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Les orphelins des rues (analepse)

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Message  Aëleen Ven 18 Sep 2015 - 18:34

Je gardais ma capuche rabattue sur ma tête et marchais les yeux baissés. Le marché était encore peuplé, bien que la nuit soit déjà tombée, et je n'avais pas envie que l'on voit les traits de mon visage. J'avais déjà dû à plusieurs reprises me tirer de situations embarrassantes parce-qu'un homme ou un autre, ayant pu voir mon visage, avait commencé à me faire des propositions appuyées... Ce qui m'agaçait particulièrement, tout en diffusant en moi un immense sentiment de peur. Dans mon village, je n'avais jamais été exposée à ce genre de comportement. Il y avait bien quelques garçons qui m'avaient parfois regardée avec une certaine étincelle dans les yeux... Mais je n'y avais jamais vraiment prêté attention. Alors que des hommes me proposent ce genre de choses, ça me faisait peur... Mais ce qu'ils ignoraient, c'était que je savais me battre, et que je possédais même une lame, que j'avais dérobée alors que j'entrais par effraction dans une maison afin de prendre le sang des propriétaires. C'était un poignard, simple, léger, adapté au lancer, que j'utilisais également pour me battre au corps à corps, faute de mieux. De plus, depuis que j'étais vampire, j'avais gagné en agilité ainsi qu'en force, et je pouvais utiliser mes dents contre ceux qui me menaçaient.

Je m'approchai d'un étal, les yeux attirés par l'éclat d'un bijou. C'était un peigne à fixer dans les cheveux, finement ouvragé, et qui aurait été du plus bel effet dans mes longs cheveux... Sauf que je n'avais absolument pas les moyens de l'acheter. Tout ce que je pouvais échanger, c'était un pauvre oiseau que j'avais réussi à tuer à l'aide de mon poignard... Il aurait sans doute à peine pu m'acheter une dent du bijou. Je m'apprêtais à me détourner, lorsque je vis une main jaillir de la foule, saisir l'objet, puis disparaître. Je sursautai. Avais-je bien vu ce que j'avais vu? En tous cas, le peigne n'était plus là, et personne ne semblait avoir remarqué quoi que ce soit. Je m'éloignai rapidement, afin de ne pas attirer l'attention à rester devant.

J'étais désormais sur mes gardes. Je me rendis jusqu'à l'étal suivant, puis me plaçai sur le côté, afin de surveiller. Et la chose se reproduisit. Cette fois, je pus admirer toute l'action. Un jeune garçon, entre l'enfance et l'adolescence, passait innocemment près des objets en vente puis, alors que personne ne faisait attention à lui, tendait la main avec une vitesse inouïe, se saisissait de ce qu'il convoitait, puis ramenait son larcin sous sa cape, tout en poursuivant son chemin. L'action ne lui prenait pas même une seconde. Mon attention éveillée, je me mis à le suivre à travers la foule.

Le flot de personnes commençait à se tarir. Le garçon, sans doute plus repérable, sembla se décider à quitter le marché. Il s'enfonça dans une rue, en emprunta une autre, tourna dans une ruelle... Visiblement, il avait l'habitude de faire ce chemin. De temps à autre, il lançait un coup d'oeil derrière lui, sans doute pour vérifier qu'il n'était pas suivi. Arrivé dans un quartier pauvre, il s'arrêta près d'un buisson desséché et tapa sur le sol. Je m'empressai de grimper sur un mur afin de voir ce qu'il faisait. Une pierre se déplaça soudain devant lui, laissant place à un quelques marches grossières, qui s'enfonçaient sous terre... ça alors!

Je n'eus pas le temps de m'émerveiller sur le passage secret. Le garçon commençait déjà à descendre, et je risquais de le perdre. Je bondis de mon perchoir, me laissant tomber derrière lui, puis me jetai sur lui de tout mon poids. Nous basculâmes dans les marches, lui le premier, et atterrîmes dans l'obscurité. Je n'avais pas le temps d'analyser la situation. Je profitai de sa surprise pour dégainer mon poignard et le lui plaquer contre la gorge, grondant:

-Tu ne bouges plus.

Le garçon se figea, le souffle court. Je sentais son coeur battre dans sa poitrine.

-Mais... T'es qui, toi? Qu'est-ce qui te prends, de m'attaquer? Je t'ai rien fait.
-C'est moi qui pause les questions. Toi, tu es qui? Comment tu fais pour voler comme ça, au marché? Et on est où, ici?

Le garçon haussa les épaules. Il semblait reprendre ses esprits et être moins effrayé. C'était mauvais pour moi.

-Bah je suis doué, c'est tout. Du coup, l'patron m'aime bien, c'est pratique. Ici, c'est les souterrains. C'est là qu'on vit, quand on court pas les rues.

Je haussai un sourcil. Quel patron? Qui ça "on"?

-C'est qui, ton patron? Comment la pierre a bougé?
-Mais tu m'agaces, avec tes questions, soupira-t-il. T'as qu'à me suivre, je vais te montrer.

Il se releva en me bousculant un peu, n'ayant visiblement plus peur de moi. Je lui suivis donc dans un couloir souterrain, à la fois inquiète et empressée de voir qui étaient ce patron et ce "on".
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Message  Aëleen Ven 18 Sep 2015 - 22:49

Au bout du couloir, le garçon se retourna vers moi, la main sur la poignée d'une porte.

-Bon, il va y avoir du monde de l'autre côté, mais tu fais pas attention, tu me suis.

Il commençait à m'énerver un peu, à me donner des ordres. Visiblement, il ne l'avait pas prise au sérieux. Pourtant, il semblait plus jeune que moi. Je lui aurais donné douze ans, tout au plus treize. Et puis, lui était désarmé. Et ce n'était jamais qu'un humain. Toutefois, je me contins. Il serait toujours temps plus tard de lui inculquer un peu de respect. Pour le moment, je voulais juste comprendre quel était cet endroit.

Il ouvrit la porte, et nous entrâmes dans une salle. Ses murs étaient grignotés de toutes parts, comme s'ils avaient été abandonnés depuis longtemps. Il y régnait une humidité qui imprégnait l'air d'une odeur désagréable. Plusieurs visages se tournèrent vers nous, certains endormis, d'autres éveillés, tous appartenant à des gamins ou des adolescents âgés environ de cinq à seize ans, aux traits fatigués, émaciés, creusés par la souffrance et la faim. Ils nous regardèrent passer avec curiosité, ne nous lâchant pas des yeux jusqu'à ce que nous ayons atteint l'autre bout de la salle. Là était creusée une fissure dans le mur, bouchée par un drap à l'aspect douteux.

