisane. Elle sourit. Si sa mère voyait cela, elle en serait outrée.

Par la suite, le trio se serre dans une carriole et les rôles de la fille et de la maîtresse s’échangent : cette fois ci, c’est la femme serpent qui coiffe Schizæ et la pare d’un collier. Cette dernière ne peut s’empêcher de profiter du sentiment que cette situation lui fait ressentir. Elle se sent grande, entourée d’une séduisante courtisane et d’un ambassadeur telbaran pour participer à une fête... C’est un peu comme retrouver sa place à la maison, mais cette fois ci, personne ne lui dira qu’il est l’heure d’aller se coucher.

Arrivés sur place, deux serviteurs se précipitent pour faire descendre la naga et l’humain. Schizæ saute de la carriole seule, puis tout ce petit monde entre dans un bâtiment.

La fête commence tout juste, les invités sont majoritairement composés de personnes de sexe masculin. Schizæ est la plus jeune de l’assemblée. Face à tous ces adultes, son assurance tombe et elle marche timidement derrière la naga. Quand certains s’écartent sur le passage de la courtisane, d’autres la saluent avec respect ou la complimentent sur sa beauté. Il y en a même qui glissent un petit mot gentil à sa jeune dame de compagnie qui rougit, mal à l’aise, mais tout de même fière d’accompagner en soirée une Dame si appréciée des hommes.

Et puis ça y est, on la demande sur scène. Schizæ se retrouve seule, au milieu de toutes ces grandes personnes, de tous ces humains (et non-humains). Une petite envie de disparaître s’immisce dans sa tête. Heureusement, un jeune tigrain s’approche d’elle et commence à lui parler en souriant. La musique monte et tout le monde se tait. Schizæ se dresse sur la pointe des pieds pour regarder dans la direction de sa maîtresse.

Le trio parvint à la demeure de l'ancien ambassadeur tacoman. Ce dernier se trouvait sur le perron et accueillit avec chaleur Cranston, tandis que Salmissra s'assurait que Ki ne se perde pas en chemin. Les deux diplomates entrèrent dans la demeure, devisant gaiement de tout et de rien. Il y avait une douzaine d'invités dans la salle, principalement des hommes, mais la Nagi nota la présence d'une ou deux femmes. On la complimenta sur sa toilette, et l'un des invités glissa un petit compliment à l'intention de Ki, ce qui fit rougir cette dernière.
Salmissra, un hanap de vin blanc à la main, devisait gaiement avec un autre Humain, tout en laissant traîner une oreille près de Cranston et de son ami. Ces derniers semblaient parler d'un meurtre.

"Alors, j'ai ouïe dire que son Excellence a malencontreusement rencontré la mort ? Les bandits qui ont fait cela devaient être déterminés... Puis, Cranston parla plus bas. J'ai aussi entendu dire qu'il s'agissait d'un homme seul, est-ce vrai ? C'est une tragédie pour la famille royale..."

"En effet, c'est une véritable tragédie. Non seulement lui, mais quatre membres de la noblesse ont péri dans cette attaque. Le page n'a pas été retrouvé, ce qui est tout aussi tragique. Il s'agissait en effet d'un homme seul, un Barbare des Montagnes, me semble-t'il. L'enfant est en compagnie de Roland Ce fut une boucherie. Il a aussi abattu un Minotaure, mais ne s'en n'est pas sorti indemne pour autant... La famille royale a décrété deux jours de deuil national."

La Nagi en aurait haussé les sourcils de surprise. Un membre de la famille royale tacomane était donc mort ? Qui était assez fou pour s'attaquer à la famille royale ? Qui plus est, il semblait que ce meurtre était commandité... C'était réellement intéressant, mais elle doutait que cela mène à un changement dans la politique tacomane.
On toussota près d'elle et elle se tourna pour voir un serviteur Tigrain. Un autre Tigrain, version plus jeune de celui qui était proche de Salmissra, se trouvait près de Ki.

On lui expliqua que les musiciens étaient arrivés et qu'elle allait pouvoir se produire. En effet, un espace venait d'être aménagé, tandis que quelques musiciens s'installaient. Salmissra se plaça sur la scène improvisée, après avoir demandé à ce que Ki puisse assister à la représentation. Elle fit crisser sa cascabelle, ce qui, étonnamment, provoqua peu à peu le silence dans l'assistance, alors que chacun s'installait pour observer le spectacle. Un des musiciens porta sa flûte à la bouche et se mit à jouer.
La Nagi fit d'abord bouger ses hanches au rythme de la mélopée, agitant doucement les bras. Puis, un autre musicien prit son luth et se joint à la mélodie, tandis que le troisième jouait du tambour, marquant un second rythme, plus tribal, plus saccadé qui, sans s'opposer à la première mélodie, l'accompagnait justement.
Salmissra dansait doucement, jouant de l'extraordinaire souplesse de son corps pour se tordre en tout sens sans perdre son centre de gravité. Elle rampa vers le public, jouant nonchalamment auprès d'eux, les aguichant qui, d'un sourire, qui, d'un doigt passé sur la joue, sans perdre pour autant son rythme de danse.
Enfin, après une acrobatie à couper le souffle, elle s'inclina devant l'assistance, un sourire aux lèvres.

