Parfione Rogojine, Ivrogne Illuminé.

Humain,Tavernier de profession, 48 ans.

Royaume de Taconmal, Bustre, Quartier du port.

Parfione Rogojine

Il aime boire, cuver son vin devant l’âtre du feu, aller se baigner dans la mer glacée, profiter de la caresse des rayons de soleil sur son corps, et chanter avec les clients du coin. Grivois ou lyriques, ses chants amusent parfois, agacent souvent. Parfione vit bien seul, au milieu de la foule qui anime son bouge. Quelques amitiés avec des gens de passage dans son auberge, quelques amours mort-nés, rythment la vie du vieil homme usé par la vie, l’alcool, et ses pensées qu’il rumine encore et encore. Car chaque fois qu’il le peut, Parfione pense, philosophe sur le monde qui l’entoure, compose des poèmes aussi vulgaires que lucides sur la nature du monde, sans jamais vraiment avouer dans ses cris envinés que ceux-ci ont depuis longtemps arrêté de questionner quoi que ce soit : il les aime pour ce qu’ils sont, des passerelles tendues vers un idéal. Alors, souvent, il s’empare d’un instrument et, du regard, met toute la salle au défi de l’interrompre. Il profère de merveilleuses injures à qui lui dira que ses discours ne servent à rien, rétorquant qu’il trouve plus de beauté dans un seul vers de poésie que dans tous les verres qu’il sert aux clients. Auprès de ceux qu’il côtoie, ses délires illuminés passent pour le spectacle pathétique de l’ivrogne qu’il est.



Parfois, quand quelques clients en viennent aux mains, quand quelques voyous oublient de payer, il rit de bon cœur et entame un nouveau refrain. On raconte que, devant un tel spectacle, certaines rages se sont calmées, certains remords ont ressurgi, certaines blessures se sont guéries. La musique dissonante qui résonne sans cesse dans l’auberge, reprenant aux airs populaires leur vitalité et à la musique des nobles sa richesse, fascine dans les quartiers pauvres de Bustre. De plus en plus, les marins du port s’arrêtent dans sa taverne pour sentir, vivre, ses horribles mélodies. Plus ses chants déplaisent à l’audience, plus ils exercent un attrait morbide sur celle-ci. Aujourd’hui, sa renommée quitte peu à peu les bas-fonds pour d'autres oreilles moins désirées, et on voit parfois une personne de bien, toujours accompagnée de ses gardes, passer le pas de la porte les soirs de fête.

Parfione ne cherche pas la renommée et se contente d’attirer la lie des travailleurs portuaires. C’est bien pour ça qu’il a quitté la capitale il y 28 ans. Il n’y était qu’un fils de rien, comme il y en a tant. Le travail que lui incombait la misère l’accablait de fatigue et la faim, jamais trop tenace, restait présente à son esprit à chaque instant. Pourtant, il garde de son enfance un souvenir sublimé par les jeux dans les rues des bas-fonds que seule sa liberté pouvait borner. Son existence insouciante et joyeuse faisait de Tacomnal le théâtre de tous les émerveillements et de sa joie sans réserve.

Mais empressés de mettre un terme à l’insouciance juvénile d’entières générations d’enfants sauvages, certains percepteurs, penseurs, professeurs, se mirent en tête d’enseigner dans les bas-fonds les principes généraux de la connaissance de la réalité vraie. D’entiers contingents de la marmaille étaient raflés par ces bienfaiteurs altruistes, faisant fi des élans désordonnés de la vitalité piaillante des pauvres enfants. C’est dans ces conditions que Parfione avait appris la musique, mais aussi le calcul, la lecture, l’escrime ou encore l’astonomie. Pendant des années, son maître avait questionné ses certitudes, l’avait mis face à son ignorance en feignant de la remplacer par autre chose que d’autres questions. Fort heureusement, ces pratiques trouvèrent leur terme lorsque les autorités du royaume dispensèrent les enfants, les assignant à l’école buissonnière indéfiniment, et massacrant les enseignants afin de prévenir toute perversion de la jeunesse et des valeurs du pays. A 16 ans, Parfione fut enfin libéré de l’horrible joug de son maître à penser. Ce fut d’ailleurs lui qui le chassa quelques minutes avant de mourir, lui confiant juste assez d’argent pour ouvrir son commerce. « Eh quoi ! Après des années à écouter tes interminables enseignements, après avoir débattu du monde, de l’existence humaine, de la nature de la magie, après que je sois devenu ton disciple, tu ne m’as pas jugé digne de te défendre ?! Cet argent érigera un monument à la gloire de l’enivrement duquel tu m’as tiré et reniera jusqu’à la décadence de vos enseignements. Meurs vieillard, ton crime aura été de rendre ton absence inconsolable. »

Tout ceci fut chanté et continue à être chanté au sein d’une pauvre taverne miteuse que continue à animer le souffle de la musique de son tenancier.



Toutes les musiques et poèmes de Parfione sont très légèrement imprégnés de magie, de façon à ce que jamais aucune ne puisse plaire vraiment. Jamais il ne joue, ni ne peut jouer de « belles » mélodies sans que derrière ne se cachent un certain souffle crispé, nervurant l’écoute et craquelant l’attention absente. Quand on l’écoute jouer, d’autant plus si on est en mesure de comprendre les paroles, il est impossible d’apprécier simplement sa musique. On peut alors ne pas en sortir indemne et s’en sentir complètement changé, éprouver une envie irrépressible de danser, ou simplement lui jeter quelques fruit trop mûrs. Chacun de ses sorts impliquant sa musique est régi par cette règle.