-Eh patron, j'amène une prisonnière.

Prisonnière? Moi? Mais il rêvait. C'était moi qui lui avait sauté dessus, pas l'inverse. Pour qui donc me prenait ce petit... Une voix m'interrompit dans mes pensées:

-Entre.

Le garçon souleva le rideau tout en m'indiquant de passer. Derrière le tissu se trouvait une petite cavité, où un autre garçon était assis à même le sol. Aussitôt que j'entrai, ses yeux se fixèrent sur moi, me scannant de haut en bas, avec une intensité qui m'aurait donné le frisson, si je n'avais pas été aussi agacée. Dans le cas présent, cela m'énerva encore plus.

-Elle a pas trop l'air prisonnière, ta prisonnière, Patte Vive.
-Benh... C'est quand même moi qui l'amène. Et puis je lui ai piqué ça, regarde.

Je remarquai alors que le garçon tenait dans ses mains...

-Mon oiseau!

Il était pourtant attaché à ma taille, sous ma cape... Je regardai Patte Vive, à moitié énervée et à moitié impressionnée. Il était vraiment très rapide. Puis je reportai mon attention sur son chef. Celui-ci devait être un peu plus vieux que moi... Du moins, physiquement. Nous entendîmes alors comme un coup frappé dans le mur. Le "patron" appuya alors sur un bouton, et nous entendîmes un étrange grincement.

-La porte, expliqua Patte Vive. On a trouvé cet endroit comme ça, c'est plutôt pratique. Ça devait être une cachette, et ça a été abandonné.

Il haussa les épaules. Le patron se releva, et me regarda d'un air critique, désignant le poignard que je tenais toujours à la main.

-Joli couteau. J'imagine que tu l'as volé. Tu pourrais peut-être servir à quelque-chose. Tu sais faire quoi?
-Je sais crocheter les serrures, indiquai-je, fière de moi.

Le patron échangea un regard avec Patte Vive. Ils semblèrent se concerter, puis le plus vieux hocha la tête et celui qui semblait être son lieutenant m'indiqua de le suivre de nouveau à travers le rideau. Avant de le suivre, je me saisis d'un couteau qui traînait au sol, qui devait servir pour découper de la viande, puis me retournai vers le patron et lançai l'arme dans le même mouvement. La lame siffla, passa à un souffle de son visage, avant d'aller cogner contre le mur. Dans un sursaut, le jeune homme porta une main à sa joue, afin de constater les dégâts. Il n'avait pas une égratignure. Sous les yeux écarquillés de Patte Vive et lui, je lui lançai:

-Et je sais me servir de mon poignard. Je ne suis là que parce-que je le veux bien.

Je sortis sans me retourner, avant de me mettre à trop réfléchir à mon acte, et au fait que ce patron était entouré d'un grand nombre d'enfants et d'adolescents prêts à venir à son aide.

Ce fut dans un silence total que Patte Vive me reconduisit à l'entrée. Visiblement, il commençait enfin à me prendre au sérieux.

-T'as pas intérêt à nous poser problème, me dit-il toutefois, une fois dehors. Sinon je te promets que tu vas le regretter. Si tu veux des trucs, tu viens ici, ou alors on traîne souvent autour des marchés. Si on se revoit, je te montrerai des points de rendez-vous. Et quand tu nous trouves, tu nous amènes un truc, et puis on voit si on peut échanger. Mais t'en prends plus jamais au patron. Sinon j'te tue moi-même.

Son regard était tellement sérieux que je n'osai pas le contredire. Il avait beau n'être qu'un humain, sans doute moins vif et fort que moi, quelque-chose de puissant l'animait. Je ne comprenais pas trop ce que c'était, mais je voyais bien que cela le rendant capable de tout. J'acquiesçai, puis repris la route vers mon chez-moi. C'était une bien étrange découverte que je venais de faire.
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Message  Aëleen Sam 19 Sep 2015 - 15:21

La nuit suivante, je ressentis le besoin de me nourrir, et sortis donc de mon refuge pour trouver une maison dont les habitants dormaient. Après avoir crocheté la porte, j'y entrai sans un bruit, et me rendis immédiatement dans une chambre, dans laquelle je trouvai une femme endormie. Doucement, je m'approchai d'elle, et plantai mes crocs dans sa gorge tendre. Le sang, emplissant ma bouche, m’enivra, et je dus lutter pour ne pas en prélever plus que nécessaire. Je finis pas abandonner ma victime, et sortis de la maison, non sans un tour dans le garde manger, où je chapardai quelques provisions, que je mis dans mon sac. Si j'avais bien compris, les enfants et adolescents que j'avais vu avaient besoin de nourriture. Peut-être que si je leur en amenais, ils voudraient bien échanger des objets contre cela... Le peigne que Patte Vive avait volé me vint à l'esprit... Mais je chassai cette idée de ma tête. Ce dont j'avais le plus besoin, c'était d'armes.

Je me rendis donc à l'entrée de l'endroit que j'avais vu la veille, et tapai sur le sol. Rien ne se passa. J'attendis un peu... Mais rien ne vint. Mince. Il y avait sans doute une façon de taper précise, ou un code. Il était vrai que cela paraissait logique. Je me sentis bête de ne pas y avoir pensé. Je me résolus donc à attendre, m'asseyant non loin, adossée à un mur. Comme j'avais mon sac sur moi, je sortis ma lyre pour en jouer, tout en m'accompagnant de ma voix. C'est alors que, juste à côté de moi, une voix fluette se fit entendre, me faisant sursauter.

-C'est très joli.

Je me retournai d'un bloc et découvrit une enfant d'une dizaine d'années, à quelques centimètres de moi. Je ne l'avais pas entendue, ni sentie, ni perçue! Depuis combien de temps était-elle là? Je posai mon instrument, et lui répondis:

-Merci, c'est très gentil. Dis-moi, tu es qui?

Sa bouche dessina un petit sourire, qui fit briller ses yeux bleus. Je remarquai qu'elle avait des cheveux blonds, bouclés, qui devaient être beaux quand ils n'étaient pas couverts de poussière.

-Fantôme. Je suis une orpheline. Tu veux entrer? T'as amené à manger?

Elle lorgnait l'intérieur de mon sac. J'acquiesçai, et elle tapa quelques coups précis sur le sol, ce qui provoqua le mouvement de la pierre. Je la suivis à l'intérieur, jusqu'à la salle que j'avais découverte la veille. Ce fut elle qui m'amena jusqu'au drap qui servait de rideau, puis jusqu'à son chef.