Schizæ est désormais certaine que sa mère aurait hurlé au crime. La fille ne peut s’empêcher d’admirer la naga qui se met à aguicher les hommes en ondulant sensuellement. Elle comprend à présent d’où vient le succès de sa maîtresse : jamais une humaine ne pourra se déhancher avec tant de grâce. Cette danse reptilienne plaît aux hommes et la femme serpent en joue, caressant un visage, souriant à un autre, se glissant dans la foule avec aisance. La musique devient plus brutale, plus tribale et le corps de la danseuse s’accorde au son du tambour, son bassin se balance dans un rythme hypnotisant.

Le tigrain sort Schizæ de son envoutement en lui proposant un verre de vin. Le liquide rouge tente la fille qui, pour la première fois, en goûte une gorgée avant de faire la grimace. Cette boisson lui paraît âpre et imbuvable. L’appétence des adultes pour l’alcool est encore un de ces trucs qu’elle ne comprendra jamais. La fille repose discrètement le verre sur la table tandis que la femme serpent termine sa prestation.

TIGRAIN – Elle m’impressionne tellement... Elle va revenir ici pour te chercher ? Je peux rester avec toi jusque là ? Comme ça tu me présenteras.

Le tigrain semble tout excité à l’idée d’approcher la courtisane. Schizæ le dévisage avec dédain. Elle se dit que les garçons sont tous idiots. Ce n’est pas nouveau, même pour une fille de onze ans, mais c’est toujours aussi exaspérant.

SCHIZÆ – Tu ne la connais pas ?
TIGRAIN – Seulement de réputation. C’est une danseuse incomparable, et être invité à une de ses représentations est un grand honneur.

Avec animation, il lui expose les nombreux exploits qu’il a réalisés et qui lui ont valu la chance d’être invité ce soir.

TIGRAIN – J’avais beaucoup entendu parler de cette femme. On dit que d’un simple regard elle peut rendre un homme fou. Certains la qualifient de sorcière, mais tous espèrent devenir sa victime. Malheureusement, niveau mâles, elle est difficile. Alors tu m’aideras à être son élu ce soir ?
SCHIZÆ – Non.

La fille s’éloigne du tigrain à la recherche de la naga. En nageant au milieu de la foule, elle ressent la présence d’esprits. Comme si quelqu’un avait tué et que ces morts n’avaient pas trouvé le repos. Elle frissonne quand elle comprend que c’est autour de la naga qu’ils s’accrochent. Elle ne l’avait pas senti avant. Soit son admiration l’avait aveuglée, soit les esprits jaloux se manifestent quand la naga tente de séduire d’autres hommes. Troublée par cette découverte, elle se joint à la conversation de Cranston et Salmissra, cherchant à en savoir plus sur la nature de sa mystérieuse maîtresse.

Salmissra bavardait avec Cranston, acceptant les salutations des invités d'un mouvements de tête. Du coin de l'oeil, elle surveillait la jeune Ki. Etonnamment, et malgré le fait qu'elle ne connaisse que peu la jeune Humaine, elle considérait cette dernière comme sa petite protégée.
L'ambassadeur telbaran, après avoir autant que se peux, esquivé ses questions, lui parlait de cette histoire d'assassinat et surtout, tentait d'expliquer qui est le dénommé Roland.

"Roland... On ne sait pas grand-chose à son sujet. Certains disent qu'il s'agit d'un noble déchu, d'autres pensent qu'il n'est rien d'autre qu'un ancien serf qui a prit la fuite, comme cela arrive dans certains domaines, et certains suggèrent qu'il s'agirait même d'un membre éloigné de la famille royale. Toujours est-il qu'il est en très bon termes avec les hautes instances et qu'il est fort habile au combat, malgré son grand âge."

La Nagi était impressionnée. Peu d'Humains arrivaient à un grand âge et Cranston, qui avait une cinquantaine d'années, voyait ses tempes blanchir avec inquiétude. Si Roland était aussi vieux que son interlocuteur l'affirmait, il devait être des plus impressionnants à observer durant le combat. Elle sentit alors Ki se glisser auprès d'elle et la regarder avec un air... Troublé.
La Nagi héla un serviteur et lui demanda d'amener de l'eau pour sa dame de compagnie. Ce dernier obtempéra rapidement et la Nagi détendit ses anneaux pour se retrouver à la hauteur de la jeune fille.

"Et bien, Ki, as-tu apprécié ?"

Elle lui fit un petit sourire charmeur. Ce n'était peut-être pas le spectacle le plus approprié pour une jeune fille, mais tant qu'à faire, autant profiter de ce moment pour faire, en partie, du moins, son éducation dans certains domaines. La courtisane aux écailles d'émeraude en profita pour rajuster le collier de la jeune dame de compagnie et refaire sa coiffure.

SALMISSRA - Et bien, Ki, as-tu apprécié ?
SCHIZÆ – C’était magnifique ! Vous êtes si gracieuse !

La courtisane offre un étincelant sourire à sa petite dame de compagnie. Schizæ aurait aimé avoir une mère comme ça, libre, gentille et qui ne lui répète pas tout le temps qu’elle est trop petite pour rester debout ou trop grande pour faire des bêtises.

La maîtresse se baisse à hauteur de la servante et refait sa coiffure, c’est le monde à l’envers. Lorsque les  mains de la femme serpent se posent sur elle, Schizæ ressent à nouveau la présence d’esprit. Elle est maintenant certaine que sa maîtresse a un rapport avec ces décès, ce qui la rend encore plus attirante à ses yeux.

