Rien n'a changé

Après avoir traversé Luvet et les deux fleuves Janesse et Tijaronhe, Alissa arriva à Olderve. Une assez jolie ville à mi-chemin entre Tacomnal et ce maudit village de Halfelin perdu dans la plaine des rois. Olderve était construit dans le style architectural Tacoman, la vampire semblait émerveillée. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas vu de vraies solides constructions en pierres consolidées par du bois ... Cela lui rappelait son enfance.

Quoi qu'il en soit, elle avançait entre les maisons éclairées par le clair de lune. Toutes les lumières de cette ruelle étaient éteintes, pas une torche oubliée, pas un garde qui rôdait. C'était vraisemblablement une partie de la ville relativement tranquille, où bien trop dangereuse pour que quiconque ne s'y aventure. Alissa atteint ce qui semblait être une petite place formant un petit carrefour entre trois rues. Des torches était disposées en cercle et en son centre une magnifique fontaine se dressait. La vampire s'en approcha et s'assit sur le rebord de cette dernière, profitant du calme et de la fraicheur de la nuit pour se reposer.

Malgré tout, elle avait faim et ses fioles de sang étaient totalement vides. Il fallait qu'elle tue à nouveau. Elle observa autour d'elle, les maison étaient assez haute mais on pouvait en atteindre le toit facilement. Elle se leva et se lança vers la première maison sur sa droite. Une ancienne bâtisse à deux étage. Elle grimpa jusqu'à une des fenêtres du premier étage et tenta de l'ouvrir avec ses lames.

Mais en contrebas, dans la rue ou dans un autre bâtiment, elle sentait une présence, pas forcément humaine. S'était-elle faite repérée ?

J’avais marché longtemps en solitaire, à travers tout Orcande. J’avais traversé de nombreux villages, villes et hameaux, sans jamais atteindre mon but, trouver quelqu’un susceptible de me comprendre. Un jour, j’avais rencontré un vampire qui m’avait accompagné un temps, mais la dépression au bord de laquelle tous les vampires se trouvaient avait eu raison de lui, et il s’était suicidé au soleil, qui lui manquait. Depuis, je n’avais jamais vu d’autre vampire, ni personne qui ne m’ait rejeté.

Olderve était la prochaine ville sur mon chemin, une assez jolie ville Tacomane. J’étais arrivé quelques jours auparavant, et avais trouvé refuge dans une auberge dans laquelle heureusement personne n’avait constaté que J’étais un vampire. Je me faisais toujours passer pour un barde itinérant avec mon violon, pratique plutôt courante en Orcande. Toutes les nuits où je ressentais la soif, je sortais et jouais du violon dans la rue, ce qui ne manquait pas d’attirer de jolies demoiselles sous le charme. Je n’aimais pas particulièrement faire cela, manipuler les autres, mais ainsi je pouvais me rassasier en sang sans attirer l’attention, les jeunes filles se laissaient faire sans faire d’histoires.

Ce soir, je sortais une nouvelle fois jouer dehors, uniquement pour le plaisir de la foule car j’étais rassasié. C’était rare pour moi de rester longtemps au même endroit, mais si je voulais traverser la vallée des rois par la suite, je devais me préparer correctement. Je marchais dans les rues, cherchant un endroit favorable quand je sentis quelque chose. En levant les yeux, je vis une ombre grimper sur les toits. C’était assez courant que des assassins parcourent les rues, mais quelque chose chez cette silhouette attira mon attention : elle se déplaçait gracieusement, de manière aérienne. Que faisait-elle, a tenter d’ouvrir la fenêtre par effraction ? La ruelle était déserte, personne ne la verrait, et puis quelque chose dans sa silhouette me rappelait une chose, sans que je sache quoi.

"Que fais-tu là?"

Presque.

Elle y était presque. C'était sans compter sur cet homme qui l'interpella :

- Que fais-tu là?

Alissa, surprise, fit tomber une de ses dagues. Merde ..! La lame tomba aux pieds de ce mystérieux inconnu. Alissa se retourna et sauta de la fenêtre pour se retrouver en face de lui. Elle esquissa un sourire forcé pour témoigner de la méprise qu'elle avait pour cet homme qui venait de la déconcentrer. Elle allait se contenter de son sang à lui, du coup, dommage pour lui. Puis son sourire s'effaça. Son odeur. Il ne sentait pas comme tout ces humain plein de vie. Une quasi imperceptible odeur de mort émanait de ce personnage. Un vampire.