-Déjà revenue? Me demanda celui-ci.

Visiblement, il ne m'en voulait pas trop de mon attaque de la veille. Son sourire était affable et il me demanda si je désirais échanger quelque-chose avec eux. Je m'empressai de déballer mes trouvailles. Nous eûmes tôt fait de trouver un arrangement, et je reçus une lame plus épaisse que celle que je possédais déjà, et qui serait plus utile pour me battre au corps à corps. Je remerciai vivement les deux jeunes gens, puis suivis la fille lorsqu'elle sortit de l'antre du chef pour retourner dans la salle. Elle alla s'asseoir dans un coin, et je la rejoignis, avec le désir de l'interroger plus avant sur leurs occupations... Et pourquoi pas, lui demander s'il m'était possible de les rejoindre. J'osais à peine envisager cette possibilité. Ne plus être seule... Faire partie d'un groupe... Je n'avais plus rêvé à cela depuis longtemps. J'avais presque l'impression que ma vie pourrait redevenir à peu près normale.
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Message  Aëleen Lun 21 Sep 2015 - 15:48

Fantôme sortit un morceau de pain de sa poche, et se mit à grignoter. J'en profitai pour lui poser toutes les questions que j'avais en tête : d'où venait-elle? Comment avait-elle rencontré les autres? Vivaient-ils toujours tous ensemble? Comment cela se passait-il? Elle m'expliqua alors qu'elle avait été abandonnée par ses parents lorsque ceux-ci avaient eu un garçon. Comme les nourrir tous deux leur aurait coûté trop cher, ils avaient préféré se débarrasser d'elle, puisque le garçon pourrait leur rapporter davantage plus tard. Elle s'était donc retrouvée à la rue, et avait appris à voler pour survivre. Elle était devenue très discrète, ce qui lui permettait de s'en sortir, avec des hauts et des bas, jusqu'au jour où elle avait été repérée par le patron. Celui-ci lui avait alors proposé de s'entre-aider, d'échanger ce qu'elle pouvait voler contre les autres larcins des orphelins, ce qui lui permettait aussi de leur donner des choses quand elle volait trop pour elle, et d'en récupérer auprès d'eux quand elle ne trouvait rien. Puis, rapidement, elle était entrée dans leurs rangs. Elle m'expliqua que, bien qu'ils ne fussent pas tous des orphelins à proprement parler, ils avaient le point commun de vivre dans les rues sans aucun adulte  pour les aider, et se nommaient donc eux-mêmes "les orphelins des rues". Ils revendiquaient ainsi leur façon de survivre, sans adulte et sans situation aucune. Le patron les protégeait, arbitrait les conflits et acceptait ou non les nouveaux venus mais, à part ça, ils avaient une très grande liberté, volant ce qu'ils pouvaient et échangeant ou donnant aux autres le fruit de leurs larcins.

Les yeux dans le vague, j'écoutais l'enfant me parler de cette organisation. Ça ressemblait presque, à mes oreilles, à une grande famille... Chacun aidant les autres lorsque ceux-ci étaient dans le besoin... Une question me brûlait les lèvres:

-Qui peut vous rejoindre?

La fillette me sourit, visiblement amusée. Elle devait avoir très bien compris où je voulais en venir.

-Tu pourrais. Tu dois nous aider un peu, pour te mettre à l'épreuve. Si tu fais bien, le patron dira oui, c'est sûr.

Je lui souris en retour. Les rejoindre me tentait vraiment. La petite cachette que j'avais n'était pas très grande et, à voir ces enfants ensemble, je ressentais en contrecoup la solitude dans laquelle je vivais. Déjà que presque tout ce qui faisait la vie m'avait été pris -les battements de mon coeur, la chaleur de mon sang, la possibilité de goûter sur ma peau les rayons du soleil- le fait de demeurer en plus seule m'ôtait toute raison de continuer. Je n'avais que l'idée de me venger, cette idée qui, à mesure que je cherchais sans trouver, doucement s'amenuisait...

-Très bien, je vais faire mon possible pour vous aider, en espérant que votre chef veuille bien de moi.

Fantôme me gratifia d'un joli sourire, avant de me raccompagner à la sortie. Là, avant de me laisser partir, elle chuchota:

-Je t'aime bien moi, t'es gentille et quand tu chantes ça me fait tout doux. Je suis une des secondes du patron, je vais lui dire que tu es bien. Patte Vive t'aime pas trop, mais c'est parce-qu'il est vexé de rien avoir su faire quand t'as jeté un couteau. Le patron, lui, il est pas vexé, il pense que t'es rigolote de te mettre en colère.

Rigolote de me mettre en colère? Je me raidis un peu. Je n'aimais pas trop l'idée qu'il m'ait trouvée "rigolote". Mais bon, au moins, cela ne remettait pas en cause mes chances de les rejoindre. J'adressai un signe de la main à Fantôme avant de disparaître dans les rues.

Il allait falloir que je vole des choses, afin de prouver au patron ma bonne volonté. Je n'aimais pas trop l'idée d'être sous les ordres de quelqu'un, cela dit, surtout un garçon à peine plus vieux que moi. Mais bon, Fantôme avait dit qu'il n'intervenait pas beaucoup dans leur vie. Et pouvoir vivre en communauté... Cela ne valait-il pas la peine de faire quelques efforts? Je me promis, en outre, que la prochaine fois que je les verrais, je leur demanderais s'ils n'avaient pas une idée de la demeure de ceux qui avait tué mon père, avant de me condamner à la nuit. Deux mots se mirent à tourner en boucle dans ma tête, litanie souvent reprise, imprégnée de haine et de douleur. Deux noms. Nelra et Jaitho.

                                                                       ********************************

La nuit suivante, je fis une chose que je n'avais jamais faite auparavant : j'entrais dans une maison uniquement pour voler, sans aucune intention de mordre quelqu'un. Je repérai un lieu assez riche et allai voler des bijoux et des mets fins. En entrant dans la demeure, je me mis à trembler. Je rechignais d'ordinaire à entrer chez des personnes vraiment riches, de peur de me faire surprendre... Les pauvres étaient moins dangereux. Déjà, ils n'avaient généralement pas les moyens d'avoir des armes, ni d'avoir recourt à quelqu'un pour les débarrasser d'un voleur.

En ressortant, je soupirai de soulagement. Puis, mon sac bien plus lourd que d'ordinaire, je me rendis une fois encore à l'entrée que j'étais incapable d'ouvrir. Mais peut-être me donneraient-ils bientôt le code? Je me mis à attendre. Ce fut Patte Vive qui, en rentrant, me trouva assise devant l'entrée. Il marmonna un "salut" à mon intention, puis, visiblement à contre coeur, me laissa le suivre à l'intérieur.