SCHIZÆ – J’aimerais pouvoir danser comme vous.
CRANSTON – Personne ne peut danser comme elle, petite !

L’homme pose sa main sur la tête de Schizæ en lui faisant un clin d’œil.

SCHIZÆ – Je n’en doute pas. Son corps est d’une souplesse incroyable et cette danse met en évidence ses mystères sans rien en dévoiler. En la regardant, on ne peut que rêver de découvrir ses secrets...

Et ce froid caractéristique revient. « Il » cherche à repousser son esprit pour s’emparer de son corps, mais Schizæ refuse de « le » laisser prendre le contrôle.

Découvrir les secrets de cette naga... Pour l’instant, Schizæ se contente de montrer son intérêt sans vouloir paraître trop intrusive. Mis à part Artanis, personne ne lui parle jamais comme à une adulte, mais Salmissra a l’air différente. Après tout, ne l’a-t-elle pas amenée à une fête qui n’était pas de son âge ? La fille imagine bien qu’elle pourrait avoir d’autres utilités bien plus excitantes que celles auxquelles on l’a assignée. Son âge pourrait peut-être même présenter un avantage.

La jeune Ki semblait émerveillée par la représentation de la Nagi et affirma vouloir être capable de danser comme sa maîtresse, ce à quoi Cranston répondit qu'il n'y en avait pas deux comme Salmissra. Ce qui était vrai, peu de Nagis appréciaient l'idée de dévoiler ainsi leurs corps pour se faire apprécier par l'assistance.
Ki expliqua ensuite qu'au contraire, elle comprenait qu'elle soit unique, ajoutant que cette danse la mettait en valeur, sans gâcher pour autant les mystères qu'elle pouvait receler, ce qui incitait les spectateurs à vouloirs les dévoiler. Salmissra replongea le nez dans son hanap pour cacher son sourire resplendissant. Que sa dame de compagnie soit jeune et capable de dire cela sans ressentir le moindre trouble apparent, voilà quelque chose qui plaisait à la Nagi.
Elle se baissa et déposa un petit baiser sur le front de la jeune fille.

"Je te remercie ma chère, pour tes compliments."

Ele se releva et resserra ses anneaux, pour éviter qu'un invité ne se prenne les pieds dedans et ne tombe.
Un couple discutait avec l'hôte de la demeure, certains invités bavardaient, buvaient ensembles, dînaient etc... Dans un coin, une femme d'un certain âge était assise dans un fauteuil confortable, servie par un homme à peine plus jeune qu'elle, mais à la carrure de combattant aguerri. Cranston indiqua aux deux femmes qu'il s'agissait de l'ancienne nourrice royale et de son époux, l'ancien capitaine de la garde. A les voir, il n'était guère difficile de se rendre compte qu'une complicité de longue date les liaient tout deux.
Salmissra regarda Ki. Elle était une noctambule, par la force des choses, et savait que les Humains, surtout les plus jeunes, fatiguaient vite.

"Nous rentrons à l'ambassade, histoire qu'elle ne s'épuise pas trop." dit-elle à Cranston, qui acquiesça et lui assura qu'il couvrait leurs arrières, sans mauvais jeux de mots. La Nagi le savait, il allait rester chez son ami et parler de politique sans voir l'heure tourner, avant de rentrer le lendemain en milieu de matinée pour se jeter dans son lit.
La Nagi invita Ki à la suivre. Un carrosse était apprêté pour elles et elles revinrent à l'ambassade.

"Un lit a été placé dans ma chambre en notre absence, en plus du mien. Tu pourras dormir dedans."

Elles parvinrent à la chambre de Salmissra, qui étendit ses anneaux de façon à être à moitié dans son propre lit. Cette dernière prit un peigne et se plaça devant le miroir de bronze, en laissant de la place pour Ki, avant de démêler ses longs cheveux noirs à grand renfort de peigne.

"Je suis revenue plus tôt non seulement pour toi, mais aussi parce que je me sentais peu à l'aise là-bas. Les tacomans ont tendance à voir les Nagas au mieux comme des bizarreries, au pire, comme des esclaves et la plupart des invités ont dû penser que j'étais l'une des esclaves de Cranston. Crois-moi, ce n'est guère agréable..."

Une fois de retour à l’ambassade, la naga s’adresse à nouveau à sa dame de compagnie. Schizæ savoure encore la brulure des lèvres de la courtisane sur son front.

SALMISSRA - Un lit a été placé dans ma chambre en notre absence, en plus du mien. Tu pourras dormir dedans.

Chez elle, les servantes n’avaient pas pour habitude de dormir avec leurs maîtresses, mais l’idée de rester avec Salmissra l’enchante.

SALMISSRA - Je suis revenue plus tôt non seulement pour toi, mais aussi parce que je me sentais peu à l'aise là-bas. Les tacomans ont tendance à voir les Nagas au mieux comme des bizarreries, au pire, comme des esclaves et la plupart des invités ont dû penser que j'étais l'une des esclaves de Cranston. Crois-moi, ce n'est guère agréable...

SCHIZÆ – Il en est de même au Royaume d’Estandre. C’est là que j’habitais avant qu’on m’envoie travailler à Tacomnal. Tous les non-humains que j’y ai rencontrés étaient esclaves. Mais à cette soirée, j’avais plutôt l’impression qu’on vous voyait uniquement comme une artiste. Ou alors peut-être aussi pour... et bien, certains semblaient envier ma place pour cette nuit.