- Ca ne se voit pas ? Je récupère ce qui est à moi.

Alissa récupéra sa dague, plantée dans le sol entre deux pavés. Et la remonta sous le menton du vampire. Elle approcha son visage du sien et, avec le regard le plus menaçant possible, lui retourna la question :

- Et toi ? Qu'est-ce que tu fais ici ?

L’inconnu laissa tomber une dague quand je l’ai hélé, alors il sauta de son perchoir pour atterrir devant moi. C’était manifestement une femme, et elle ne semblait pas avenante du tout à en juger par son expression. Qui plus est, elle ne dégageait pas cette odeur pleine de vie de ceux qui, contrairement à moi, ont encore du sang circulant dans leurs veines. Etait-elle aussi un vampire ? Je me disais que oui, certainement.

"Ça ne se voit pas ? Je récupère ce qui est à moi."

Une réponse froide, détachée, celle d’une tueuse à n’en pas douter. Elle dégageait cette aura charismatique propre à ceux qui ont reçu la même malédiction que moi. Mais elle semblait être radicalement différente de l’autre vampire que j’avais rencontré plus tôt, que ma sœur, ou encore que moi. Peut-être que je me trompais, je ne voulais pas la juger trop vite.

Elle ramassa sa dague tombée, et la plaça sous ma gorge, se faisant plus menaçante, mais je ne la craignais pas. Elle approcha son visage du mien, elle avait un beau visage, comme tous ceux de ma race à vrai dire. Elle me menaçait clairement, mais je soutenais son regard avec détachement.

"Et toi ? Qu'est-ce que tu fais ici ?"
"Moi ? Je me promène, voilà tout. Et je t’ai vue à cette fenêtre, alors je voulais savoir ce que tu faisais."

Je regardais son arme également, elle ne me faisait pas peur, j’avais toujours ma lame sanglée dans mon dos, et même sans cela, j’avais des aptitudes… Je concentrais ma volonté sur le froid qui régnait dans mon corps, et le laissait se diffuser à l’extérieur. La température autour de moi baissait, signe que mon pouvoir entrait en action. Je n’étais pas sans défense.

"Baisse ton arme, c’est un conseil."

- Moi ? Je me promène, voilà tout. Et je t’ai vue à cette fenêtre, alors je voulais savoir ce que tu faisais.

Alissa leva un sourcil, elle était étonnée par le calme de cette réponse qu'elle n'attendait pas. Elle voulait juste lui faire peur, que ce mec se tire et la laisse tranquille afin de se rassasier en paix. La vampire le fixait sans savoir que dire et elle sentit une certaine puissance en cet inconnu.

- Baisse ton arme, c’est un conseil.

Elle baissa doucement sa lame en faisant un pas en arrière, manifestement, il avait l'air plus fort, du moins d'esprit, qu'il n'en paraissait au premier coup d’œil. Elle commença à s'amuser en faisant passer sa dague entre ses doigt tout en ajoutant d'un ton volontairement ironique:

- Je voulais simplement te tester, ne prend pas la mouche.

Mais la soif de sang grandissait en elle. Elle avait l'impression que cela allait prendre le dessus sur sa nonchalance habituelle. Et c'était pas bon pour le social. Elle rangea sa lame à sa ceinture baissa son masque et ôta sa capuche avant de se rapprocher du vampire en l'attrapant par les épaules pour lui demander désespérément :

- Je t'en prie, tu n'aurais pas de quoi calmer "notre soif" ? Je sais que je ne devrais pas te demander ça et je ne suis même pas sure que tu sois comme moi - au quel cas, je devrais te tuer - mais je t'en prie, j'en ai besoin.

Son regard saphir, habituellement si doux et paradoxalement sévère n'était plus que celui d'une folle aux  yeux gorgés de sang.

Elle aurait dû ressentir le froid autour de moi, pas une température insupportable, ce que j’étais capable de faire aussi, mais juste une fraicheur. Mais elle l’avait ignorée, c’était sans aucun doute un vampire pour qu’elle ne remarque pas le changement subtil, mais remarquable, de température. Elle recula, sage décision, je n’aimais pas la violence, mais je savais y faire au cas où on m’agresse. Elle se donna une contenance en faisant jouer sa dague entre ses doigts, elle était très confiante visiblement, presque hautaine également, comme ceux qui se croient meilleurs que tout le monde.