Lorsque nous débouchâmes dans la salle commune, un cri de joie retentit, puis Fantôme accourut vers moi, sourire aux lèvres. Elle me conduisit au patron, toute guillerette. Là, je lui montrai ce que j'avais récolté, et reçus des félicitations. Grâce à cela, je pus récupérer une paire de bottes bien chaudes pour l'hiver, une nouvelle lame de lancer, et une couverture toute douce. Je mis tout cela dans mon sac, puis rejoignis Fantôme dans la salle.

-Dis, tu veux m'accompagner sur le marché Sud? Y avait Le Chat qui devait venir avec moi, mais il est tombé d'un toit, donc il peut pas courir si on se fait prendre.

Je réfléchis quelques secondes. La nuit allait encore durer un moment, donc j'avais le temps. Je finis par acquiescer, et la suivis dehors. Nous nous rendîmes toutes deux sur le marché nocturne, où Fantôme me demanda:

-Toi, tu attires l'attention, tu demandes d'acheter quelque-chose contre... euh... un truc nul... Un bout de pain. Le monsieur te crie, et moi je vole, d'accord?

J'acquiesçai. J'avais vu la discrétion dont elle était capable, et lui faisais entièrement confiance pour réussir. Je m'approchai d'un marchand, et commençai à me dire intéressée par un article et vouloir l'échanger contre du pain. Le ton monta rapidement, puis il se leva finalement pour me chasser. Je déguerpis alors, et retrouvai Fantôme un peu plus loin. Celle-ci tenait dans la main plusieurs pierres brillantes... Des pierres précieuses. Nous partîmes alors rapidement, avant que le marchand ne remarque le larcin. Un peu plus loin, Fantôme me tira par la manche avant de s'approcher d'un homme, richement vêtu. Celui-ci nous regarda d'abord avec dédain puis, la fillette lui montrant les pierres, ses yeux s'agrandirent. Il fut aisé de le convaincre de nous échanger de l'argent contre les minéraux. Il sortit sa bourse, puis marchanda avec Fantôme.

Un peu ennuyée par ses transactions, je me mis à regarder autour de nous. J'avisai, non loin, une silhouette, dans un recoin, qui semblait nous regarder. J'étais sur le point d'aller voir, lorsque la fillette attira mon attention : elle avait fini sa transaction. Je mis l'or dans mon sac puis, fières de nous, nous reprîmes le chemin du refuge des orphelins, parmi les éclats de rire.

Soudain, une voix nous fit sursauter:

-Cet or... donnez-le moi.

Un homme se tenait derrière nous... Enfin, pas vraiment un homme. Il ressemblait plutôt à... une créature vraiment laide... et à l'odeur nauséabonde. Je fronçai le nez, tout en changeant sensiblement ma position, me plaçant de sorte à me trouver à demi de profile par rapport à lui. Une lame brilla, puis il insista:

-Vous me donnez l'or, ou je vous écorche.

Fantôme poussa un cri lorsqu'il se saisit violemment d'elle, plaquant son épée contre sa gorge.

-T'as pigé, petite? Tu me donnes l'or ou je lui tranche la tête.

Doucement, je fis glisser mon sac dans ma main. Puis, sans quitter l'homme -ou l'orc, il me semblait que c'était un orc- des yeux, je commençai à défaire le noeud qui le maintenait fermé avec ma main gauche. La droite soutenait le sac, par en dessous... et, en même temps, cachée par celui-ci, elle se saisissait du poignard qui était accroché à ma cuisse, caché par ma cape.

-Pause le sac par terre et mets-y les deux mains, j'ai pas toute...

Il ne finit jamais sa phrase. Laissant brusquement tomber mon sac, j'avais lancé ma lame vers lui dans un mouvement vif, et elle venait de se ficher dans sa gorge, passant au dessus de la tête de la petite Fantôme. La créature s'effondra dans un gargouillis. Déjà, j'étais aux côtés de la fillette, qui sanglotait doucement.

-Viens là... Je te ramène.

La tenant par la main, je la ramenai jusqu'au repaire des orphelins, où je lui confiais l'or et la laissai entrer seule. J'aurais voulu la serrer dans mes bras mais ne l'osai pas, de peur qu'elle ne sente la froideur de mon corps. Lorsque la pierre se fut refermée sur elle, je regagnai le chemin qui menait chez moi. Pour la première fois depuis longtemps, mon esprit était occupé par quelque-chose d'autre que le couple vampirique... Je pensais à Fantôme, en espérant qu'elle se remettrait vite de ses émotions.
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Message  Aëleen Jeu 24 Sep 2015 - 17:56

Lorsque je m'éveillai la nuit suivant, la première chose que je remarquai fut le bruit de la pluie. Parfait. J'allais pouvoir me dépoussiérer un peu. Je sortis de mon refuge et récupérai, au sommet d'un pan de mur encore debout, un saut que j'avais placé là à dessein. J'utilisai une partie de l'eau qu'il contenait pour me laver à peu près, puis versai le reste dans mes cheveux, espérant les nettoyer un minimum. Je replaçai ensuite le seau, dont je pourrais utiliser le contenu pour laver mes vêtements.

Après m'être préparée, je quittai mon repaire pour m'enfoncer dans les rues et me rendre jusqu'à l'entrée du souterrain. Là, je m'assis, sourire aux lèvres. Ça faisait tellement du bien d'avoir vraiment quelque-chose à faire, d'avoir quelqu'un à voir, de ne pas simplement me promener au hasard des rues! Au bout de quelques minutes d'attente, la pierre bascula et une tête blonde émergea de l'escalier. Les yeux bleus se fixèrent sur moi et, avant que j'ai pu bouger, la fillette vint s'asseoir à mes côtés.

-Merci Aëleen.
-C'était normal. Ça va mieux?
-Oui. J'ai eu peur, mais là c'est parti. Regarde, j'ai ça pour toi.

Elle me tendit un petit poignard, que je reçus avec de grands yeux. Cela faisait longtemps qu'on ne m'avait pas fait de cadeau! L'arme était toute petite et fine, idéale pour la cacher dans ma botte et la dégainer par surprise au cas où quelqu'un m'aurait désarmée. La lame semblait de bonne facture, et le manche était joliment orné. Je baissai la tête pour remercier la fillette, et, après avoir rangé l'arme, je pris Fantôme dans mes bras. Tant pis pour ma froideur. Il fallait espérer qu'elle mette ça sur le compte de la pluie.