Schizæ désigne le lit de la main. Elle prend ensuite un peigne et aide la naga a démêler sa longue chevelure brune. Elle retire ensuite ses bijoux un à un et les place dans les boîtes adéquates.

SCHIZÆ – Je ne voulais pas vous manquer de respect. Mais je ne voulais pas vous le cacher. Les gens s’imaginent que les enfants ne comprennent rien, alors ils parlent devant eux sans se douter qu’ils sont entendus.

Les lits sont déjà fait, et la fille attend donc que la naga se couche pour pouvoir ensuite aller dormir à son tour.

La jeune Ki expliqua qu'en Estandre, à l'instar de Tacomnal, les non-humains étaient pratiquement tous esclaves. Toutefois, elle avait eu l'impression que les invités voyaient Salmissra comme une artiste. Ou peut-être pour autre chose. La jeune Humaine avaient l'impression que certains lui enviait sa place, de cette nuit. Puis, elle s'excusa auprès de la Nagi, pour lui avoir manqué de respect. Salmissra se retira doucement dans son lit et s'accouda sur le matelas de façon voir la jeune fille.

"Tu n'as pas à t'excuser. Ils me voient comme une artiste, certes, mais aussi comme une compagne de lit, comme toutes les courtisanes, ce que je ne suis pas, au contraire."

C'était l'une des nombreuses raisons qui faisaient qu'elle refusait tout engagement par les bordels tacomans. Courtisane, certes, mais elle n'allait jamais plus loin qu'une étreinte amicale. Elle prêtait son épaule quand son client éprouvait le besoin de s'épancher, le réconfortait au besoin, mais jamais ne finissais dans le même lit qu'eux.

"Qui plus est, je ne suis pas attirée de cette façon par les Humains. Et il est vrai qu'ils ont tendance à parler à tort et à travers, sans se soucier de qui peut les entendre."

Elle replia ses anneaux et s'installa confortablement sous les draps. La Nagi souffla la chandelle, plongeant la chambre dans le noir.

"Tu es estanole, donc ? Te plaisais-tu là-bas ?"

SALMISSRA - Tu n'as pas à t'excuser. Ils me voient comme une artiste, certes, mais aussi comme une compagne de lit, comme toutes les courtisanes, ce que je ne suis pas, au contraire.

Elle continue en expliquant ne pas être attirée par les humains de cette façon. Malgré elle, la fille est soulagée d’entendre cela. Encore un petit reste de son éducation pudibonde...

La naga se couche, et Schizæ se glisse à son tour entre les draps propres. Cela fait une éternité qu’elle n’a pas dormi dans un lit, et ce nouveau confort la détend. Elle ne peut retenir un long soupir.

Dans un souffle, la pièce plonge dans le noir.

SALMISSRA - Tu es estanole, donc ? Te plaisais-tu là-bas ?
SCHIZÆ – Je ne m’y plaisais pas spécialement. Quand j’y vivais, j’avais tendance à tout dénigrer, ma famille, les Estanols, le temps, les centaures (parce qu’ils sont nombreux là bas), les mentalités... Pourtant maintenant que je l'ai quitté, la nostalgie me gagne quand je repense à mon royaume. Il représente notre jeunesse à ma sœur et moi, un souvenir heureux...

Elle parle comme parlerait une grand-mère. Le sommeil la gagne petit à petit.

SCHIZÆ – C’est aussi un souvenir de dragon. Le Baron en avait deux et ils ne parlaient jamais. Sauf avec ma sœur. Ou avec moi, mais uniquement pour me dire des méchancetés. Elle ne les voyait pas comme des animaux, mais comme des gens qu’elle aimait. Alors ils l’aimaient aussi. Elle s’appelait Kimmy. Moi c’est juste Ki, comme une pâle moitié de sa copie. Elle me manque…

Et sans s’en rendre compte la fille sombre dans un rêve rempli de dragons.

Ki expliqua qu'elle ne se plaisait pas tant que cela à Estandre. Elle dénigrait tout, les autres estanols, les centaures, le temps, la mentalité des gens et même sa propre famille, ce qui fit hausser un sourcil à la Nagi tant elle était surprise. Et pourtant... Cela semblait lui manquer. C'était le mal du pays. La voix de la jeune humaine se perdit peu à peu dans les brumes du sommeil, alors qu'elle parlait de dragons. Salmissra attendit une petite minute, avant de s'endormir à son tour.

Elle s'éveilla le lendemain, bien avant Ki. Décidant de ne pas éveiller sa dame de compagnie, Salmissra se glissa silencieusement hors de la chambre, avant de se diriger vers la salle à manger de l'ambassade. Une table était dressée à l'intention du personnel et des invités de Cranston. Le fait que ce dernier ne soit pas là confirmait l'analyse de la veille : il était resté jusqu'à pas d'heure pour discuter avec son ami. Si la Nagi se souvenait bien, il étaient bloqués sur une controverse traitant de la prééminence des droits de douanes estanols sur ceux de Tacomnal dans certaines affaires commerciales. Et si ses souvenirs étaient exacts, cette controverse entre eux deux durait depuis 8 bonnes années.