Je voulais simplement te tester, ne prend pas la mouche.

Elle changea soudain d’attitude, se rapprochant vivement de moi. Elle avait ôté son masque et son capuchon, elle était indéniablement belle, belle comme une vampire. Alors qu’elle paraissait si froide auparavant, elle avait maintenant l’air désespérée. Je connaissais ce regard, c’était celui d’un vampire en manque de sang.

Je t'en prie, tu n'aurais pas de quoi calmer "notre soif" ? Je sais que je ne devrais pas te demander ça et je ne suis même pas sure que tu sois comme moi - auquel cas, je devrais te tuer - mais je t'en prie, j'en ai besoin.

Notre soif… En plus elle venait de parler de me tuer, était-elle vraiment si froide ? Dans les premiers mois de mon voyage, j’avais constaté que la soif avait quelque chose d’aléatoire. Parfois je ne tenais que quelques heures, parfois deux jours, sans me rassasier. Alors même si je ne buvais pas toujours à la source, je prenais du sang à quelqu’un. Cependant, ce sang devait être frais, il ne se conservait pas, j’en avais fait la douloureuse expérience une fois.

Désolé, je n’en ai pas… Pas de frais en tout cas. Si tu en as tant besoin… On devrait aller t’en chercher.

Pourquoi lui avais-je proposé de l’accompagner ? Je ne sais pas. Peut-être espérais-je qu’elle soit le genre de personne que je recherchais, une personne capable de me comprendre, comme l’avait fait l’autre vampire… Avant son suicide.

Elle avait visé juste. C'était bel et bien un vampire. Mais malheureusement ..

- Désolé, je n’en ai pas… Pas de frais en tout cas. Si tu en as tant besoin… On devrait aller t’en chercher.

Alissa le regarda dans les yeux avec un air de chien battu un moment puis son expression revint à la normale, celle de la femme sûre d'elle. Elle le relâcha et s'éloigna de nouveau. Elle se reprit. Cette saleté de malédiction parlait à sa place. Elle se sentait ridicule. Elle s'éclaircit la gorge et reprit son air sérieux :

- Ahem.. Eh bien allons-y, je n'ai pas que ça à faire.

Elle masqua son visage à nouveau et regarda autour d'elle pour voir s'il n'y avait pas une cible potentielle. En plus de sa soif grandissante, elle avait, aussi, bien envie de tuer. Cela lui manquait. Elle jeta un œil dans chacune des trois rues. Personne dans la première. Un groupe d'homme était posté devant une taverne au fond de la deuxième et la troisième n'était pas assez éclairée pour savoir s'il y avait quelqu'un. Son choix ce porta donc sur cette dernière.

Trop honteuse de son comportement, la vampire s'adressa à l'homme sans le regarder, tout en entamant sa marche.

- Par ici !

Je la regardais, elle semblait confuse, malheureuse, fragile. Rien à voir avec l’expression qu’elle reprit à présent, de nouveau sure d’elle. On aurait dit qu’elle menait un conflit intérieur avec la soif, elle devait ne pas avoir bu depuis longtemps. Elle remit sa capuche et son masque, et s’éclaircit la gorge.

Ahem… Eh bien allons-y, je n'ai pas que ça à faire.

Pourquoi se conduisait-elle ainsi ? Je la vis scruter les ruelles environnantes, certainement à la recherche d’une proie. J’espérais que ça se passerait bien, qu’elle ne tuerait pas sa cible, malgré la soif. Je n’aimais pas tuer qui que ce soit. La race des vampires était connue pour être foncièrement mauvaise chez les humains, maintenant je savais que c’était faux, que ce n’était que des racontars, du moins je voulais le croire. J’étais peut-être une exception. Elle me tira de mes pensées en m’appelant.

Par ici !

Je lui emboitais le pas jusqu’à la porte d’une auberge faiblement éclairée. En regardant par la fenêtre, je vis un homme seul, la quarantaine, occupé à nettoyer des verres. Puis une seconde personne entra, une femme, surement mariée à l’homme. Elle venait d’une arrière-boutique, certainement les cuisines. Je regardais alors la vampire, dont je ne connaissais même pas le nom.

Il y a deux personnes dedans.