-Je vais tout faire pour que tu viennes avec nous, me promit-elle.

Nous nous séparâmes ensuite. Elle avait des choses à faire et moi je n'avais rien à apporter aux orphelins. Je me mis donc à la recherche d'un repas. Le dernier m'ayant laissée sur ma faim, je cherchai quelque-chose de plus conséquent. La chance me sourit et, en traversant un parc, je tombai sur un jeune couple en train de se câliner tendrement. Tant qu'ils en étaient encore aux câlins...

Je m'approchai en silence et me jetai d'abord sur la jeune fille. Bondissant sur elle, je la fis rouler dans l'herbe et en profitai pour planter mes crocs dans sa gorge. Elle hoqueta lorsque sa chair se déchira, et le doux nectar emplit ma gorge. C'était tellement bon... Je fus coupée dans ma dégustation par le jeune homme, qui s'était jetée sur moi et tentait de me séparer de son amie. Je l'avais déjà presque oublié...  Je me laissai rouler sur le côté, avant de sauter sur lui. Je visai directement le cou où mes canines causèrent une plaie sanglante. Je me mis à boire tandis qu'il luttait pour se dégager, faisant pleuvoir sur moi des coups auxquels je faisais à peine attention. Tout ce qui m'intéressait, c'était ce flot vital qui passait de lui à moi et m’enivrait. Toutefois, j'avais gardé assez de contrôle pour le relâcher lorsqu'il cessa de se débattre. Je le déposai alors délicatement dans l'herbe. Il était dans un état comateux, et ne tenta pas de se relever.

Je retournai à la fille. Elle n'avait pas bougé, et gémissait faiblement, une main plaquée contre sa plaie. J'hésitai. Boire ou ne pas boire? Ma soif était étanchée. Toutefois, j'avais encore un peu de place, et il aurait été dommage de gaspiller ce sang.

-Pi... pitié laisse-moi. Va...-t-en.

Dure décision. Elle devait être un peu plus vieille que moi, et avoir entre seize et dix-huit ans. Peut-être le jeune homme était-il son fiancé. Ou peut-être que ses parents voulaient la marier à un autre, et qu'elle le voyait en secret. Mais, plus fort que ma compassion, le sang m'appelait. Le liquide, sur son cou pâle, était si rouge... Son odeur était si envoûtante... Je me penchai sur elle, lui saisis délicatement les poignets, et me mis à laper, tout doucement, sa plaie.

Un léger bruit, derrière moi, me fit soudain me retourner, lâchant ma victime. J'observai les alentours, aux aguets. Quelqu'un m'avait-il surprise? Toutefois, je ne vis personne. Sans doute était-ce simplement la pluie ou le vent dans les feuillages des buissons du parc. Arrachée à ma sanglante fascination, je pris la décision de laisser tranquille la fille, et me détournai. Maintenant, je n'avais plus rien à faire. Je marchai quelques temps au hasard des rues, puis grimpai sur un toit, d'où je me mis à contempler les étoiles, perdue dans mes pensées. Ma mère les regardait-elle aussi? Pensait-elle encore à moi? Avait-elle changé? Pris un peu d'âge? Je regardai mes mains. Moi, je ne changeais plus. Quand je croisais mon reflet, cela m'effrayait presque, non pas à cause de la saleté à laquelle la rue me condamnait, mais à cause de ce corps, parfaitement identique à celui que j'avais lorsque j'avais été transformée. Cela faisait combien de temps... Un an? Deux? Trois? Je n'avais aucun moyen de le savoir, parce-que je ne changeais pas. Pas du tout. Je restais dans cet espèce d'entre deux entre l'enfant et l'adulte, entre la fillette et la jeune femme. N'aurais-je pas pu avoir, à ma transformation, juste quelques années de plus? Histoire de ne pas passer l'éternité à avoir l'apparence d'une gamine? A peine quinze ans, et petite pour mon âge. J'avais toujours fait un peu plus jeune. Je serrai mes bras autour de ce corps à jamais frèle, qui ne deviendrait jamais celui d'une femme, et rentrai ma tête entre mes genoux.

Lorsque je remarquai que le ciel s'éclaircissait, j'eus, comme souvent, une hésitation. Il aurait été si simple de demeurer ici, à attendre le soleil. Il m'aurait libéré de mon ennui, de ma souffrance, de cette soif de sang idiote... Et de ce corps qui ne devait jamais plus vieillir. Je secouai la tête. J'avais une vengeance à accomplir. Je devais tuer ceux qui avaient séduit puis tué mon père, ceux qui m'avaient arrachée à ma vie. Et puis... Je n'étais plus toute seule. Il y avait Fantôme. Et, avec elle, tous ces orphelins. Je souris timidement à la lune, puis rentrai me coucher.
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Les orphelins des rues (analepse) Empty Re: Les orphelins des rues (analepse)

Message  Aëleen Ven 25 Sep 2015 - 18:07

En rentrant, j'allai chercher le seau d'eau, qui s'était de nouveau rempli, et tentai de nettoyer mes vêtements, frottant de toute ma force. Je détestais être sale... Mais, souvent, je n'avais pas vraiment le choix. Puis j'étendis mes vêtements et me roulai en boule afin de dormir. Mes pensées volèrent vers les souterrains où se terraient les orphelins. Je me demandais comment ce pouvait être de vivre là-bas, avec tout ce petit monde... Je m'endormis en tentant d'imaginer leur mode de vie.

Je m'éveillai avec le coucher du soleil. A l'extérieur, la pluie avait cessé. Après m'être donnée un coup de brosse, je m'adonnai quelques temps à la musique, jouant quelques musiques que je connaissais, tout en m'accompagnant de ma voix. Puis je rangeai ma lyre et me préparai à sortir. Une fois à l'extérieur, j'hésitai. Devais-je aller chercher de la nourriture afin d'aller la proposer aux orphelins en échange d'un de leurs objets volés? C'était ça ou... Je chassai de ma tête l'envie d'aller voir ce que faisait ma mère. Une fois là-bas, je savais que la tentation de me jeter dans ses bras serait trop forte. Or, il ne fallait pas que je me montre à elle. Une barrière infranchissable me séparait de celle qui avait été sa fille. La barrière qui sépare la mort de la vie.