La courtisane aux écailles émeraudes prit une poire et mordit dedans, savourant cette chair douce et sucrée, sentant le jus couler sur son menton. Elle essuya le liquide d'un revers de main et but une gorgée d'eau. Elle fit signe à une servante passant près d'elle.

"Je me rends aux bains, si Ki se réveille et qu'elle me cherche."

La servante s'inclina et la Nagi se rendit à l'étuve qu'elle avait quitté avec un léger regret la veille. L'eau était chaude et Salmissra se glissa dedans avec un plaisir évident.

Salmissra se glisse silencieusement hors de la chambre, probablement pour ne pas éveiller sa dame de compagnie. Schizæ dort encore, vaincue par le confort du lit.

Quand elle se réveille, la fille se rend compte qu’elle est seule dans la chambre. Elle se glisse hors des draps et observe la salle avec des yeux embrumés de sommeil. Elle s’approche de la table de la courtisane et observe les diamants, gemmes et autres pierres précieuses habilement sculptés en bijoux de grande qualité. Nombre de personnes tueraient pour posséder ne serait-ce qu’une infime partie de cette petite fortune. Schizæ glisse un doigt le long d’une émeraude en pensant à ceux que portait sa mère avant de mourir. Elle tourne ensuite les talons pour partir à la recherche de sa maîtresse.

Une fois dans le couloir, elle hésite. Elle ne sait pas où elle doit aller, aussi tourne-t-elle au hasard sur la droite. Quand elle rencontre enfin quelqu’un, on lui indique la salle à manger. Quatre servantes mangent, la fille s’approche d’elles pour obtenir des informations sur sa maîtresse. L’une d’elle a été prévenue.

SERVANTE – Tu dois être Ki. La Dame est partie aux bains pendant que tu faisais la grasse matinée !

Le ton est faussement accusateur, la jeune femme pouffe de rire avant de lui proposer de se joindre à elles pour prendre un petit-déjeuner. Schizæ sourit avec timidité et s’assoit non loin, prenant un morceau de pain et un verre d’eau. Les autres servantes la regardent avec curiosité.  La plus téméraire du groupe lance la conversation.

SERVANTE – D’où viens-tu ?
SCHIZÆ – J’ai grandit à Estandre, je me retrouve ici par un concours de circonstance.
SERVANTE – Et comment se fait-il que tu ais été choisie pour Salmissra ?
SCHIZÆ – Je ne sais pas. C’est Cranston qui l’a décidé.
SERVANTE – Et comment est-elle ? Elle est gentille avec toi ?

Schizæ apprécie l’attention qu’on lui porte et parle avec animation de la courtisane. Les cinq jeunes filles se mettent à papoter gaiement avant de se lever pour aller vaquer à leurs occupations.

Une fois rassasiée, Schizæ se rend aux bains. A l’entrée, l’halfeline de la veille l’aborde pour lui donner des tissus propres. Ils sont d’une telle finesse qu’on verrait presque à travers. La femme-serpent est allongée dans l’étuve. La fille indique sa présence d’un grattement de gorge, puis entre dans la salle enfumée. Elle se met à genou et lave les cheveux de la naga avant de l’habiller. Ensuite, elle coiffe sa longue chevelure et ramène le tout en un chignon qu’elle fleurit de petits bleuets.

SCHIZÆ – Où avez-vous appris à danser ? Cranston dit que personne ne peut vous égaler, mais pourriez vous m’apprendre quelques pas ? Ou est-ce qu’une simple humaine ne pourra jamais faire ces mouvements ?

Salmissra se prélassait dans son bain quand elle entendit la porte s'ouvrir et quelqu'un racler sa gorge pour s'annoncer. Elle se tourna et vit Ki, prête à entrer à son service. L'accueillant avec un sourire, elle sentit la jeune fille s'occuper de ses cheveux, les lava et l'aida à se rhabiller. Puis, la Nagi se laissa coiffer, appréciant ce soin fort particulier que l'on accordait aux cheveux et que, de toutes les membres de sa race, elle devait bien être la seule à connaître. La jeune Humaine lui fit un chignon, qu'elle fleurit de petits bleuets. Puis, elle lui demanda si elle pouvait apprendre à danser, comme elle.
Salmissra la regarda. Encore une enfant, ses formes adultes commençaient à apparaître. Elle se mordilla les lèvres et la regarda dans les yeux.

"Bien. A une condition. Jamais tu ne feras cela pour... Pour te vendre comme je le fais. D'accord ?"

Sa voix était sévère, mais il était important pour elle d'insister sur ce point. Elle s'en voudrait si la jeune enfant usait de la danse pour devenir une courtisane.

"Très bien, en ce cas... Rejoins-moi cet après-midi, vêtue d'une tunique qui laisse tes mouvements le plus libre possible. En attendant, je te donne ton congé pour le moment, pendant que je prépare ta première leçon."

Elle attendait la jeune Humaine dans une petite salle de réception, qu'elle avait fait débarrasser des meubles par la domesticité. Près d'elle, un jeune Halfelin, le fils de la cuisinière en chef, accordait sa lyre. Bon musicien, il savait faire courir ses doigts sur les cordes et donner le rythme souhaité par les danseurs sans mot dire.