Quand les deux vampires arrivèrent devant la porte d'un établissement appelé "le lapin bourré", Alissa sut que c'était le bon endroit pour assassiner sa proie. Un rade avec un nom pareil ne devait pas avoir de client ou alors très peu.. Et ivres. C'était le lieu idéal. Le vampire qui l'accompagnait regarda à l'intérieur par la fenêtre. Peu de temps plus tard, il se recula et se tourna vers Alissa :

- Il y a deux personnes dedans.

Mieux qu'Alissa ne l'imaginait, elle pensait devoir faire preuve de discrétion et de stratégie élaborée afin qu'il n'y ait pas de témoin. Mais faisant peu confiance a son acolyte, elle regarda à son tour pour remarquer ... Qu'il disait simplement la vérité. Peu de gens sont honnête avec vous après que vous ayez tenté de les menacer, mais cet homme l'était. Il y avait donc un couple, seul, à l'intérieur. Elle dessangla son arbalète de poing et l'arma d'un carreau d'acier.

- Bon, pas de temps à perdre, tu t'occupes de la femme et moi de l'homme. Ne leur laisse pas le temps de crier, ça pourrait rameuter les voisins.

Alissa commença à s'avancer en direction de la porte et saisit la poignée, sans ouvrir. Elle se retourna de nouveau vers lui :

- Ah, et tâche de faire ça proprement, je déteste le gaspillage.

Elle regarda à son tour par la fenêtre, certainement parce qu’elle ne me croyait pas. J’étais une personne de confiance pourtant, mais ça, elle ne pouvait pas le savoir. Elle prépara son arme, une arbalète de poing, une belle pièce plutôt efficace je pense, surtout qu’elle devait savoir s’en servir avec brio. Elle se saisit de la poignée et se tourna vers moi.

"Bon, pas de temps à perdre, tu t'occupes de la femme et moi de l'homme. Ne leur laisse pas le temps de crier, ça pourrait rameuter les voisins. Ah, et tâche de faire ça proprement, je déteste le gaspillage."

Hors de question, je n’étais pas un monstre, et ses paroles me montraient qu’elle, devait en être un. C’était donc bien une tueuse. Je sortis mon épée longue des sangles dans mon dos et tirai la lame, puis je l’ai mise devant le torse de la femme, comme pour l’empêcher d’avancer.

"Tu ne les tueras pas, séduis-les, charme-les, endort-les, mais ne les tue pas. Rappelle-toi que nous étions comme eux avant."

Cela me faisait mal de le dire, car cela revenait à avouer que je n’étais plus humain. Mais je m’y étais fait, malgré tous mes efforts pour rester le plus humain possible, ma malédiction se rappelait toujours à moi. Même si je haïssais séduire des jeunes femmes pour qu’elles m’offrent leur sang sans faire d’histoires, au moins elles restaient en vie, en général sans souvenirs de notre entrevue. Je ne tuais pas, pas depuis que, à peine transformé, j’avais tué involontairement la femme que j’aimais.

Je tenais fermement mon arme, bien décidé à ne pas laisser ma congénère passer, pas avec ses intentions meurtrières. Etre un vampire ne ferait pas de moi un tueur d’humains.

Alissa, surprise, sourit derrière son masque à la vue de l'homme tenant son épée pointée vers le coeur de la vampire. Décidément, il est plein de ressource ce gamin ! Mais elle n'allait pas se laisser intimider pour autant. Elle tenait toujours son arbalète armée vers le bas, et dans le pire des cas, un carreau entre les deux yeux est plus rapide à lancer qu'un coup d'estoc à travers des côtes.

- Eh l'ami. Tu veux protéger ces deux pauvres gens ? Très bien. Et où étais-tu lors des centaines d'autres fois ? J'ai passé mon siècle à prendre des vies. Alors soit mignon et laisse moi passer.

Elle tenta de décaler la lame du vampire du bout des doigts mais il la tenait fermement. Tant pis. Il fallait qu'elle trouve un autre moyen de tuer ces cibles si faciles. Mais avec un chien de garde pareil ... Impossible. Puis elle eut une idée, elle n'avait jamais voulu travailler en équipe pour ne jamais être trahie. Mais cet fois, c'est elle qui allait trahir son acolyte. Elle désarma son arbalète, l' accrocha à sa ceinture et lui dit d'un air désabusé auquel l'ironie s'ajoutera:

- Bon ok, t'as gagné... On va rentrer et dire gentiment à ces gens : " Bonjour, on voudrait boire votre sang s'il vous plaît ! ".