Je me mis donc à parcourir les rues, jetant de temps en temps des coups d'oeil aux fenêtres des maisons. On ne savait jamais. Peut-être retrouverais-je ainsi le couple qui avait tué mon père et avait fait de moi une créature de la nuit. A défaut de les trouver, je finis par entrer dans une modeste demeure, et me faufilai dans son garde-manger. Celui-ci était peu fourni, mais cela faisait tout de même l'affaire. J'étais un peu honteuse de dérober leur subsistance à des personnes pas très riches... Mais je me rassurai en leur laissant leur viande et en prenant uniquement les légumes et le pain, qui étaient moins chers. Ils seraient sans doute furieux et inquiets, mais s'en sortiraient tout de même. Il leur faudrait simplement faire attention quelques temps à leurs dépenses... Mais tout rentrerait vite dans l'ordre. Les orphelins, eux, avaient vraiment besoin de cette pitance.

Je pris le chemin des souterrains et, une fois arrivée, m'assis, sans même réfléchir. Me rendant compte de cela, je souris. Je prenais vraiment l'habitude. Il faudrait pourtant que je la perde, lorsqu'ils m'auraient confié le code qui faisait que le patron ouvrait l'entrée. Cette fois-ci, il me fallut attendre plus longtemps que d'ordinaire. Je commençais à me demander si je n'allais pas plutôt vaquer à d'autres occupations, lorsque la pierre pivota enfin. Je croisai le regard de Patte Vive, qui se posa sur moi, peu aimable. Voulant montrer ma bonne volonté, je lui adressai un sourire et lui désignai mon sac en disant:

-Je rapporte à manger!

Je voulais lui faire comprendre que je voulais repartir sur de bonnes bases avec lui. Mais malgré mon accueil, il me toisa d'un air méfiant. Il avait presque l'air de moins m'apprécier encore que la dernière fois où je l'avais vu. Cela éveilla mes soupçons, et mon sourire se fana instantanément.

-T'es bizarre. Tu viens tout le temps donner à manger, et prendre des trucs. C'est quoi ton soucis. Tu manges pas, toi?

J'arquai un sourcil, un peu perdue. Quoi, c'était ça qui l'énervait? Le fait que je leur apporte ce dont ils avaient besoin? Ce garçon avait vraiment le don de se montrer agaçant. D'accord, j'avais peut-être manqué de jugeote en leur apportant toujours de quoi manger, et en repartant avec des objets... Mais je pouvais très bien être très habile pour chasser, et ainsi n'avoir pas besoin de voler de nourriture. Ils avaient bien vu l'oiseau que j'avais tué, puisqu'ils me l'avaient pris. J'allais répliquer cela, lorsque Patte Vive me devança:

-Ou alors, peut-être que tu manges autre-chose.

Je n'aimais pas la façon dont il avait prononcé ces derniers mots. On aurait dit qu'il... sous-entendait quelque-chose. Je commençai à hésiter à rebrousser chemin. Ça n'avait peut-être pas été une bonne idée de venir ici.

-Bref. Viens en bas. On t'attend... En quelque sorte.

Une bouffée d'espoir monta en moi. Peut-être était-ce simplement pour cela qu'il était désagréable. Peut-être que j'avais été acceptée, et que ça ne lui plaisait pas... Toutefois, ses derniers mots me refroidirent. "En quelque sorte". Qu'avait-il voulu dire par là? Je le suivis dans les marches et, d'un geste nerveux, effleurai du bout des doigts le manche d'un de mes poignards. J'avais l'impression de pénétrer dans la gueule du loup.

Lorsque nous traversâmes la salle, mon impression fut renforcée. Les enfants chuchotaient, et se taisaient sur mon passage, tout en détournant le regard. Certains s'écartèrent même, comme s'ils avaient... peur. Quelque-chose ne tournait pas rond. Ce fut avec la coeur serré que je franchis le drap. Là, le patron m'attendait, Fantôme à ses côtés. Je cherchai le regard de la fillette... qui sembla voir à travers moi, et s'adressa à Patte Vive, qui me suivait:

-Elle a pas essayé de te faire de mal?

Celui-ci lui fis non de la tête. Je m'arrêtai, interdite. Lui faire du mal? Comment ça lui faire du mal? Qu'est-ce qui lui prenait, tout à coup? Qu'est-ce qui leur prenait, à tous?

-Je... je... balbutiai-je.

Mais ma voix se brisa. Une peur terrible s'emparait de moi, me figeant petit à petit en une statue de glace. Les trois jeunes gens se tenaient face à moi. Fantôme, le regard fixé sur le Patron. Les deux autres me regardant, moi, l'un grave, l'autre accusateur. Le Patron prit la parole:

-Nous avons délibéré de ton cas, et sommes parvenus à une conclusion. Tu peux continuer à nous porter à manger si tu le souhaites, en échanges de bien. Mais pas ici. Ces portes, à partir de maintenant, te sont définitivement fermées.

Sa voix était solennelle. Sa voix, empruntée. Il avait dû répéter sa petite tirade. J'avais la furieuse envie de lui faire ravaler ses belles tournures à coup de poings, et de planter mes crocs bien profondément dans sa gorge, le rendant à jamais capable d'utiliser ce petit ton autoritaire. Je n'en fis rien, par égard pour Fantôme, et il continua:

-Tu ne satisfais pas aux critères requis pour faire partie des nôtres. Pars, maintenant.

Un rire glacial s'échappa de ma gorge.

-Tu crois vraiment que tu peux me faire partir comme ça? Mais t'es optimiste, dis-moi. Moi, je décide que je reste. Et je bougerai pas avant qu'on m'explique.

Pour appuyer mes paroles, je m'assis au sol, serrant mon sac contre moi. L’aîné ne sembla pas se démonter pour autant. Il quitta sa voix de chef, et s'accroupis en face de moi, plantant son regard dans le mien.

-Arrête de faire ta gamine capricieuse. Je t'ai dit de partir, tu pars, c'est clair, non?
-Je suis pas une gamine capricieuse. Je veux des explications. Je partirai quand je l'aurai décidé.

Nos regards s'affrontèrent, oeil noir dans oeil vert. Aucun ne voulait céder. Finalement, au bout de quelques minutes, il finit, sans toutefois détourner les yeux, par ordonner:

-Fantôme et Patte Vive, vous m'attendez dehors. Vous revenez que quand je le dis.

Il y eut un moment de flottement, puis je vis du coin de l'oeil Patte Vive entraîner une Fantôme réticente à l'extérieur. Une fois que nous fûmes seuls, je lançai au garçon:

-Bon, maintenant, tu m'expliques pourquoi Fantôme a l'air de me détester d'un seul coup alors qu'hier elle me promettait de tout faire pour que je vienne? Tu lui as ordonné d'être méchante? C'est quoi ton plan? Tu veux te venger, pour le couteau?