"Tout d'abord, il faut savoir faire bouger ses hanches. Tout en parlant, elle se déhanchait, sans musique, laissant au jeune musicien le temps de préparer son instrument. Ensuite, quand tu penses avoir trouvé ton rythme, tu peux faire bouger tes bras, en accord avec la musique."

Joignant le geste à la parole elle fit onduler ses bras autour d'elle, les pliant et les dépliant doucement à un rythme hypnotique. Enfin, elle cessa. Se plaçant derrière la jeune fille, elle mit sa main sur les hanches de l'Humaine et indiqua au musicien de commencer à jouer. Puis, elle aida Ki à se déhancher.

Salmissra n’accepte la demande de Schizæ qu’à une seule condition : celle de ne pas danser pour se vendre. Elle pose sur la fille un regard lourd d’insistance et de sévérité. Schizæ n’est pas certaine de bien comprendre cette demande mais hoche la tête avec entrain, trop heureuse de pouvoir passer du temps avec la courtisane. Surement trop jeune pour ce préoccuper de ce genre d’affaire, elle rêve simplement de devenir aussi belle que la naga en dansant comme elle. La courtisane lui donne quartier libre pour la matinée et propose qu’elles se rejoignent dans l’après-midi. Pendant que Schizæ est chargée de trouver une tunique large, Salmissra préparera la leçon. La fille ne perd pas son temps et part directement à la recherche d’autres servantes pour leur demander conseil. Quand elle trouve enfin les habits demandés, il reste encore plusieurs heures avant le début de l’après midi et la fille les passe dans une fiévreuse impatience. Quand le moment arrive enfin, elle se précipite à la rencontre de sa maîtresse.

Elle entre dans la salle de réception et s’arrête à l’entrée, surprise. Celle ci a été arrangée pour libérer de la place afin qu’elles puissent s’entraîner en toute liberté. Un jeune halfelin joue quelques notes de lyre pour accorder son instrument, et Salmissra, toujours aussi belle, la regarde approcher. Schizæ rougit de plaisir en mesurant l’attention que la naga lui accorde.

L’halfelin continue à apprivoiser son instrument et Salmissra se déhanche en expliquant à la fille la meilleure façon de bouger ses hanches. Elle lui propose également de bouger les bras. Schizæ tente d’imiter la naga, puis fixe le bas de son corps pour essayer de reproduire la même chose. Elle se bat un instant avec elle-même, n’ayant pas l’habitude de se mouvoir ainsi, et encore moins de se donner en public. Elle se demande si elle a eu raison de demander des cours de danse. Elle sent sur elle le regard de l’halfelin, certaine qu’il se moque de ses mouvements peu gracieux.

Et puis la naga se glisse derrière elle pour poser ses mains fines sur la taille de la fille. Elle sent les pressions qu’elle lui impose, dans un sens puis dans l’autre, doucement, puis plus rapidement. Une main monte dans son dos, l’autre reste posée sur sa taille, imprimant un rythme langoureux qui s’accorde à la musique. Schizæ accorde le mouvement de son bassin à celui de la courtisane. Elle n’écoute pas la musique et se contente de suivre le corps de Salmissra. Elle se décontracte petit à petit, gardant la tête baissée, les yeux fixés sur les mouvements du bas de son corps.

L’halfelin sort de sa tête et elle commence à écouter son corps. On ne peut pas encore appeler cela de la danse. Elle n’est pas très gracieuse, mais son plaisir est évident.

La Nagi cessa de tenir les hanches de la jeune Ki et se plaça devant elle.

"Suis mes mouvements."

Elle se déhancha doucement, pour permettre à l'Humaine de la suivre. Ses bras évoluaient doucement autour d'elle, tels des roseaux. Ses écailles émeraudes captaient la lumière produite par les torches de la salle et la reflétant. Les dalles autour d'elle étaient colorée d'émeraude. Quand elle jugea que la jeune fille et le musicien s'étaient assez démenés ainsi, elle décreta une pause, pour que chacun puisse boire un peu et se reposer.

"Je vais surtout devoir t'apprendre à bouger tes jambes. Comme je suis une Nagi, je tire profit de ma souplesse innée pour danser et me contorsionner... Mais toi... Ne t'en fais pas, je vais t'apprendre."

Quand la pause s'acheva, elle demanda à Ki de se tenir debout et de doucement bouger ses pieds, le plus en harmonie possible avec ses bras. Elle tenta de lui montrer comment bouger ses pieds, avant d'abandonner sur ce point. Quand elle se déhanchait, elle restait statique et ne se déplaçait que quand elle souhaitait aguicher plus encore les spectateurs.

"Je te suggère de créer tes propres mouvements avec les pieds."

Elle lui montra ensuite, pendant une heure supplémentaire, comment faire bouger ses bras de façon à ne pas s'épuiser de trop, avant de demander à la jeune adolescente de mettre ce qu'elle avait apprit ce jour-là en pratique.

Les mains de la courtisane lâchent les hanches de la fille. La naga glisse pour se retrouver devant Schizae. Elle lui demande de suivre ses mouvements, et la jeune dame de compagnie s’exécute avec entrain. Peu habituée à se mouvoir ainsi, la fille se fatigue rapidement. Son professeur doit s’en apercevoir car elle lui propose de s’arrêter un instant.

La naga lui explique qu’elle devra surtout lui apprendre à bouger ses jambes. Schizae observe les écailles émeraude qui ornent la longue queue de son professeur. Leur anatomie est tellement différente que l’apprentissage risque de s’avérer quelque peu complexe.