Elle leva les yeux au ciel tellement ce plan paraissait stupide. Elle retira de nouveau sa capuche et son masque pour paraître moins dangereuse et actionna la poignée de la porte avant d'entrer et de disparaître à l'interieur. De dehors, l'on entendit hurler :

- Tavernier ! Deux pintes pour moi et mon ami !

Je la tenais toujours dehors, sous la pointe de mon épée, sans qu’elle réagisse. Elle était toujours pleine d’assurance, et tuer ne lui faisait rien. Du temps de son humanité, avait-elle été un monstre pareil aussi, ou bien étais-ce sa transformation en vampire qui l’avait changée ? Quoi qu’il en soit, il y avait d’autres moyens.

"Eh l'ami. Tu veux protéger ces deux pauvres gens ? Très bien. Et où étais-tu lors des centaines d'autres fois ? J'ai passé mon siècle à prendre des vies. Alors soit mignon et laisse-moi passer."

Donc j’avais bien vu, elle se fichait de tuer ses proies. Même si elle n’avait pas tort, et que je ne pouvais pas la blâmer pour ça, je refusais au moins d’y participer. Elle prit la mouche rapidement, et désarma son arbalète, ce qui me rassura un peu. Elle n’était pas le genre de personne avec qui il faisait bon traiter. Elle me dit d’abord une chose qui me surpris, car je ne comprenais pourquoi d’un coup elle se montrait si bête, puis, profitant de ma surprise, elle entra.

"Bon ok, t'as gagné... On va rentrer et dire gentiment à ces gens : " Bonjour, on voudrait boire votre sang s'il vous plaît ! ". Tavernier ! Deux pintes pour moi et mon ami !"

Piégé, je la suivis sans mot dire. Sa démarche sensuelle était bien celle d’une vampire en tout cas. Les gérants nous regardaient avec étonnement, comme s’ils étaient surpris de recevoir des clients. Je m’assieds en face de l’autre vampire et nos pintes arrivèrent. Quand je parlais d’une autre méthode, je ne m’attendais pas à cela, elle paraissait trop calme et gentille maintenant, et je doutais de sa sincérité.

"Pourquoi avoir fait ça au juste ?"

- Pourquoi avoir fait ça au juste ?

Alissa, après avoir payé sa tournée, en plus d'un bon pourboire, trempa ses lèvres dans la bière et fit une grimace de dégoût. Voilà pourquoi personne ne vient dans ce rade miteux ... La boisson était infecte. Un arrière goût indéterminable polluait le goût de la bière. Elle reposa sa pinte, défaitiste et répondit à voix basse.

- Tu voulais les charmer, non ?

La vampire ne comprenait pas comment, lui, aurait fait. Entrer dans une auberge sans consommer, ce n'est pas bon pour entamer un dialogue.

- Puis l'argent, c'est le meilleur moyen d'acheter la confiance de quelqu'un.

Elle porta de nouveau sa pinte à ses lèvres par réflexe. Sentit l'odeur du breuvage, fit la moue et le reposa aussi tôt. Pour s'occuper, elle observa la pièce dans laquelle ils étaient. C'était une très petite salle de bar, avec très peu de tables, disposées autour d'un foyer éteint. Même un barde ne pourrait se produire dans si peu d'espace. A coté du bar se trouvait un escalier menant à l'étage, aux appartement de ce pauvre couple. Manifestement, aucun endroit discret où la vampire pouvait assassiner ces deux bougres en paix. Enfin il y avait bien cette mystérieuse porte, à travers laquelle la femme faisait d'incessants allé-retours.

Tu voulais les charmer, non ?

Etait-elle vraiment idiote à ce point ? J’avais parlé de charme car c’est le moyen que j’emploie avec les jeunes demoiselles en quête d’amour, il faut dire que ma fausse profession de barde itinérant avait visiblement la cote auprès d’elles. Je regardais la bière, mais n’y touchais pas. Ça aussi, je l’avais appris à mes dépens, qu’un vampire ne peut rien ingérer d’autre que du sang. En y trempant simplement les lèvres, ou en buvant une très petite gorgée, on pouvait limiter les dégâts, mais ces pintes étaient gachées.

Puis l'argent, c'est le meilleur moyen d'acheter la confiance de quelqu'un.
Tu as tort, la confiance se gagne.