A ma grande surprise, le Patron se mit à rire, puis finit par me répondre:

-Pour le couteau, j'avais trouvé ça chouette. T'es plutôt impressionnante. Je pensais vraiment te prendre avec nous... Mais c'est Fantôme qui veut plus. Et moi, si mes deux seconds disent non, je vais pas dire oui. Ca va faire de la discorde.

Il se moquait de moi. C'était évident.

-Et pourquoi Fantôme dirait non? Elle m'aime bien!

Ma voix avait un peu déraillé sur la dernière affirmation. Etant donné son comportement, je n'étais plus très sure de ce que j'avançais. Ma voix s'était presque fait désespérée.

-Bah, il paraît que t'es un genre de monstre. Comme tout le monde ici est au courant, je peux vraiment pas t'accepter. Je suis désolé. Tu veux bien partir, maintenant?

Mon coeur sembla chuter dans ma poitrine. Comment...?

-Elle a dit quoi, exactement?

Je devais savoir. Savoir ce qu'elle savait, au juste. Savoir à quel point elle avait compris ce que j'étais. Savoir... s'il me restait une chance de m'expliquer.

-Je sais pas trop. Elle est revenue en pleurant. Elle a dit que t'étais un monstre. Elle a dit que tu mangeais les gens, ou un truc comme ça. Elle était dans tous ses états, j'ai pas bien compris.

Je baissai les yeux. Elle... m'avait vu. Elle avait dû me suivre, lorsque j'étais allée chasser. Le bruit que j'avais entendu... C'était sans doute elle, la discrète Fantôme, lorsqu'elle s'était décidée à fuir la scène. Je luttai pour ne pas m'effondrer, là, maintenant, en sanglots. Je me relevai, vacillante, et soulevai le rideau, entendant à peine la voix du Patron, qui semblait s'inquiéter de mon état. Qu'il se garde sa sollicitude. J'étais à peu près certaine que c'était lui qui l'avait envoyée me suivre, pour mener l'enquête sur la nouvelle recrue.

Une fois dans la salle, je cherchai Fantôme du regard. Il fallait que je lui parle. Absolument. J'entendis soudain quelque-chose voler vers ma tête et esquivai, par reflexe. Un caillou alla s'écraser contre le mur. Un autre projectile vola vers moi, que j'esquivai encore, puis  un autre m'entailla la joue. Je tentai de reculer, à l'aveuglette, les yeux brouillés de larmes, ne comprenant pas ce qui se passait... Mais je fus vite stoppée par une averse de cailloux, de pierres et, parfois, de couteaux, qui volaient sur moi, me coupant de toutes parts. Je demeurai là, ébêtée, comprenant soudain que c'étaient les enfants qui, me prenant par un monstre, s'étaient tous armés et me jetaient tout ce qu'ils pouvaient dessus. Alors que j'affrontais leurs coups sans bouger, une voix résonna soudain, les faisant cesser:

-Arrêtez ça immédiatement.

Je me retournai. C'était le patron qui, entendant sans doute la clameur qui s'était mise à enfler, était sortie de son antre. Il vint passer un bras derrière mon dos, puis m'entraîna vers l'entrée. Je me laissai emporter. Mon esprit s'était fait flottant. J'arrivais à peine à penser. Je ne voyais plus où je mettais les pieds. Tout ce que je sentais, c'étaient mes yeux brûlants, et cette douleur dans la poitrine... Pourquoi, même mort, avait-on encore mal au coeur?

-T'es glacée, tu sais.

J'ignore pourquoi, sa remarque me fit rire. Sans doute parce-qu'elle était à la fois tellement hors sujet, et pourtant tellement appropriée... Une fois dehors, il me fit asseoir par terre, puis me demanda:

-Bon, tu vas réussir à rentrer chez toi?

Il s'inquiétait pour moi. Et il m'avait protégée. C'était bizarre, quand on y pensait. Un humain protégeant un vampire... Peut-être qu'il m'aimait bien? Ses yeux noirs étaient plutôt jolis. Et le sourire qu'il me fit également.

-Moi, tu sais, peut m'importe que tu sois un monstre... Tant que tu es honnête dans les transactions. Je peux te donner des lieux de rendez-vous. Les enfants viendront t'y retrouver.

Ah. En fait, ce n'était pas qu'il m'aimait bien... C'était la nourriture que j'apportais. Il me demanda si je voulais lui échanger le contenu de mon sac contre un collier, me prouvant ainsi que la deuxième option était bien la bonne. J'acceptai, incapable de toute façon de réfléchir. Puis, après m'avoir souhaité une bonne nuit, il rentra, et la pierre se referma derrière lui. Alors, comme une somnambule, je pris le chemin du retour, et m'affalai sur mon couchage, où je m'enfonçai aussitôt dans les ténèbres de l'inconscience.
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Message  Aëleen Sam 26 Sep 2015 - 14:16

Je m'éveillai avec l'étrange sensation qu'une chape de brume s'était infiltrée en moi. Au départ, ce fut juste une impression diffuse, sans objet, mais qui annonçait déjà que j'allais passer une mauvaise journée. Pendant un moment, je demeurai fixée sur mes simples sensations, refusant de reprendre tout à fait conscience car alors, la raison de cette tristesse que je sentais vaguement me frapperait de plein fouet. Mais le processus de réveil était entamé, et les souvenirs revinrent. Je sortis tout à fait du sommeil, et tout me revint en même temps. La nuit précédente. Fantôme, si distante. Le Patron qui m'en expliquait la raison. Les enfants, me jetant des objets dessus. Le Patron, me raccompagnant jusqu'à la sortie. Je me roulai en boule et me mis à pleurer, le corps secoué de longs sanglots.

Ce ne fut que plusieurs heures plus tard que je me décidai à me glisser hors de la fissure. Je n'allai pas loin, grimpant simplement sur le pan de mur sur lequel je posais mon seau. J'avais pris ma lyre avec moi, et commençai à en faire vibrer les cordes en regardant le ciel nocturne. Le seul ciel que je puisse contempler sans être définitivement tuée.

-Petit fantôme si discret
Aux cheveux blonds comme les blés
Toi qui aimais quand je chantais
Je ne veux pas t'abandonner.
De tes yeux bleus tu as surpris
Le monstre horrible que je suis
Une enfant-morte qui la nuit
Du sang des vivants se nourrit.
Mais, cher petit fantôme pâle
Je ne veux pas te faire de mal
Je t'en prie ne sois pas glaciale
Car sur mon coeur tu jettes un voile.
Si tu le peux, pardonne-moi
Je te prouverai que j'ai là
Un coeur qui bien sûr ne bat pas
Mais qui est attaché à toi.