La fille se désaltère un peu puis le cours reprend. Elle tente de suivre les conseils de la naga, mais ses mouvements de pieds lui posent soucis.

SALMISSRA – Je te suggère de créer tes propres mouvements avec les pieds.
SCHIZAE – Comme cela ?

Avec le plus grand sérieux, elle piétine sur place. Le mouvement ressemble plus à celui d’un vignoble écrasant son raisin qu’à celui d’une danseuse chevronnée, mais progressivement la fille essaie d’accorder le mouvement de ses membres inférieurs à ceux de ses bras. Elle continue ainsi pendant une heure, puis Salmissra propose à son élève de mettre en pratique tout ce qu’elle a appris. Schizae s’avance maladroitement et jette un coup d’œil à l’halfelin. Ce dernier ne semble nullement fatigué, au contraire, il a l’air enchanté de pouvoir jouer de la lyre ici plutôt que de faire son travail habituel. Il reprend la mélodie, et Schizae ferme les yeux pour tenter de sentir la musique à l’intérieur d’elle. Puis elle se lance. Elle commence par balancer son bassin de droite à gauche, d’abord mécaniquement puis, doucement, ses mouvements deviennent plus fluides. Ensuite, elle fait de petits cercles avec ses mains, lève les bras et les fait onduler sur les côtés. Ses jambes entrent dans la danse et elle avance, tourne, et se met à rire. Elle continue ainsi pendant quelques minutes, les yeux fermés, puis s’arrête pour observer sa maîtresse.

SCHIZAE – Ce n’était pas très beau n’est-ce pas… ?

Le ton de sa voix laisse deviner une certaine appréhension face au jugement que sa maîtresse posera sur elle.

La Nagi regarda la jeune fille piétiner doucement sur place, avant de trouver son propre rythme. Obéissant à un ordre silencieux de la courtisane, le jeune Halfelin adapta sa mélodie à la danse. La jeune Humaine tournait sur elle-même, faisant doucement bouger ses bras autour d'elle, les yeux fermés, riant. Salmissra accompagnait le rythme en tapant dans ses mains et, quand sa jeune élève cessa de danser, elle l'applaudit chaudement. Ce n'était que le début, et elle se promettait de la faire rudement travailler pour atteindre un bon niveau, histoire qu'elle-même ne soit pas déçue par le résultat une fois qu'elle partirait.

"Ma chère, ce n'était que les balbutiements, il est normal que tu ne saches pas aussi bien danser que moi à la fin de ta première leçon. Durant les prochaines semaines, nous travaillerons aussi ton équilibre et ta grâce et crois-moi, ce ne sera pas toujours aussi agréable que cette première leçon."

Durant les deux semaines suivantes, Salmissra découpa soigneusement l'emploi du temps de l'Humaine et le sien. Le matin à partir de la 8ème heure était consacré à la rendre la plus souple possible notamment par le biais de la gymnastique, entre la 11ème et la 14ème heure, toutes deux avaient quartier libre pour pouvoir s'occuper de leurs affaires et enfin, à partir de la 14ème heure jusqu'à la 18ème, Ki et Salmissra dansaient. La Nagi ne ménageait pas ses efforts, ni ceux de la jeune adolescente et elle s'allongeait dans son lit, fourbue, courbaturée, épuisée mais surtout heureuse de pouvoir s'adonner à son plaisir.

Lors d'un soir de "relâche", c'est à dire qu'elles avaient cessé de danser à la 16ème heure, elle avait invité la jeune Humaine à se prélasser en sa compagnie dans les bains. Alors que l'eau fumait autour d'elles, la courtisane attira à elle un seau dans lequel se trouvaient deux verres et une bouteille de vin blanc. Elle remplit les deux verres et en tendit un à Ki, avant de boire une gorgée à son tour.

"Alors... Comment trouves-tu cet entraînement ? Épuisant, non ? Mais il portera ses fruits. La semaine prochaine, nous jouerons toutes deux devant Cranston et son ami diplomate. A ce moment-là, j'espère que ce que je t'ai appris portera ses fruits."

Et durant deux semaines, le supplice commence. Enfin le supplice en question ne dure que la matinée où elle se retrouve à devoir se contorsionner afin d’acquérir une plus grande souplesse. Elle cherche à toucher ses pieds en gardant les jambes tendues, assise, debout, allongée jambe au plafond, par tous les moyens possibles… Jamais ses orteils ne lui avaient parus si inatteignables. Mais les exercices portent leurs fruits et la fille finit par devenir un peu moins rigide. Son dos peut se cambrer plus loin, elle arrive à faire « le pont », le « papillon » avec ses jambes, elle se roule, se déroule, se tord en un sens et dans l’autre avec de plus en plus d’amplitude mais toujours autant de douleurs.

Entre la 11ème et la 14ème heure, elle se dépêche de réaliser les tâches qui lui sont réservées, elle lave les habits et les draps, fait les lits, le ménage, et s’occupe de diverses petites affaires suivant les besoins du jour.

Puis arrive l’heure qu’elle préfère. La 14ème. Celle de la danse ! Pendant près de 4h, la fille peut s’entraîner à sa nouvelle passion. Salmissra s’avère un professeur passionné et attentif, plutôt patiente, mais surtout très efficace.