Et elle n’avait pas la mienne. C’était indéniablement une tueuse, une tueuse de sang-froid. J’abhorre ceux qui tuent pour le plaisir, quand une autre solution est possible. Je ne suis pas non plus pacifiste, mais je préfère ne pas tuer, car étant humain, je ne l’aurai pas fait. Elle, cela lui semblait égal, je détestait ça. Etait-elle comme ça, même humaine ?

Cela fait longtemps que je n’ai pas rencontré de vampire. Mais tu es différente des autres, tu n’es pas dépressive... je veux dire le soleil, ta vie humaine, ça ne te manque pas ?

Après une réponse qu'Alissa ignora volontairement, le vampire enchaîna :

- Cela fait longtemps que je n’ai pas rencontré de vampire. Mais tu es différente des autres, tu n’es pas dépressive... je veux dire le soleil, ta vie humaine, ça ne te manque pas ?

Elle perdait patience, et lui voulait discuter. Elle dû alors ce montrer patiente et fit un bref rire nerveux à la fin de la question du jeune vampire. En effet, Alissa avait elle même choisi d'être telle qu'elle était aujourd'hui. Mais le fait est qu'elle ne s'attendait pas a l'effet de l'Appel du Sang comme elle l'appelait. Elle décida de la jouer "fille gentille" et à l'écoute. La confiance se gagnait, d'après cet homme, Alissa allait le tester.

- Eh bien ... Pas vraiment, en plus d'un siècle, on arrive a faire son deuil. Pour ce qui est du soleil, je ne l'avais jamais observé de ma courte vie. En temps qu'issue de la bourgeoisie Tacomane, je sortais très peu dans les rues bondées de la ville.

Elle attendit une réaction avant d'ajouter.

- Je me nomme Alissa Karakjen, issue de la grande famille Karakjen de Tacomnal.

Si la réaction était positive, cela voulait dire que la famille Karakjen existait encore et avait réussie, et ce n'était pas du tout ce qu'Alissa recherchait. En quittant ses proches, elle voulait aussi que sa famille perde toute possible chance de descendance.

- Et toi ?  Qui es tu ?

Elle émit un rire en entendant ma question, un petit rire forcé. Je me disais que le manque de sang lui faisait perdre patience, et que je n’aurai pas dû poser de questions. Je craignais un peu que dans un coup de folie, elle ne se jette sur les deux tenants sans que j’ai le temps de l’en empêcher. Contre toute attente, elle répondit à ma question.

"Eh bien ... Pas vraiment, en plus d'un siècle, on arrive à faire son deuil. Pour ce qui est du soleil, je ne l'avais jamais observé de ma courte vie. En temps qu'issue de la bourgeoisie Tacomane, je sortais très peu dans les rues bondées de la ville. Je me nomme Alissa Karakjen, issue de la grande famille Karakjen de Tacomnal."

Je me doutais qu’elle avait un air noble dans ses traits, quelque chose que le vampirisme n’avait pas effacé, et j’avais vu juste. Mais quelque chose avais dû mal tourner pour elle, pour qu’elle finisse comme tueuse, à moins qu’elle n’ait elle-même choisi cette vie. Je gardais cette interrogation pour moi.

"Je n’ai jamais entendu le nom de Karakjen avant, je suis vraiment mauvais pour retenir les noms des grandes familles en chaque lieu où je passe, désolé. Je m’appelle Mirko, simple roturier Estanol."

De toute façon, chez les vampires, quels que soient vos titres de noblesse de votre vivant, la transformation vous ôte tout cela. Cette Alissa avait quelque chose d’irrésistiblement attirant, comme chez tous les vampires, mais aussi un aspect hautain dérangeant que je comprenais mieux maintenant que je la savais fille de noble. Mais peut-être le problème était-il plus profond encore ? Là aussi, une question que je garderais pour moi. Je la regardais dans les yeux, son regard aussi était troublant et froid.

"Quoi que tu veuilles faire ici, ne me mêle pas à ça. Je sais très bien que je ne pourrais t’empêcher de rien par la suite, mais si tu as encore du cœur, ne les tue pas."

Je ne savais pas quelle réaction mes paroles allaient provoquer, mais j’espérais sincèrement voir autre chose que la froideur sur son regard ou son visage. Sinon, cela ébranlerait encore un peu plus ma conviction que les vampires ne sont pas que des monstres dépressifs.