Je terminai ma chanson sur une dernière note triste et levai sur les étoiles un regard décidé. J'allais aller voir Fantôme, et essayer de lui faire comprendre que je n'étais pas ce qu'elle croyait. Je bondis du toit, et me réceptionnai souplement au sol. Après avoir rangé ma lyre, je pris ma forme de panthère. Noire dans la nuit noire, je m'enfonçai dans les rues de la ville. La chance me sourit, et je tombai assez rapidement sur Fantôme, qui suivait à quelques distances un couple visiblement riche, attendant le moment propice pour agir. Je la laissai faire son coup, puis repris ma forme humanoïde et m'approchai d'elle en l'appelant. Elle se retourna d'un bloc, et pâlit en me voyant.

-Fantôme, s'il te plait, laisse-moi te parler, je te jure que je veux pas te faire de mal, je...
-Va-t-en!
-Mais, non, s'il te plait, laisse-moi au moins parler tu... tu jugeras après.

La fillette secoua violemment la tête et me fixa de ses yeux clairs, où se mêlaient la crainte et la colère.

-Tu t'en vas, j'ai dit! Tu es horrible! Je ne veux plus te voir! Tu n'es pas mon amie! Tu es une traître!
-Je te jure que non... J'ai jamais voulu te trahir. Je voulais pas te faire de mal. Je t'ai défendue avec l'orc.
-Tu l'as tué, comme tu as tué les deux personnes dans le parc. Je t'ai vue! La fille était terrifiée, et toi tu as...

La fillette s'interrompit, secouée d'un sanglot. Dans ses yeux, je pouvais voir toute l'horreur que la scène lui avait inspirée. Elle me regardait comme si, à tout moment, je pouvais lui sauter dessus. Des larmes emplissaient ses yeux bleus et en débordaient régulièrement, silencieuses perles.

-Fantôme, je les ai pas tués. Quand tu t'es enfuie, je me suis retournée, et après j'ai laissé la fille tranquille, promis. Je les tue jamais. C'est juste que... Je suis obligée de faire ça tu comprends? Je dois boire du sang pour survivre. Je peux rien manger d'autre. Si je le fais pas, si comme si je mangeais pas : je meurs.
-Bah si j'étais toi, je mourrais! C'est horrible de boire le sang des gens! Tu es un monstre! Et puis ça changerait rien que tu meures, parce-que t'es même pas vivante. C'est Oeil d'Aigle qui me l'a dit! Il m'a dit que c'est les vampires qui boivent du sang, et que les vampires, ils sont morts, mais c'est une mauvaise magie qui les garde en vie. Il a dit ils sont beaux, et tu les aimes bien, et après ils te tuent parce-qu'ils aiment pas les gens qui vivent! Il m'a montré une photo dans un livre, et c'est des monstres, et en plus des monstres morts! Les morts, ça devrait rester mort. T'es une créature de Méphiti, et je veux plus jamais jamais que tu t'approches de moi!

Sur ces mots, Fantôme partit en courant, me laissant désemparée. Ainsi, elle avait compris ce que j'étais. C'était un portrait peu flatteur des vampires qu'on lui avait rapporté, et quelque peu biaisé... Je n'avais rien contre les vivants, et je n'avais pas l'impression d'être animée par une mauvaise magie. De plus, je ne vénérais absolument pas Méphiti. Ma mère, elle aimait particulièrement Théno, car elle me racontait que c'était grâce à lui que les plantes poussaient. De ce fait, moi aussi j'avais toujours bien aimé m'en remettre à lui même si, depuis que j'avais été faite prisonnière puis changée en vampire, je n'avais plus vraiment eu l'occasion de réfléchir à tout cela.

Je baissai la tête, luttant contre une nouvelle vague de chagrin. Cette fois, c'était bel et bien terminé. Il me fallait respecter le choix de la fillette de ne plus me voir... même si cela me semblait très difficile. J'avais tellement envie de la chercher, puis de tenter de lui expliquer encore les choses. Lui dire que je n'avais pas eu le choix. Lui expliquer que je souffrais énormément de ce que j'étais devenue. Mais ce que j'avais vu dans ses yeux me retins. Je lui faisais peur. Pire, je l'horrifiais. Elle était à la fois dégoûtée et terrifiée par moi. Et, dans un sens, je la comprenais.

Je rentrai chez moi de façon mécanique, me laissant porter par mes pas. Qu'allais-je faire désormais? J'avais commencé à fonder des espoirs par rapport aux orphelins. Je m'étais même projetée, m'imaginant faire partie du groupe... Ce qui avait été idiot. Qu'avais-je cru ? Que personne ne remarquerait que j'étais un vampire ? Ou alors qu'ils l'accepteraient ? Je secouai la tête. Aucune personne saine d'esprit n'aurait accepté de vivre avec un monstre. Quand à ne pas le remarquer... C'était tout aussi idiot. Je ne sortais jamais le jour. Je ne mangeais pas. J'étais glacée. Je ne veillissais pas. Tôt ou tard, il m'aurait fallu les quitter. Alors mieux valait que ce soit tôt, avant de trop m'attacher. Une larme perla du coin de mon œil. J'étais déjà attachée. Tout du moins à Fantôme. Ne plus devoir la voire me rendait atrocement triste... Mais je n'avais pas le choix.

Sur le chemin du retour, je tombai sur deux femmes riches, quelque-peu éméchées, qui riaient fort. Je me portai vers elle, et demandai :

-Bonjour, mon maître m'a envoyée porter un message à un couple de ses amis, mais voilà, visiblement ils ont changé de maison. Je les ai déjà vu, ils sont tous les deux assez frappants, parce-qu'ils sont vraiment très élégants, ils ont bon goût, et ils ont un je ne sais quoi de vraiment fascinant. La femme s'appelle Nelra, et l'homme Jaitho. Vous les auriez jamais vu ?

Les deux femmes semblèrent réfléchir, puis l'une des deux me répondit :

-Non, cela ne me dit rien. A mon avis, tu ferais mieux de rentrer voir ton maître, et de lui dire simplement qu'ils ont déménagé, plutôt que de lui faire perdre son temps en courant les rues. De plus, à cette heure-ci, elles sont bien dangereuses pour une petite servante comme toi.

Je m'inclinai maladroitement, et répondis :

-Oui Madame, vous avez raison, je vais rentrer. Merci Mesdames, bonne soirée !

Puis je déguerpis. Encore râté. Je revins chez moi, un peu déçue, mais pas découragée. Un jour, je les retrouverais. Un jour, je me vengerais. Les vampires ne perdaient rien pour attendre.
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