Chaque journée, Schizae s’endort plus rapidement que la veille, mais même si le rythme est difficile à tenir, elle apprécie de pouvoir se consacrer à ces exercices. La passion de Salmissra est contagieuse. De plus, depuis le décès de ses parents, il n’y a eu qu’Artanis pour s’occuper d’elle de la sorte, et avoir quelqu’un avec qui elle se sente écoutée et en sécurité lui manquait.

Un soir, elles terminent plus tôt. L’entraînement les épuise autant l’une que l’autre. Salmissra propose à la fille d’aller aux bains avec elle, et Schizae saute de joie à cette idée. Reposer son corps fourbu dans de l’eau chaude est la meilleure idée au monde.

Une fois qu’elles se prélassent toutes les deux dans un grand bac d’eau parfumée, elles commencent à discuter.

SALMISSRA – Alors... Comment trouves-tu cet entraînement ? Épuisant, non ? Mais il portera ses fruits.
SCHIZAE – Je n’ai jamais été aussi fatiguée de ma vie ! Mais j’aime ça, danser. (elle rit)
SALMISSRA - La semaine prochaine, nous jouerons toutes deux devant Cranston et son ami diplomate. A ce moment-là, j'espère que ce que je t'ai appris portera ses fruits.
SCHIZAE – Quoi ?! Devant Cranston ?

La fille boit la tasse et tousse pour ne pas s’étouffer. Ensuite elle se tait, pensive. L’idée de danser devant un public la rend nerveuse, en plus elle sait que Cranston est quelqu’un d’important pour sa maîtresse et elle a peur de faire une bêtise qui puisse lui déplaire. Et en même temps… tout cela est tellement excitant ! Si Salmissra le propose, c’est qu’elle estime que sa dame de compagnie en est capable, non ?

SCHIZAE – Je donnerais le meilleur de moi alors. Ainsi j’espère qu’il ne sera pas déçu de savoir que vous avez appris à danser à la dame de compagnie qu’il vous a assignée.

Elle lui sourit avec tout l’optimisme des enfants de son âge et profite du bain.

Les semaines suivantes, l’entraînement reprend. Intensif et fatiguant. Schizae donne tout ce qu’elle peut pour progresser, même si elle a parfois l’impression de stagner et que l’inquiétude de ne pas être à la hauteur la reprend. La fille suit les mouvements de la naga et apprend les pas qu’elle devra effectuer le jour venu. Par moment en symbiose avec sa maîtresse, à d’autre moment en effectuant des pas qui lui sont propre, mettant chacune son tour l’avantage d’avoir une queue de serpent ou des jambes d’humain.

Et puis la veille du grand jour arrive. Le stress fait perdre ses moyens à Schizae.

SCHIZAE – Je n’y arriverais pas Salmissra ! Je ne peux que gâcher votre spectacle, vous êtes souple, belle, gracieuse, tout ce que je ne suis pas ! Il faut revenir sur votre idée de départ !

La jeune fille appréciait la danse, malgré l'entraînement draconien auquel la soumettait la Nagi, c'était toujours ça : trouver un peu de plaisir dans ce qui n'était pas nécessairement agréable permettait d'apprendre plus aisément, du moins, c'était le point de vue de la Nagi. Toutefois, à l'idée de savoir qu'elle allait jouer dans une semaine devant l'ambassadeur et son amie, elle paniqua et but la tasse. Salmissra lui tapota le dos pour l'aider à se reprendre et sourit quand la jeune Ki lui annonça qu'elle ferait de son mieux.

L'entraînement reprit la semaine suivante et Salmissra se joint plus souvent à la jeune Humaine, toutes deux mettant au point la chorégraphie qui sera jouée devant les deux Humains. Il s'agirait d'une soirée privée, donnée avant le départ de la courtisane. Malheureusement, sans doute à cause du stress, Ki perdit ses moyens la veille de la représentation. Elle et Salmissra se trouvaient dans les bains quand l'Humaine cria qu'elle ne voulait pas voir la courtisane partir, arguant qu'elle, Humaine, n'était pas aussi belle, souple et gracieuse que la Nagi.
Cette dernière ne pipa mot durant la tirade, avant de l'attirer doucement à elle et l'enlaça contre son sein, lui susurrant des mots doux et reposant à l'oreille. D'une main, elle lui caressait les cheveux, la rassurant de son mieux.

"Shhh, ça va aller, ma grande, ça va aller... Elle relacha doucement la jeune femme et la recoiffa doucement. Je me dois de partir, j'ai reçu une lettre d'un ami qui souhaiterait me voir me produire pour l'anniversaire de sa femme. "

Pieux mensonge, s'il en est. En réalité, elle devait surtout mettre fin à la vie de quelqu'un, mais ce n'était pas quelque chose dont on parlait aisément devant une enfant. Elle soupira discrètement.

"Je vais proposer à Cranston de t'emmener avec moi. Tes gages ne seront donc pas payés par l'ambassade, mais sur ma cassette, même si cela ne provoquera pas ma ruine. Qu'en dis-tu ?"

En effet, elle avait de quoi payer la jeune Humaine et ce n'était pas cela qui provoquerait sa ruine. Bien payée pour ses divers contrats, que ce soient d'assassin ou de courtisane, elle vivait dans une petite demeure peu coûteuse en entretien, si ce n'est la salle d'eau et ses deux domestiques.